Tout savoir ou protéger la vie privée ?

Par Angélique Massiani

Entre les déboires de la vie amoureuse de François Hollande et les costumes d’une valeur de treize mille euros offerts à François Fillon, on ne sait plus vraiment où donner de la tête. Étions-nous censés être au courant de ces informations ?

Bien sûr, on peut évoquer le droit à l’information, surtout quand il touche la vie politique, mais on peut également demander le respect de la vie privée (ce qu’a fait Emmanuel Macron la semaine dernière, en portant plainte contre un journaliste un peu trop insistant). Ces deux libertés sont fondamentales dans une démocratie et a priori aucune ne prime sur l’autre. Cependant, certaines circonstances exigent que l’on élise une gagnante, notamment lors d’un procès engagé pour diffusion d’informations sans le consentement de la personne touchée. Comment établir un équilibre entre les deux ?

Rester discret pour préserver son électorat

Dans l’affaire qui a opposé le jeune Octave Nitkowski, auteur du livre Le Front National des villes, le Front national des Champs, paru en 2013(1), et Steeve Briois, Secrétaire Général du parti, la Cour d’appel de Paris a estimé qu’« en raison de son statut de “personnalité politique de premier plan”, le droit du public à être informé prime sur le droit au respect de ce pan de sa vie privée ». Dans son ouvrage, Octave Nitkowski révèle l’homosexualité du Secrétaire Général du Front National, lequel avait pourtant défilé contre le PACS en scandant
« Les pédés au bûcher ! » en 1999. De son côté, l’avocat de Steeve Briois s’insurge et fait entendre que « son orientation sexuelle n’a rien à faire dans le débat public ». Finalement, Steeve Briois est condamné à verser 2.500 euros d’amende. Pour la cour d’appel de Paris, il semble plus important de tenir informée la population française que de protéger la vie privée d’un personnage public. En même temps, s’engager en politique, c’est aussi s’engager à se battre pour un idéal qu’on rêve de voir se réaliser dans son pays. Si la vie privée d’un homme politique est en total désaccord avec ses principes et ses appartenances politiques, il risque fort d’être désavoué et de perdre la confiance de ses partisans.

Se pose alors le problème de l’influence de ces informations sur la vision des électeurs. Celui qui appréciait le programme d’un homme politique n’est alors plus sûr de lui accorder son vote au vu des scandales dans lesquels ce dernier a été impliqué. Doit-on modifier son vote au motif que la morale fait défaut ? Certes, on répliquera que la corruption est assez communément répandue dans ces sphères. Il n’empêche qu’elle n’est pas à considérer comme une chose légitime. Il est en outre assez risqué d’appuyer sa campagne sur la probité pour se retrouver in fine accusé de corruption. Si le discours de l’homme politique va à l’encontre de ses actions, il paraît normal que les citoyens réclament un éclaircissement. Les électeurs qui adhèrent à une vision clientéliste de la politique réagissent autrement : « peu importe qui est le candidat pourvu qu’il fasse quelque chose pour moi ».

Si le discours de l’homme politique va à l’encontre de ses actions, il paraît normal que les citoyens réclament un éclaircissement.

Ainsi, il est difficile d’articuler liberté d’expression et droit à la vie privée. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a tenté d’y remédier par l’instauration de la notion de « mise en balance des droits en conflit »(2). On invoque l’ingérence lorsqu’entre en jeu l’intérêt général, qui prime alors sur le respect de la vie privée. Mais il est souvent difficile de déterminer si c’est le cas.

Publicisation du privé et privatisation de l’espace public

Il est d’autant plus important de réfléchir à cette articulation entre respect de la vie privée et droit à l’information qu’aujourd’hui la vie privée des politiques est de plus en plus exposée par les médias.

Les déboires des politiques : quelle friandise pour les journaux ! Alors que sévit la crise des médias, un bon petit sujet croustillant qui attire les foules ne se refuse pas. Malheureux ou non, les écarts dans la vie sentimentale d’un président attirent plus d’audience que ses nouvelles réformes. Tout se vend désormais, vive la transparence ! L’alimentation par les politiques eux-mêmes de leurs comptes Twitter ou Instagram ne fait que brouiller les limites. Il faut bien voir qu’aujourd’hui la vérification des informations prend du temps ; et on a souvent tendance à s’enflammer avant qu’il n’y ait confirmation des faits. A l’ère de la peopolisation, nous nous attendons à tout savoir puisque les politiques sont désormais perçus comme des stars. Jamil Dakhlia, professeur en sciences de l’Information et de la Communication, évoque(3) le rôle qu’ont joué les femmes de président dans cette peopolisation du pouvoir, par la révélation de détails de leur vie privée, comme par exemple dans le livre de Bernadette Chirac, Conversation, paru en 2001(4).

Malheureux ou non, les écarts dans la vie sentimentale d’un président attirent plus d’audience que ses nouvelles réformes. Tout se vend désormais, vive la transparence !

Edwy Plenel, un des fondateurs de Mediapart, évoque quant à lui la « privatisation de l’espace public qui accompagne la publicisation du privé ». Au début, il est certain que les hommes politiques ont profité de la presse people pour y afficher l’image d’une famille heureuse ou moderne et gagner en popularité. Une manière de renforcer sa stratégie de communication et de séduire l’électeur indécis. Ils ont fini par pâtir de cette surexposition et en ont perdu le contrôle : à la une de ParisMatch, voilà qu’on aperçoit Cécilia Sarkozy et son amant le 24 août 2005. Terminé le temps où l’on négociait pour révéler l’existence de Mazarine. La diffusion de photographies d’une personne sans son consentement est incriminée par la loi pénale seulement si elles ont été prises dans un lieu privé.

Pour autant, le droit français continue de prévenir les excès de la presse people. Porter atteinte à la vie privée d’une personne peut s’assortir d’une lourde condamnation. Depuis 1970, l’article 9 du Code Civil stipule que : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent sans préjudice de la réparation du dommage subi prescrire toutes mesures telles que séquestres, saisies et autres, propres à empêcher ou à faire cesser une atteinte à la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé ». Il est rare que des informations privées soient divulguées sans que l’homme politique concerné y ait apporté son consentement. Les médias français attendent généralement qu’une information ait fuité pour s’en saisir et se différencient par ce procédé de leurs homologues britanniques, qui ne s’embarrassent pas de telles formalités.

L’arroseur arrosé

Mais pourquoi percevoir cette divulgation d’informations sur la vie privée des politiques de manière négative ? Un homme politique doit posséder l’art oratoire mais doit aussi savoir s’assurer une bonne représentation auprès de l’électorat. Il a toujours soigné son image et s’empare d’un moyen de plus pour y souscrire. Pour Jamil Dakhlia, un homme politique doit se munir de symboles parlants qui rendent la réalité politique plus tangible pour les citoyens ; « un moyen de produire de tels symboles est de s’appuyer sur les formes médiatiques les plus populaires, comme les tabloïds ou presse people de nos jours ».

Il semble que c’est l’homme politique qui s’est jeté dans la gueule de la presse people et non l’inverse. Au début des années 2000, de nombreux politiciens sont venus quémander qu’on accorde une place à leur vie privée dans la presse afin de toucher le public plus intimement. De cette tendance a émergé le mot peopolisation. Le dilemme « tout savoir ou protéger la vie privée » se complique aujourd’hui puisqu’il s’avère que les politiques eux-mêmes ont voulu dévoiler leurs vies privées. Ils pâtissent aujourd’hui d’un exceptionnel retour de flamme. Si par la suite la peopolisation a davantage désigné la transformation des hommes politiques en vedettes à leur insu, la responsabilité leur en revient en partie.


(1) NITOWSKI Octave, Le Front National des villes, le Front national des Champs, Broché, 2013

(2) CEDH, 7 février 2012 « Vannover c. Allemagne

(3) DAKHLIA Jamil, « La représentation politique à l’épreuve du people: élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000 », Le Temps des Médias, 2008/1(n°10), p. 292

(4) CHIRAC Bernadette et DE CAROLIS Patrick, Conversation, Broché, 2001


Sources :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/01/27/les-affaires-privees-des-personnalites-politiques- font-partie-de-la-vie-publique_4355328_3232.html

http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/L-homosexualite-de-Steeve-Briois-au-coeur-d-un-proces-pour- atteinte-a-la-vie-privee-733144

https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2008-1-page-66.htm

https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2008-1-page-209.htm

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