23 avril 2020

Elle l’avait cherché

Août 2016. Le baccalauréat en poche (khûbe, tu connais), je profite de mon été à Paris. En sortant du métro un beau jour, un homme d’une trentaine d’années m’interpelle : « Eh salut, je voulais juste te dire que ta veste est super cool, elle te va super bien ! ». Devant ce compliment, je souris et remercie l’homme, puis continue mon chemin. Mais alors que je m’éloigne, il me rattrape, et me demande comment je m’appelle. Ah, je vois. Ce n’était pas un compliment anodin, c’était une phrase d’accroche.

Panique à bord : j’ai 17 ans, il en a plus de 30. Je décide d’appliquer les bons conseils de maman, à savoir « tu regardes par terre et tu l’ignores ». Je continue de marcher sans lui répondre. Devant mon refus de réagir, le charmant monsieur réitère ses propos : «Ah, tu veux pas me dire ton prénom ? Pourquoi, c’est parce que tu me trouves pas à ton goût ? ». Mais non, baltringue, c’est parce que je ne suis pas à l’aise dans la rue avec un inconnu de 30 piges. Je ne réponds toujours pas, mais lui continue à faire la conversation : « moi je m’appelle X, j’habite pas loin, ça te dit d’aller boire un café ? ». Alors je me dis que les 50 mètres qu’il a parcourus avec moi sont déjà 50 de trop, et je lui réponds « non, merci, je ne suis pas intéressée ». Il insiste, et je décide de passer outre : je remets mes écouteurs et continue de marcher. Et lui aussi continue de marcher près de moi, sans rien dire, les mains dans les poches.

C’est invraisemblable : au bout de 100 mètres, je me dis que quelqu’un va bien finir par remarquer que cet homme m’importune. Je cherche les gens du regard, mais ils semblent ne rien voir d’anormal. Je m’arrête pour défaire et refaire mon lacet, dans l’espoir que cet homme se lasse et finisse par me dépasser. Il s’arrête, et attend que j’aie terminé. Au bout de cinq longues minutes de marche à ses côtés, je décide de rentrer dans une boutique. Je repère une vendeuse, et commence à lui parler. Je lui demande s’ils ont des vêtements de telle ou telle sorte. L’individu est deux mètres derrière moi, il semble attendre. Après quelques minutes, voyant que la discussion avec la vendeuse s’éternise, il rebrousse chemin et sort de la boutique.

Enfin.

Soulagée, j’explique la situation à la vendeuse, qui me demande pourquoi je ne lui ai rien dit. Elle m’explique qu’elle aurait pu appeler la sécurité et faire sortir d’individu. Je réponds que je ne voulais pas faire éclater un scandale, que j’espérais qu’il allait finir par se lasser.

Avec du recul, j’aurais aimé pouvoir réagir, mais devant un individu plus âgé, et qui aurait pu représenter une menace, je n’avais pas osé élever la voix et lui dire de me laisser tranquille. J’aurais aussi bien aimé que quelqu’un réagisse et vienne m’aider. Heureusement, la situation s’améliore de plus en plus en France même s’il reste encore beaucoup choses à faire de ce côté-là. Alors en attendant d’éduquer les nouvelles générations, il faut bien pallier ponctuellement les situations problématiques auxquelles nous sommes confronté.e.s. Alors pour ceux qui veulent réagir, ce que j’encourage grandement, voici des façons simples et efficaces de faire face à une situation de harcèlement dans un lieu public.

  • Si tu es victime :

Tu peux mettre un stop au harceleur, en lui disant : « écoute, gars, je suis pas intéressée. Je t’ai dit non, tu veux pas comprendre ? ». Il s’avère assez efficace de le dire bien fort pour attirer l’attention des gens autour, le harceleur a en général honte et se barre.

Tu peux aussi aller parler à quelqu’un comme je l’ai fait, soit pour que le harceleur se lasse et parte, soit en expliquant ce qui se passe : « ce jeune homme me suit depuis plusieurs centaines de mètres, je ne le connais pas, aidez-moi s’il vous plaît ». En général il prend peur et part.

  • Si tu vois quelqu’un se faire harceler :

La plupart des personnes ne réagissent pas, par peur d’empirer la situation, ou parce qu’ils se disent que quelqu’un d’autre va réagir, qu’eux ont peur de l’agresseur, ou que ce n’est tout simplement pas leur problème. Dans tous les cas, vous pouvez aider la personne :

  1. Si tu te sens de choper le problème à bras le corps :Tu peux aller voir l’agresseur poliment en lui disant « excusez-moi, monsieur, votre comportement n’est pas correct. Vous devez arrêter. ». Perso, au regard de mon corps de lâche, je préfère ne pas provoquer un inconnu potentiellement violent. Alors pour aider une personne importunée par un inconnu, en général, je vais la voir et je fais comme si je la connaissais. Pour le coup, j’aurais bien aimé que les gens qui avaient vu cet homme me dire « tu veux pas me dire ton prénom ? Pourquoi, c’est parce que tu me trouves pas à ton goût ? » viennent me voir et me disent « Hey, salut Mélissa, ça va ? Ca fait super longtemps que je ne t’ai pas vue, qu’est-ce que tu deviens ? » ou alors « Excusez-moi mademoiselle, est-ce que vous pourriez m’indiquer l’arrêt de métro le plus proche, je suis perdu ». Cette technique dissuade le souvent le harceleur, qui finit par s’en aller si l’on demande plus de détails (« ah, donc je tourne à droite à quelle rue ? » etc.).
  2. Si tu ne veux pas t’impliquer personnellement, mais que tu veux quand même aider la personne

Tu peux aller parler à quelqu’un à proximité : « ce mec va vraiment trop loin avec elle, on peut l’aider, non ? ». Tu peux aussi parler à une personne plus ou moins détentrice d’autorité, par exemple au barman dans un bar, à un membre du personnel dans un arrêt de métro. Pour avoir travaillé à la SNCF, je peux te dire qu’on réagit systématiquement lorsque quelqu’un nous signale ce genre de harcèlement.

Enfin, si l’on parle d’actes répréhensibles (masturbation, main au cul, etc.), tu peux filmer discrètement la scène pour fournir une preuve à la victime si elle souhaite porter plainte. Si tu es en sécurité, filmer de façon explicite peut aussi dissuader le harceleur. En revanche, si tu filmes, c’est pour soutenir la victime : demande-lui toujours ce qu’elle veut faire de la vidéo, et ne la publie pas sans son autorisation.

D’aucuns diront qu’il y a des causes plus graves que le harcèlement de rue, que de le combattre nuit au lien social. Mais n’oublions pas que le harcèlement relève de « propos ou comportements répétés » (article 222-33-2 du code pénal) : combattre le harcèlement de rue ce n’est pas considérer que tu ne peux pas aller parler à un.e inconnu.e dans la rue ; tu peux aller faire un compliment à quelqu’un, lui proposer respectueusement tes bails, mais si il ou elle refuse, tu la laisses tranquille.

Chaque acte de harcèlement de rue nous affecte plus que ce que nous pensons : il modifie notre comportement, remet en question notre confiance en nous et nuit à notre estime de nous-mêmes. À cause de ces actes, nous évitons certains endroits, repensons notre apparence ou n’osons pas sortir seul·e·s dehors. Nous avons tous notre façon de réagir face à des actes qui nous rabaissent. L’important est de ne pas le garder pour soi ou de se persuader que ça n’est jamais arrivé. Gardez la tête haute. Et votre confiance en vous intacte.

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