Sartre, le FOMO et les apéros d’asso
Avis à ceux qui ont ressenti un sentiment vertigineux face à la multitude d’événements Facebook qui ont pris possession de leur page d’accueil en ce début d’année scépien, qui ont tant bien que mal essayé de concilier les apéros des assos qui les intéressaient, les conférences en tout genre et les bières avec leurs potes restés de l’autre côté du portail sacré du 79 avenue de la République. Ce sentiment de désarroi alimenté par l’impression de toujours louper quelque chose ( du cours de ping pong à la conférence de NKM en passant par l’apéro de Tribunes) répond au doux nom de FOMO, et semble avoir été conceptualisé par l’École de philosophie américaine 2.0 qui balance ses réflexions existentielles sur Instagram ( et sur Codes de Meufs pour la version franco-française).
Le FOMO a même droit à sa page Wikipédia depuis le 4 mai 2016, où il est défini comme « (l’)anxiété sociale caractérisée par la peur constante de manquer une nouvelle importante ou un autre événement quelconque donnant occasion d’interagir socialement », et l’environnement scépien semble être un terreau fertile à sa prolifération.
Le FOMO se dessine donc comme le revers de la médaille du YOLO : il pourrait se résumer par la pensée « ok je m’enjaille, mais ne suis-je pas en train de passer à côté d’une meilleure enjaille ailleurs ? ».
Cela dit, au delà du constat de cette impression de toujours passer à côté de ce qui se passe justement, il pourrait constituer la partie émergée de l’iceberg d’un malaise plus profond.
En effet, la foule de divertissements et autres activités sociales qui s’offrent à nous en continu impliquent un choix à faire, sauf en cas de don d’ubiquité. Ce choix est certes minimisé puisqu’il se traduit principalement par la sélection du « j’y vais » sur Facebook, qui bien que dématérialisé n’en demeure pas moins effectif, voir même performatif. Or, d’après le philosophe le plus connu du Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre – dont le FOMO était plus sexuel qu’autre chose, n’en déplaise à son castor- choisir c’est s’engager, soit mettre en gage une valeur que l’on reconnaît comme sienne. Ainsi, lorsque je « participe » à un atelier de méditation perchée sur les toits de Paris (événement véridique) c’est un moi à la conscience en éveil que je fais miroiter à ma communauté d’amis – en bon visionnaire malgré son strabisme, déjà en 1946 Sartre écrivait-il « Tout se passe comme si pour l’homme, toute l’humanité avait les yeux fixés sur ce qu’il fait. » – mais pas seulement. Car si l’on s’en tient rigoureusement aux préceptes de L’existentialisme est un humanisme, c’est par le biais du choix même que je deviens ce que je suis : « L’existence précède l’essence et je suis ce que je choisis ». D’où toute la difficulté, en l’occurrence, de savoir si l’on est plutôt Skloub ou Startrek, Oenoc ou Polyph…
Cet aspect est alimenté par la pensée principale de Sartre, à savoir : « l’homme est condamné à être libre ». Cette liberté-fardeau implique donc la construction permanente du soi par l’engagement, l’homme n’étant rien d’autre que ce qu’il choisit au moment où il le choisit. Alors, le FOMO apparaît toujours plus comme le symptôme d’un manque de repères, dont la conséquence la plus directe d’après Doctimisso serait la schizophrénie latente..
Mais si la phénoménologie ne vous inspire pas plus que ça, vous pouvez toujours adhérer à la vision de Booba “J’en suis où j’en suis, malgré tellement d’erreurs/J’suis trop en avance pour leur demander l’heure”, après tout, vous êtes libres de vos choix.
Et si vraiment vous êtes dans le flou, priez pour vous faire intro n’importe où : vous n’aurez pas choisi, on vous aura choisi.