L’UE et le Royaume-Uni : mariage difficile, divorce douloureux

Par Alexandre Glaser

L’enthousiasme du Royaume-Uni pour l’Union Européenne, son implication dans celle-ci ont toujours été en demi-teinte. Sa première candidature en 1961 (pourtant bien préparée par le premier ministre Macmillan, lui-même suffisamment confortablement soutenu à la chambre des Communes pour ne pas se soucier des réticences au sein du parti conservateur) fut un échec révélateur de cette posture ambiguë du Royaume-Uni à l’égard de l’Union Européenne. [1] Lors des négociations de 1961 à Bruxelles, le Royaume-Uni, fort de son statut impérial, voulut imposer ses entorses aux directives et règles communautaires (à l’image par exemple du refus du tarif douanier qui compromettrait ses relations avec le Commonwealth). Et l’on sait que les négociations se virent rapidement ajournées en 1963 sur véto catégorique de De Gaulle.

 

L’achèvement de relations compliquées

Entré sur référendum en 1975, le Royaume-Uni en sort aujourd’hui sur référendum. Et depuis 1973, les tentatives d’en sortir n’ont pas manquées, le labour party déclarant par exemple volontiers dans les années 1980 que : « même si la géographie et l’histoire ont inscrit l’Angleterre en Europe, la CEE n’a pas été conçue pour nous et notre intégration, en tant que membre [de la CEE] a rendu plus difficile la lutte contre les problèmes économiques et industriels »[2] . De fait, le RU est dans l’inconscient collectif européen perçu comme l’un des partenaires les plus réticents devant toute forme nouvelle d’intégration ou d’approfondissement communautaire.

Le Royaume-Uni ne participait pas au système monétaire européen[3], mais bien à la zone de libre-échange et ne participait ni à la PAC ni à la monnaie unique. L’on se souvient du discours violent d’une Thatcher qui, contestant le coût du budget européen et l’allocation trop importante des fonds européens à la Politique Agricole Commune, invectivait : « I want my money back ». Est-ce pour autant une raison de se réjouir de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, bonne nouvelle et pour eux (qui n’auraient plus alors à se voir imposer un diktat européen insoutenable), et pour l’UE (enfin débarrassée de cet allié compliqué) ?

La réponse naturellement est non : rien dans ce divorce n’est positif. Partenaire récalcitrant ou non, le Royaume-Uni, comme le montre avec justesse P. Schnapper[4], a très largement contribué au développement de la construction européenne, tant bien économiquement que politiquement. La relation a beau être par nature verticale (le Royaume-Uni cédant une partie de son autorité et de sa latitude décisionnelle à l’organisation supranationale) elle n’est pas unilatérale : nous y gagnions tous les deux. Deux exemples, parmi d’autres : le Royaume-Uni a largement contribué à la concrétisation du marché unique et a favorisé les relations entre les Etats-Unis et l’UE, servant d’intermédiaire (même si l’on reprocha au Royaume-Uni que sa relation transatlantique faisait obstacle à l’achèvement de son processus d’intégration européenne). D’un point de vue économique et commercial, il ne fait aucun doute que l’UE est un partenaire clé pour le Royaume-Uni : ses échanges commerciaux et ses investissements directs à l’étranger se font davantage en Europe qu’aux Etats-Unis. Mais alors, quelles conséquences, et, pour qui, de cette sortie ? Le peuple a fait entendre sa voix souveraine mais à quel coût ?

 

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Marasme national et perte de vitesse à l’international

En proposant un référendum en 2013 par intérêts strictement politiciens, David Cameron n’imaginait sûrement pas que la campagne de UKIP pour « Leave » aboutirait à un tel succès (51,9% des voix). C’était sans compter un contexte politique déjà compliqué, un retour des idéologies souverainistes et d’un certain populisme. Mais c’était surtout sans compter la faiblesse des arguments pro-européens aux yeux de la working class britannique : comme le fait remarquer le très bon article du Gardian[5], le discours économique sur la détérioration du pouvoir d’achat, l’instabilité des marchés financiers, la baisse de la qualité de vie et j’en passe ne pouvait avoir qu’un effet très relatif sur la partie la plus modeste de la population, déjà en proie à de sérieuses difficultés financières et pour qui toute solution nouvelle est bonne à prendre.

 

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Pour autant, les conséquences financières et commerciales seront dans tous les scénarios envisageables, mauvaises. Le marché unique avait en effet propulsé l’économie britannique, sans pour autant, contrairement à ce qui faisait le discours des eurosceptiques, amoindrir les possibilités commerciales extra-européennes. Pour ceux-ci, les bénéfices macroéconomiques seraient invisibles là où les coûts impliqués par la participation à l’Union Européenne, indéniables.

L’excellent rapport du Centre for European Reform (CER), de janvier 2014[6] analyse avec précision cet argument. De fait, la mondialisation a produit deux tendances dans la croissance mondiale : la première est une tendance à l’hyperspécialisation. A l’échelle internationale, une division du travail s’est opérée entre d’un côté les économies des pays développés et les économies des pays en voie de développement, selon les principes macroéconomiques des avantages comparatifs : la spécialisation permet une plus grande productivité, favorise les échanges car les pièces fabriquées en Asie ne valent rien si elles ne sont pas assemblées, ce que proposent les pays européens, et vice-versa.

Pour UKIP, cela voudrait dire qu’on perd tout à faire partie de l’UE alors que l’on devrait intensifier nos relations avec les pays en voie de développement. Mais cette logique ignore la deuxième tendance de la croissance mondialisée : les échanges commerciaux se sont intensifiés tout particulièrement entre les pays qui ont des économies aux morphologies symétriques. La valeur du commerce entre les pays développés est largement supérieure à la valeur du commerce entre les pays développés et ceux en voie de développement.

En bref, l’instabilité de la situation britannique affole les marchés financiers expliquant la chute du cours de la livre (au plus bas depuis 7 ans), ce qui sans être mauvais à court terme pour les exportations, est un désastre logique pour les importations. Les agences de notations sont à ce niveau unanimes : Moody’s affirmait que le coût économique du Brexit dépasse les gains, Fitch que la sortie de l’Union européenne risque de différer des investissements. Mais concrètement que va-t-il se passer, concernant les modalités du traité de sortie[7] ? Le problème est que les deux cas de figure sont mauvais et pour l’UE et pour le Royaume Uni :

  • Soit l’UE fait preuve de clémence et laisse le Royaume-Uni accéder au marché unique, en dépit de sa sortie de l’union, ce qui minimiserait les conséquences commerciales du brexit, en assurant une certaine stabilité dans les échanges transnationaux à l’échelle européenne. Toutefois, cette option envoie le message politique que quitter l’UE n’est peut-être pas une si mauvaise option, puisque l’on peut conserver les avantages qui y sont liés. Et il faudra peu de temps avant que d’autres pays ne se précipitent vers la sortie.
  • Soit l’UE fait preuve de fermeté en lui refusant l’accès au marché unique et elle perd l’une de ses places financières (pour ne pas dire sa place financière) et un partenaire commercial déterminant mais elle envoie un message fort au reste des pays membres.

En tout état de cause, tout se compliquera : instauration potentielle de visas, possible perte du AAA (passant de stable à « négatif »), perte de croissance, désunion du pays (l’Ecosse, qui a voté à 62% « remain » voudra-t-elle se désolidariser du Royaume-Uni ?) etc. Mais surtout, outre les conséquences économiques (nombreuses, les « merdes volent en escadrilles » comme dirait Chirac), c’est un message désolant pour l’humanisme européen que le Royaume-Uni envoie au reste du monde : à l’heure où l’Union Européenne plus que jamais a besoin d’approfondir les relations entre ses états membres, l’un de ses plus anciens partenaires quitte le navire au lieu de s’accrocher au mat. Et Balzac n’écrivait-il pas qu’une « séparation est l’avant-coureur de l’abandon, et l’abandon, c’est la mort »[8] ?


[1] http://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/a125033c-90ee-4355-a320-b38e7aaf4cca

 

[2] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/05/06/trente-ans-de-ruades-britanniques-contre-l-union-europeenne_4628924_4355770.html#ddIBxUGmCCddXh9O.99

 

[3] Le Système Monétaire Européen, instrument de la politique européenne constitué en 1979, vise l’encadrement des marges de fluctuation des cours monétaires. L’on comprend alors aisément que le RU, qui a d’intenses relations commerciales avec les EU ne veuille pas aligner sa politique monétaire sur celle de l’UE pour pouvoir dévaluer comme bon lui semble.

[4] P. Schnapper,Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union Européenne ?, La documentation française, Paris 2014

[5] https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/jun/24/eu-referendum-working-class-revolt-grieve?CMP=fb_gu

[6] The Great British trade-off, The impact of leaving the Eu on the UK’s trade and investment, John Springford and Simon Tilford, CER, janvier 2014

[7] L’article 50 du TUE dispose que l’état membre a deux ans avant que ne cesse l’application des traités communautaires

[8] Balzac, Un grand homme à Paris, 1839