12 janvier 2018

Sale histoire

Qui n’a jamais entendu parler de la Belle au Bois dormant, cette princesse aussi belle qu’impersonnelle, stéréotypée au possible mais dont les boucles blondes, les dons de « beauté et d’intelligence » ont ravi des générations de petits et de grands ? L’histoire, qui plane dans un univers manichéen fait de cueillettes de fleurs et de murailles de ronces, avait tout, à l’époque, pour indiquer sans ambiguité aux enfants que nous étions les chemins du Bien et du Mal. Remercions monsieur Walt Disney qui, sans le savoir peut-être, a largement contribué à notre passage de l’enfance à une adolescence, voire à un âge adulte « en bonne et due forme ». À une époque où l’identité se trouve confrontée à une redéfinition sans précédent, la non-identité de la charmante princesse (toujours perçue au travers d’attributs extérieurs tels que la beauté, la voix, la jeunesse) était peut-être une dernière et douce illusion de simplicité (de simplisme ?), avant la douloureuse déconstruction de nos idéaux sur l’amour, sur l’amitié, sur la marche du monde en général. Car les parents ne s’aiment pas toujours, et les bougies n’arrêtent pas les Méchants.

Mais laissons les cassettes et les livres d’image à la place qui leur est due, c’est à dire au grenier parental. Et rendons à César ce qui est à César (toutes proportions gardées) ; rendons la Belle au bois dormant au bouche à oreille des origines, et à Perrault qui lui a donné forme écrite : adieu, paillettes et colorants industriels ! adieu Amour, Gloire et Beauté !


Il était une fois, qu’il a écrit, un roi et une reine qu’arrivaient pas à avoir de gosses. Qui va nous succéder ? Ils ont tout essayé les richous, médocs, FIV, fertilisants et aut’z engrais. Ma foi rien à faire. C’est alors que sept fées bien boulotes mais pas radines, ont déboulé gracieusement avec leur baguette magique. Et d’un coup, grosse comme une barrique qu’elle est devenue la vieille (la reine). Neuf mois plus tard, comme veut la procédure, c’est une bonne femme qu’est née. Pas d’chance. Déjà pas gâtée, voilà qu’les choses se compliquent : une sacrée sorcière vexée comme un pou à cause qu’elle avait pas été invitée au baptême de la gosse, elle annonce qu’à ses seize ans, elle chopera une mononucléose coriace de cent ans, pas trop différente de la mort, en se piquant sur un fuseau. Pas moyen de la réveiller, à moins qu’elle ne reçoive un « vrai baiser d’amour » … autant dire que c’était perdu d’avance, car comment trouver un drôle capable de tomber amoureux d’une endormie ?

Bref le roi, il s’est senti mal, et comme il était comme qui dirait colérique, il a demandé à c’qu’on brûle tous les fuseaux du royaume sinon c’était l’couperet. Après ça, pleins de sujets sont tombés dans la misère à cause qu’ils avaient plus leur gagne-pain, pis économiquement ç’a été la panade, avec une baisse de l’offre du textile, des maladies, des famines et tout l’tintouin. Mais bon c’était pas si important, puisque la ptite princesse elle avait ses « fées marraines » qui lui avaient offert un joli minois (le plus beau du monde dit-on) et tout pleins de qualités. Pendant seize ans, la gosse, elle a appris à danser et à chanter comme un rossignol, et à jouer des instruments avec la dernière perfection. Tout ça pour rien puisqu’un beau jour son doigt a malencontreusement rencontré le dernier pic du dernier fuseau du royaume, que ces bons à rien d’gardes avaient oublié tout en haut du donjon. Là-dessus, tout le monde s’endort avec elle comme par hasard, le roi et la reine, les pages, les bonnes, les galopins bref, tous les coquins de ce royaume de fous.

Cent ans plus tard, le fils du nouveau roi, qui marchait sans autre but que l’Amour et la Gloire, voilà qu’il tombe sur le château et pleins de bonhommes étendus – expirés qu’on dirait même. Mais pas rebuté comme tout bon héros, il tombe sur la princesse, pâlotte après cent ans comme vous imaginez, pleine de poussière et surtout, habillée comme une grand-mère (faut pas oublier qu’y a cent ans d’écart entre ces deux-là). Il lui restait quand même le minois comme on a dit ; et comme le prince était du genre entreprenant, il s’est mis en tête d’embrasser la morte… voilà qu’elle se réveille, la pauvre, bien obligée d’épouser son galant maintenant que toute la clique est sans dessus-dessous (c’qu’on comprend ma foi, après un aussi long sommeil). La princesse, elle a fait deux beaux enfants au prince charmant, et inconscients qu’ils étaient, ils les ont appelé l’Aurore et le Jour. Ils étaient bien gentils ces gamins, mais c’était sans compter l’horrible belle-mère… Elle était pas commode la vieille du prince, mais faut dire aussi que c’était une ogresse. Elle avait qu’une envie, c’était de dévorer ses ptits-enfants… « Je veux manger demain à mon dîner l’Aurore », qu’elle a ordonné à son maître d’hôtel sitôt que son fils eût décampé pour guerroyer. « Je veux la manger à la Sauce Robert » qu’elle a même ajouté. Mais le maître d’hôtel était pas sot, il s’est dit qu’il allait se faire enguirlandé par le prince s’il obéissait. Le cul entre deux chaises, il a remplacé la petite Aurore par une biche (fin subterfuge). Puis il a rendu les deux mômes à leur mère qui s’inquiétait comme une folle. Enragée qu’elle était, l’affreuse belle-mère-ogresse, elle s’est jetée dans une cuve pleine de bêtes féroces, qu’en ont fait qu’une bouchée. 


Voici le fidèle récit des déboires de la Belle au bois dormant : malheureuse destinée que celle de cette jeune femme pourtant promise au meilleur avenir. Amour ? Gloire ? Beauté ? Plutôt Rivalité, Agressivité, Vengeance sanguinaire … « Sale histoire » …


Illustrations © Violaine Epitalon.

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