En École, nous sommes tous des Harvey Weinstein 

Par L & A.
Illustration : Louise Hourcade.

Impossible de ne pas avoir été happé(e) par le tourbillon médiatique qui frappe la question du harcèlement féminin, avec en figure de proue de ce mouvement le personnage tristement connu de Harvey Weinstein. Les témoignages de femmes qui dénoncent des cas d’abus et les campagnes de mobilisation foisonnent sur tous les supports de communication. Que l’on adhère ou pas à cette ‘’chasse aux sorciers’’, le temps du silence est révolu et ce n’est pas trop tôt.

Vraiment ? On ne peut en effet que se féliciter de cette prise de parole. Mais le souci, c’est qu’elle dénonce majoritairement des situations en cours dans des milieux médiatisés (le cinéma, le journalisme ou la politique), et qu’elle se dirige principalement vers des personnalités. N’oublions pas les autres … Le but de cet article n’est pas de pousser un coup de gueule injustifié, d’accuser tout un chacun, de provoquer des réactions d’agacement et de mépris et d’être oublié dans la minute qui suit sa lecture. Mais de faire réfléchir. Pour que cette prise de parole salvatrice ne reste pas éphémère et vaine. Il y a des dérives en École et le problème, c’est qu’on ne les voit même plus.

Avant d’être producteur de cinéma, Harvey Weinstein a été enfant. Or, c’est une certitude : la parité s’apprend dès l’enfance et par les actes du quotidien.

Mais il a aussi été étudiant. Comme nous tous. Et il serait malvenu de négliger le pouvoir de la dynamique de groupe en École. Nous, étudiants d’une École de commerce plutôt prestigieuse, condamnons tous, j’ose l’espérer, les actes perpétués par ce personnage. Mais peut-être que cela ne suffit plus. Vous pensez que nous sommes à l’abri de ce genre de comportement en École ? Loin s’en faut. Alors oui, nous ne violons pas et nous n’avons pas non plus pour habitude de harceler, sexuellement ou psychologiquement, les autres étudiant(e)s.* Mais le sexisme que nous affichons en École est bien plus insidieux et de ce fait, bien plus dangereux. Parce que personne ne le dénonce. C’est normal : personne ne le remarque non plus. Nous nous sommes habitués à certains comportements perpétués de génération en génération. C’est vrai que les traditions associatives sont une part clé de la vie étudiante. Mais si on ne remettait jamais en cause les rites, on serait encore en train de balancer les esclaves dans les arènes romaines.

Mais de quoi je parle, c’est ça ? Dressons une petite liste des habitudes que nous avons prises, à notre insu :

  • Le recrutement associatif ? On ne la prend pas parce qu’elle n’est pas en maillot de bain sur sa photo de profil Facebook. Ou plutôt parce qu’on a entendu dire qu’elle avait couché avec deux mecs différents au WEI (quelle honte en même temps, c’est compréhensible). Au temps pour moi, le vrai problème, c’est davantage son manque de discrétion : toute la promotion est au courant. La prochaine fois, trouve un bungalow plus isolé ! En attendant, trouve-toi une autre asso.
  • La communication de certaines assos ? Mettre en avant les atouts du corps féminin sur la photo de couverture de l’event pour assurer son succès : pas de problème. Mais parité oblige, faisons de même avec les garçons alors ! Pensez à ceux (celles) qui sont plus sensibles aux muscles de l’homme qu’aux fesses de la femme. Je ne sais pas ce qui est pire : que les membres masculins de l’asso ne s’aperçoivent pas du problème ou que les éléments féminins de cette même asso le cautionnent.
  • Dans certaines associations, les filles ne peuvent pas être présidentes, et là on ne peut pas vraiment sortir l’excuse ‘’non mais elle peut tomber enceinte donc vu les responsabilités en jeu, on ne peut pas prendre un tel risque’’ : encore une fois, tradition n’est pas raison …
  • La réputation ? Aie, aie aie, point sensible, la réputation en école de commerce. Les infos circulent si vite, qu’elles soient vraies ou fausses ! Attention à ne pas faire d’erreur en soirée, sinon on est fiché pour toute l’année. Parce qu’un mec qui aligne les filles sur son tableau de chasse, c’est un tombeur. Une fille qui en fait autant ? Je pense que nous connaissons tous les termes adéquats, on les utilise au quotidien. La plus grande tradition en école de commerce, ce n’est pas de frapper les 1A pour les faire avancer droit mais bien la perpétuation du sexisme ordinaire.
  • Les soirées … Parlons-en des soirées. L’alcool et le pull d’asso semblent avoir fait oublier chez certains la signification du respect de la femme. Si nous prenons la peine de laver notre pull imbibé de bière, alors faisons de même avec l’honneur féminin. Pour cela, rien de plus simple, laissons les filles agir comme elles le souhaitent en OB sans pointer du doigt, juger, dénoncer, calomnier ou médire.

Quel est le sentiment que l’on peut ressentir en lisant ces dénonciations ? C’est exagéré et risible ? Pourquoi sommes-nous comparés à des prédateurs sexuels ? Aucune fille ne s’est jamais plainte du comportement d’autrui à l’École ? C’est un jeu pour tout le monde et chacun le sait ?

Si c’était vraiment le cas, alors pourquoi certaines pleurent en soirée à cause de remarques déplacées ? Pourquoi est-ce qu’une fille doit cacher ses conquêtes ? Halte aux chaudasses, putes, salopes, trainées et autres mots agréables à entendre.

Parce qu’il n’y a pas que les mecs qui choppent les filles. Les filles choppent les mecs aussi. Et il arrive même qu’une fille et un mec se choppent en toute conscience de leur participation égale à cette situation.  La question du vocabulaire est primordiale parce qu’elle permet de se rendre compte qu’on ne prête même plus attention aux absurdités de nos échanges. « Il se la tape », ça, on l’entend. « Elle se le tape », ça ne glisse pas sur la langue, faute d’utilisation.

Si vous êtes capables de vous remémorer toute votre scolarité sans vous rappeler avoir jamais émis un jugement sur une fille (que vous le pensiez ou que vous ne fassiez que suivre le mouvement), alors finissez cet article tranquillement et retournez à votre cours de contrôle de gestion. Sinon, faites-en sorte que toute cette frénésie actuelle sur les droits des femmes ne soit pas uniquement une trainée de poudre … Et tout simplement, réfléchissez.

Alors oui, c’est faux, nous ne sommes bien évidemment pas tous des Harvey Weinstein. Mais tâchons d’en rester absolument certains.


* NOTE DE LA RÉDACTION
Suite aux témoignages anonymes reçus et publiés en février 2018, le journal précise que le présent article a été rédigé en octobre 2017. Par conséquent, ses auteurs ainsi que l’ensemble de l’équipe de rédaction récusent désormais les propos suivants : « Alors oui, nous ne violons pas et nous n’avons pas non plus pour habitude de harceler, sexuellement ou psychologiquement, les autres étudiant(e)s. »


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