Quand la morale s’immisce en politique

Par Julie Deshayes

Tous se sont attirés les foudres de l’opinion publique. Nicolas Sarkozy fustigé suite à l’affaire Bygmalion impliquant de fausses factures réalisées par l’UMP, François Fillon critiqué face à l’emploi de son épouse comme assistante parlementaire, Richard Ferrand contraint à démissionner pour avoir profité d’un montage immobilier ou encore Edouard Philippe raillé pour l’utilisation d’un vol privé à un prix démesuré. Nombreuses sont les affaires morales qui se sont récemment immiscées dans la sphère politique, faisant hurler au scandale les médias et commérer les Français. Alors que Machiavel séparait les sphères politiques et morales en estimant que l’homme de pouvoir ne doit pas nécessairement posséder la vertu mais seulement feindre de l’avoir afin de trouver sa légitimité auprès du peuple, nous avons emprunté le chemin opposé en fusionnant ces deux éléments au point d’institutionnaliser l’exemplarité et l’éthique des hommes de pouvoir dans une loi de moralisation de la vie publique.

D’où vient une telle obsession pour l’éthique de nos représentants ? Comment expliquer que celle-ci se soit intensifiée ces dernières années jusqu’à être cristallisée dans une loi ? Une première réponse réside dans l’illisibilité des débats politiques, souvent jugés trop complexes pour un public non-initié. Le champ de réflexion des français porte alors davantage sur l’Homme que sur le projet et pour se construire une opinion, la collecte d’informations repose principalement sur l’investigation du passé, du mode de vie et du degré d’exemplarité de ce dernier. Le succès d’Emmanuel Macron en est une preuve éloquente. Malgré l’absence manifeste de programme un mois avant les élections, les français n’ont pas hésité à le suivre dans sa mystérieuse marche vers le renouveau politique. Plus que le programme, c’est l’idéal incarné par le personnage qui a séduit, « macron la figure du renouveau, du rassemblement, de l’abolition des barrières traditionnelles », de quoi faire rêver dans une période de désenchantement politique. On pourrait également mettre en cause la proximité grandissante entre politiciens et électeurs induite par les réseaux sociaux. Pouvant s’exprimer à tout moment sur tous types de sujets, aussi bien professionnels que privés, les hommes politiques tentent d’adoucir leur image, de la rendre sympathique et de créer un lien d’affection avec le public. Engagés dans une relation presque affective avec leurs élus, il est compréhensible que la sensibilité des français soit heurtée en cas de manque de probité de l’un deux. Enfin, il faudrait évoquer le traumatisme des citoyens lié à l’accumulation de scandales ces dernières années. Se sentant manipulés par ceux en qui ils avaient placé leur confiance, beaucoup ont adopté une profonde défiance envers les motivations des prétendants au pouvoir, s’ils n’étaient pas déjà résignés, si bien que ce qui était toléré hier est désormais condamné. Si à l’époque personne n’a blâmé l’accès au poste de conseiller à l’Elysée pour les affaires africaines du fils de Mitterrand, majoritaires sont ceux qui ont renié Fillon suite aux révélations quant au poste d’assistante parlementaire de Penelope.

Mais ces scandales moraux heurtent-ils réellement nos convictions politiques ou représentent-ils de simples divertissements dignes de Closer dont nous, citoyens désabusés et lassés de débats interminables, sommes avides ? En effet, la manière dont les « affaires » sont exposées au grand public frôle bien souvent le scénario de NCIS, où chaque jour un nouvel épisode est diffusé, dévoilant une information supplémentaire au niveau d’importance et de fiabilité discutable – Après s’être fait offrir des costumes pour 48 500 euros, ne faudrait-il pas également s’intéresser aux montres de monsieur Fillon ? – dont la quête du buzz dépasse bien souvent l’information – En direct, Dominique Strauss-Kahn sortant du commissariat de Harlem, menotté et escorté par des policiers, mitraillé par les flashs d’une cinquantaine de photographes – et dont le remaniement par la prospérité en recherche d’extraordinaire touche parfois le ridicule – et si Mitterrand avait lui-même commandité son attentat en 1959 aux jardins de l’observatoire afin de rehausser sa cote de popularité ? A l’exposition théâtrale de ces scandales se conjugue le rire qu’ils déclenchent grâce à des émissions telles que les guignols de l’info, touche pas à mon poste ou morandini!, exaltant un public toujours plus friand de ces « affaires » croustillantes. Corriger les mœurs par le rire ou faire monter l’audience par l’exploitation de la curiosité malsaine du public, telle est la question.

Face à une telle évolution de la mentalité des électeurs, la question est de savoir si trop de moralisation ne risque pas de tuer la moralisation au sens propre. En inscrivant des règles éthiques dans une loi, on s’écarte de la morale qui se veut être une quête intérieure de la vertu, au profit d’une contrainte imposée de l’extérieure. Cela revient à pallier les défaillances morales des politiques par l’appareil législatif. Certes, cela empêche nos élus de manquer d’honnêteté, mais cela dissimule également leurs motivations profondes et nous rend inaptes à distinguer l’Homme dont les intentions sont pures, dont l’exemplarité est sincère, et celui pour qui elle est contrainte. Si l’on considère avec cette loi que seul le résultat compte, c’est-à-dire la soumission des politiques à la loi, et que l’intégrité réelle des acteurs passe au second plan, alors notre mode de pensée n’a finalement pas abandonné tout machiavélisme. Par ailleurs, la poursuite d’un idéal de transparence nous engouffre dans un voyeurisme outrancier et dans une « course au plus vertueux » comme la publication des déclarations du patrimoine de nos ministres a pu en témoigner. « Demain j’enlève le bas » a affirmé Gilbert Collard pour pointer du doigt la mise à nu imposée aux ministres par cet exercice. Revendiqué comme un droit fondamental, l’accès à l’information repousse chaque jour ses limites, appuyé par les réseaux sociaux qui contribuent à nous submerger de données plus ou moins fiables et bénéfiques à l’ordre public. Pour ne pas que transparence devienne synonyme d’exhibitionnisme, et que morale devienne synonyme d’oppression, la moralisation doit donc être maniée avec beaucoup de précaution.

Alors faut-il laisser la morale s’immiscer en politique, faut-il l’en empêcher ?
Je pense qu’une distinction entre « faute morale » et « infraction à la loi » doit être tracée. La morale est une notion relative aux valeurs de chacun, qu’il faut laisser à la libre appréciation de chacun. L’unique chose que la société est en mesure d’exiger des élus, c’est le respect de la loi. Si l’infraction à la loi est condamnable, le défaut moral est seulement critiquable. S’il est du ressort des tribunaux de juger l’infraction à la loi, c’est en revanche aux électeurs qu’il revient de juger de l’importance de la faute morale d’un candidat, qu’ils peuvent décider de sanctionner par leur vote. Dès lors, un élu peut accumuler les maîtresses et dissimuler ses fils cachés obtenus avec chacune d’elles s’il assume correctement son devoir en œuvrant efficacement pour la France, mais il est inacceptable qu’il fasse acte de corruption, trafic d’influence, détournement de fonds, ou tout autre fait contrevenant à la législation. Alors non, à mon sens la morale ne doit pas s’immiscer en politique et l’intitulé de la récente loi de « moralisation de la vie publique », qui en réalité ne traite pas de morale mais codifie des sujets sensibles tels que les emplois familiaux ou les réserves parlementaires, devrait être transformé en loi « d’encadrement des fonctions politiques ». Seule la loi et la déontologie le peuvent, car dans une période de discrédit général, où beaucoup pensent utopique la perspective de trouver des candidats à la fois doués, dévoués pour leur pays et honnêtes, il est indispensable de briser l’image de l’homme politique intouchable en assurant une réglementation lisible, de laquelle aucun homme politique ne peut être exempté et dont les sanctions en cas d’infraction sont clairement définies.

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