Trump, le canular du millénaire?

Par Thomas de Réals

Depuis quelques temps déjà, la campagne présidentielle fait rage aux Etats-Unis et, comme vous le savez probablement tous, aujourd’hui deux candidats s’opposent: Hillary Clinton du côté Démocrate et Donald Trump, côté républicain.

Si vous pensez, comme beaucoup d’Américains, que ces deux candidats se valent en matière de malhonnêteté et de scandales, je vous invite à regarder cette très bonne vidéo de l’émission Last Week Tonight, de John Oliver, un humoriste qui met chaque semaine un coup de projecteur sur un sujet méconnu selon lui du public étasunien.

Puisqu’on en parle, je tiens à préciser que je tire la majorité de mes informations et réflexions d’humoristes du même type qui, dans la lignée du grand Jon Stewart, sont devenus aux Etats-Unis la terreur du monde politique : en premier lieu, Stephen Colbert, Seth Meyers, Trevor Noah et Bill Maher. Ces comédiens ont allié une grande précision dans leurs recherches avec un sens de l’humour incisif et iconoclaste, et ont ainsi changé le paysage politique américain, en instaurant une crainte de la part des politiciens de se retrouver moqués dans l’émission du soir pour tout moment de faiblesse.

La vidéo ci-dessus résume bien les problématiques éthiques visant les candidats à la présidentielle. En plus de cela, elle s’ajoute à toutes les précédentes pour rappeler à quel point la campagne de Donald Trump est d’une absurdité sans nom.

Une campagne aberrante

Donald Trump a en effet multiplié les écarts qui auraient, seuls, disqualifiés n’importe quel autre candidat. Il a expliqué que les femmes seront payées autant que les hommes quand elles sauraient travailler aussi bien, tweeté que la Chine aurait inventé le réchauffement climatique pour rendre l’industrie étasunienne moins compétitive, proclamé que les Mexicains entrant illégalement sur le territoire américain étaient majoritairement des assassins et des violeurs, qu’en attendant de comprendre en quoi consiste l’EI les musulmans devraient tous rester hors Etats-Unis, j’en passe et des bien pires. Et surtout, il a démontré à de très nombreuses reprises avoir un tempérament difficile et être extrêmement susceptible.

Entre les réactions à des commentaires sur la taille de ses mains -franchement excessives et même carrément drôles- et les tweets à trois heures du matin pour insulter la Miss Univers -un concours de beauté qu’il possède par ailleurs- revenue sur le devant de la scène pour témoigner des remarques racistes et sexistes que Trump lui adressait pendant et après son mandat, Donnie prouve encore et encore qu’il ne faut certainement pas qu’il se retrouve avec les codes de l’arsenal nucléaire américain.

compilation

Et du coup on en arrive à un point où ça parait même carrément absurde. Qu’un type pareil, dont il a été révélé récemment qu’il a perdu un milliard de dollars dans un business foireux de casinos, qu’il a réussi à s’enrichir dans l’affaire et à ne pas payer de taxes ou d’impôts à l’état américain depuis 18 ans, se retrouve sérieusement en lice pour prendre la place d’homme le plus important au monde, on croit franchement rêver.

Et alors la question se pose: et si c’était une blague?

Imaginez un peu le retournement de situation: Trump, à l’instant d’accepter les clefs de la Maison Blanche, se retourne et met le public américain en face de son incongruité et ses supporters en face de leurs contradictions.

On refait le scénario depuis le début: après une carrière dont le succès est notoire -quoique de plus en plus remis en question- Donald J Trump prépare le coup de sa vie: il y avait déjà pensé et proposé sa candidature plusieurs fois, mais cette fois c’est la bonne: il se présente pour la primaire républicaine, juste pour rire.

Parce que Donald, 70 ans, sait bien que sa carrière n’a rien d’exemplaire. Et il est sidéré que malgré une vie entière à se comporter comme un vieil adolescent qui a toujours eu ce qu’il voulait, il ait réussi à faire de son nom un symbole de luxe et de succès et une nouvelle figure du self-made man. Et il se dit qu’un jour un journaliste un peu aventureux va entreprendre de salir son nom en rappelant les faits: il prend les devants et se met sous le feu des projecteurs. Un gros pari, quitte ou double. C’est soit un suicide social et politique, soit la réussite la plus légendaire du siècle.

Première partie : choquer pour éliminer les supporters modérés

Jouant sur son image, il en appelle aux plus extrêmes de son électorat potentiel. Après un certain nombre de clichés racistes et de discours sur la décadence d’une Amérique pourtant en plein redressement, se prenant au jeu, il fait sa grande annonce, qui le démasquerait forcément: construire un mur Trump sur la frontière entre le Mexique et les US. Non seulement ça, mais le Mexique paiera pour, allez.

Et contre toute attente, ça marche: les gens crient “Build That Wall” à tous ses meetings, on en gop_2016_trump-82voit même déguisés en mur. Trump, un peu soufflé, admet même qu’il a la sensation qu’il pourrait abattre quelqu’un en pleine rue sans perdre d’électeurs.

A partir de là, Trump commence un grand laisser-aller: dans le discours sur le mur, il annonce que l’immigration illégale doit être interrompue par ces mots: Ils (les Mexicains) amènent le crime, ils amènent des drogues, ce sont des violeurs, des meurtriers et certains, j’imagine, sont des gens bien… Puis, plus tard, en parlant de la présentatrice de Fox News, Megyn Kelly, qui l’a interviewée, il annonce qu’elle était probablement en colère parce qu’elle avait ses règles, sous entend que ses opposants politiques ne seront pas de bons présidents parce qu’ils sont moches (Carly Fiorina), que des milliers de musulmans ont applaudi à New York quand le World Trade Center s’est effondré le 11 septembre 2001, encouragé ses supporters à se battre contre ceux qui le huent dans ses rallyes (et il faut en avoir une belle paire pour aller huer Trump à un de ses rallyes), expliqué que les musulmans avaient la haine tatouée dans leur culture via les mosquées, encore une fois j’en passe.

Mais jusque là, tout est pardonnable selon ses supporters. Alors Trump s’attaque à un côté plus viscéral de l’identité américaine: leur rapport à leurs vétérans. Les citoyens américains vouent à leur armée une affection profonde, aussi quand Trump a dit ne pas avoir de respect pour l’ancien candidat John McCain parce qu’il avait été capturé, et qu’il préférait les gens qui ne se laissaient pas capturer, il a pris un sérieux coup.

Et comme il n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, il a expliqué qu’Hillary Clinton allait annihiler le Deuxième Amendement de la Constitution américaine, le droit de porter les armes, et que peut-être que les défenseurs du texte en question pouvaient régler le problème à leur manière, on sait pas.

En bref, Trump a passé sa campagne à dire exactement ce qu’il avait envie de dire sans se soucier ni de la vérité (52 affirmations platement fausses pendant le premier débat présidentiel : comme l’a dit Stephen Colbert, on peut se servir des mensonges de Trump comme minuteur pour ses oeufs à la coque) ni de la cohérence de son discours, en se justifiant de façon honteuse, en s’entourant de gens franchement douteux (Comme l’ex-patron de Fox News, Roger Ailes, qui a démissionné après des accusations de harcèlement sexuel). Et dès qu’il s’est agi de répondre à une question sérieuse, il a juste tourné autour du pot: le meilleur exemple est probablement celui ci, lors du premier débat :

As far as the cyber, I agree to parts of what Secretary Clinton said. We should be better than anybody else, and perhaps we’re not. I don’t think anybody knows it was Russia that broke into the DNC. She’s saying Russia, Russia, Russia, but I don’t — maybe it was. I mean, it could be Russia, but it could also be China. It could also be lots of other people. It also could be somebody sitting on their bed that weighs 400 pounds, okay?

You don’t know who broke in to DNC. […]

Now, whether that was Russia, whether that was China, whether it was another country, we don’t know, because the truth is, under President Obama we’ve lost control of things that we used to have control over.

We came in with the Internet, we came up with the Internet, and I think Secretary Clinton and myself would agree very much, when you look at what [the Islamic State] is doing with the Internet, they’re beating us at our own game. ISIS.

So we have to get very, very tough on cyber and cyber warfare. It is — it is a huge problem. I have a son. He’s 10 years old. He has computers. He is so good with these computers, it’s unbelievable. The security aspect of cyber is very, very tough. And maybe it’s hardly doable.

Je vous le traduis pas, je ne veux pas y perdre plus de neurones, mais bon dieu c’est forcément fait exprès à ce stade. Mais Trump continue, avec des affirmations comme “I’m very highly educated, I know words, I have the best words”, et ses supporters y croient. On en oublie tous les scandales, les Trump University où tout le monde sauf Trump a perdu énormément d’argent, en particulier les investisseurs et les élèves.

Deuxième partie : révéler l’absurdité de la loyauté des fans

Alors il se lance dans un nouveau genre de politique: comme son discours ne le disqualifiera pas face à ces Américains qui le soutiennent envers et contre tout, il se met à attaquer sa propre image. Il envoie un courrier depuis Trump Tower, anonymement bien sûr, avec une partie de ses déclarations d’impôt. Le document révèle qu’il n’a pas payé d’impôts depuis 18 ans après avoir perdu ce fameux milliard de dollars (918 millions) dans son business de casinos. Ca y’est, on ne le verra plus comme un homme de succès. Et pourtant si, son public l’admire pour son adresse à se servir des lois à son avantage qui lui a permis de ne jamais payer sa juste part.

Un coup de pouce du destin: après un enregistrement damnant dans lequel on l’entend se vanter d’embrasser toutes les belles femmes qu’il croise et de les “attraper par le minou” (Grab them by the pussy), ainsi que de ses tours dans les vestiaires de Miss Univers où il avait le droit de les regarder se changer parce qu’il en était le propriétaire, une cohorte de femmes menées par Alicia Machado, lauréate en 1996, se met à accuser Donald Trump de les avoir maltraitées et/ou avoir eu des comportement déplacés -des avances, des mains plus que baladeuses, des choppes bien sales, et on imagine pire.

Et là ça y est, on imagine mal ce qui pourrait le faire tomber plus bas, à moins qu’il ne prépare la suite de ses déclarations d’impôts et que celles-ci nous révèlent qu’il est en fait bien moins milliardaire qu’on ne le croit.

La consécration pour Trump

Et on en arrive à l’instant présent. On imagine qu’il va réussir à nous surprendre encore d’ici là, mais j’aimerais vous présenter des passages de son discours d’investiture:

Il y a quelque chose de pourri dans ce pays, laissez moi vous le dire. Depuis plus d’un an je mène une campagne au prix scandaleux dont je n’ai payé qu’une partie dérisoire, j’ai fait appel à des lobbyistes et à Wall Street, ce que j’avais promis de ne pas faire. Je ne suis pas riche, pas respectable, et la majorité des marques que j’ai lancées ont été un échec. Je me suis comporté de façon outrancière vis à vis des femmes que j’ai employées, des partenaires que j’ai eus, des investisseurs et des clients qui m’ont accordé leur confiance. J’ai passé mes années récentes à inciter à la haine et à l’inculture en utilisant ma position pour en faire des faits, et j’ai passé ma campagne à tenir des propos proprement hallucinants -et vous m’avez acclamé. Et vous m’avez élu. Il y a un vrai, colossal problème que j’ai exploité toute ma vie.

Et oui, j’ai réussi à exploiter le dévouement que l’Amérique a pour les grands succès, en affirmant contre tous les faits que je représentais ce que le pays avait de meilleur. La Vodka Trump, les steaks Trump, les tours et hôtels Trump… J’ai fait croire que j’étais un bâtisseur alors que je n’ai fait qu’acheter le droit d’y mettre mon nom.

Le public n’a pourtant rien lâché. Je suppose que c’est la position des Etats-Unis tout en haut de la chaîne alimentaire qui leur donne la légitimité de penser que les faits historiques et scientifiques ne sont qu’une opinion qui ne s’impose pas à eux. Mais les problèmes auxquels le monde fait face sont essentiels et les Etats Unis doivent jouer leur rôle, et je serais bien incapable avec ma carrière de showman turbulent de diriger quoique ce soit. Comme disait Saint-Exupéry que je paraphrase, nous sommes tous les passagers d’un même bateau, il s’agirait de commencer à se comporter comme tel.

C’est pourquoi je vais renoncer à la présidence, et que je vous invite tous à réfléchir à votre comportement. Je prie Hillary Clinton de m’excuser pour la virulence de cette campagne et ai confiance dans le fait qu’elle a toutes les qualifications requises pour faire une grande première présidente des Etats-Unis.

God bless America,

Peace.”

*mic drop*

Et ainsi, un soir de novembre 2016, Trump entre dans la légende. Une statue est élevée à son nom à New York par les démocrates, et les trois quarts du pays sont en liesse pendant que les médias à la Fox et les supporters de Trump, hébétés, vont repenser leurs choix de vie chez eux en se disant que, peut-être, les Américains d’origine étrangère sont des humains comme les autres, dignes de respect et de confiance.

C’est, comme le souligne John Oliver dans la vidéo ci-dessous, la seule sortie viable à ce stade pour Trump. Il deviendrait alors instantanément une idole planétaire pour toute une génération et remplacerait même le Che sur les t-shirt de hipsters d’ici une trentaine d’années.

Et comme je ne doute de rien, j’offre également à monsieur Trump l’opportunité de passer par Streams pour faire sa grande déclaration en toute exclusivité. S’il le souhaite, Artmaniac pourra même lui prêter une autre perruque après cette période d’élections qui ont dû somme toute être bien fatigantes.

Je vous laisse en prime avec le court-métrage de grande qualité qui a inspiré cet article: