28 novembre 2017

YouTube et l’algorithme

Par Paul Regali

Sur le papier, YouTube a tout pour être une plateforme idéale sur laquelle chaque créateur de contenu pourrait avoir accès à une certaine audience ou, tout du moins, à une visibilité. La réalité est toute autre. Le site internet qui, pour notre plus grand bonheur, avait fait découvrir Justin Bieber au monde entier n’est que l’ombre de lui-même. Comment imaginer qu’une chaîne de qualité comme celle de Streams peine à dépasser la barre des quatre abonnés ? Plongée dans les méandres de l’algorithme.

L’audience à tout prix: un cercle vicieux

S’il reste, derrière Facebook, le deuxième site web le plus populaire au monde avec plus d’1,5 milliards de visiteurs uniques chaque mois, YouTube n’est pas exempt de critiques. Sa capacité à faire émerger des talents et à proposer des contenus originaux à ses visiteurs est souvent remise en cause. En matière de recommandations, le site dispose d’un onglet « Tendances » dont l’unique objectif est de mettre en avant ce qui est déjà populaire. On y retrouve bien souvent des pranks tous plus surjoués et pompés sur les Américains les uns que les autres, des podcasts sur « Les différents types de prof » ou des tutos make-up. Si ma passion pour EnjoyPhoenix et les rituels de Kenny n’est plus à prouver, il n’en reste pas moins essentiel de remettre en question cette culture du « buzz » ou de la « tendance » entretenue par l’algorithme, qui menace la création culturelle en mettant en avant systématiquement le même genre de contenus et en refusant d’accorder toute visibilité aux vidéos originales.

Extrait représentatif de l’onglet Tendances.

Le deuxième outil proactif dont est doté le géant américain est la recommandation « personnelle ». Il s’agit des suggestions qui vous sont faites à droite de l’écran lorsque vous regardez une vidéo. En règle générale, cette liste présente l’inconvénient de contenir, pour une grande part, des vidéos déjà visionnées. De plus, la maigre proportion de réelles suggestions s’avère être du contenu trop similaire à celui que l’on a regardé il y a peu, empêchant ainsi toute découverte. On comprend facilement la logique qui se cache derrière cet outil, tout comme l’intérêt qu’a YouTube à nous faire cliquer et passer le plus de temps possible sur son site. Toutefois, il est possible qu’à terme cette politique finisse par lasser les consommateurs réguliers – beaucoup d’avis d’internautes vont dans ce sens.

Par ailleurs, les problèmes entourant l’algorithme de suggestion peuvent avoir des conséquences bien plus graves. S’ils sont dérisoires – à court terme tout du moins – lorsqu’ils relèvent d’un obstacle à la diversité culturelle, ils deviennent plus préoccupants lorsque que la machine aide à la propagation de théories conspirationnistes, comme le dénoncent le sociologue Gérald Bronner dans La Démocratie des crédules, ou encore Guillaume Chaslot (qui a participé à l’élaboration de l’algorithme de recommandations) dans son article How YouTube’s A.I. boosts alternative factsCet exemple illustre la nécessaire prise de position de YouTube, qui ne peut constamment se cacher derrière un algorithme prétendument neutre.

Trouver la quadrature du cercle

Quelques propositions pour faciliter l’accès à la richesse de contenus multimédia hébergés sur la plateforme émanent d’internautes et utilisateurs inquiets. J’en retiendrai deux, qui me paraissent être les plus pertinentes et faciles à mettre en place, car tout à fait compatible avec les outils déjà utilisés.

La première manière de rendre de la visibilité aux petits créateurs serait de créer un onglet ou un espace sur la page d’accueil réservé à des « choix éditoriaux », des coups de cœur de membres de l’équipe YouTube, des vidéos ou chaînes qui selon eux méritent de rencontrer une audience plus large. Cet outil est déjà une réussite sur les plateformes de streaming.

La seconde proposition s’inspire quant à elle des sites pornographiques. Rien d’extravagant ici: il faut rappeler que YouTube, en juillet dernier, s’est approprié le système de « preview » emblématique des sites pour adultes (dont Pornhub, qui n’a pas manqué de charrier son homologue straight sur les réseaux). Il s’agirait cette fois de répertorier les vidéos publiées sur la plateforme par un système de tags, ce qui donnerait lieu à une plateforme facilitant la découverte de nouveau contenu pour l’utilisateur sur laquelle #tutomakeup viendrait prendre la place de #collegedorm et #storytime celle de #moneytalks. En attendant, quelques initiatives personnelles tentent de pallier les absences du géant américain, comme celle des mecs cool et branchés du Club qui continuent de nous abreuver de recommandations pertinentes chaque semaine dans leur « Hebdo ».

À une époque où la principale préoccupation des youtubeurs n’est plus la création originale de vidéos mais d’arracher à l’algorithme ses secrets, il est grand temps que YouTube renouvelle sa vision du partage de contenu multimédia en ligne, sous peine de lasser ses créateurs et, inévitablement, ses utilisateurs.


Image d’accueil: Body painting Videoplayer. Model: Olga BelleMorte ©Wikimedia Commons.

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