Impasses et paradoxes des politiques environnementales : L’exemple du nucléaire

Par Alexandre Glaser

La création en 1971 du « ministère chargé de la protection de la nature et de l’Environnement » marquait à bien des égards sinon la prise de conscience généralisée de la préoccupation environnementale à l’échelle du milieu politique dans son ensemble, du moins l’insertion dans le langage politique et dans le cadre institutionnel de la question écologique. Et depuis 1971, l’espace occupé par cette question n’a cessé de croître, en France et à l’international : l’UE s’est dotée d’une compétence explicite en matière de régulation environnementale par l’Acte Unique de 1986 [1] et le traité de Maastricht (1992) a consacré la politique environnementale européenne. Les différents candidats à l’élection présidentielle de cette année, tout en lui accordant il est vrai une place plus ou moins grande dans leur programme politique, ont tous reconnu l’importance essentielle de l’enjeu. Tout serait-il donc en bonne voie et la planète presque sauvée ? Vivrait-on enfin dans le monde rêvé par Thoreau et d’autres ? Les animaux sont-ils devenus nos amis pour la vie ? (#produitslaitiers)

Dans The Atmosphere of Hope, le climatologue Tim Flannery [2] dresse un constat légèrement diffèrent : les émissions de carbone ne chutent pas, l’énergie renouvelable ne sera au maximum que la source de 40% des dépenses énergétiques mondiales d’ici 2040 et l’ONU prévoit d’ici 2050, quelques 250 millions de réfugiés climatiques [3]. Mais conclut Tim Flannery, la prise de conscience structurelle à la fois de la part des gouvernements, des entreprises et des citoyens est motif d’espoir (cette seule conclusion et les mesures préconisées par Flannery justifient le titre d’ailleurs, parce qu’à la lecture de l’ouvrage, on a davantage le sentiment que l’on n’est pas loin de l’ambiance de The Last of Us).

De la morale à l’économie : la distinction des champs

La politique environnementale a ceci de spécifique qu’elle se situe au carrefour de plusieurs champs : écologique d’abord, en tant que la préservation de la planète est sa préoccupation fondamentale, morale ensuite (il suffit de penser à la question animale – de manière raisonnable [4]), éthique, puisque la politique environnementale tout en opérant sur une échelle macro-structurelle, s’adresse également à la responsabilité individuelle, et enfin économique. Ces champs tout en étant indissociables en soi doivent être distingués dans la conduite de la politique environnementale, par souci de clarté et donc d’efficacité.

Si éliminer la part du nucléaire dans la balance énergétique française peut être souhaitable d’un point de vue écologico-moral, pas sûr que cela le soit d’un point de vue écologico-économique. Je m’explique : l’élimination des déchets finaux, la sûreté des centrales nucléaires, la production de déchets dans la transformation de l’énergie nucléaire sont des problèmes écologiques (ils mettent en danger de fait la planète) et moraux (ainsi qu’humains – cf. Tchernobyl). Pour autant éliminer radicalement tout recourt au nucléaire c’est : 1) faire appel dans une période plus ou moins longue au charbon pour compenser le déficit énergétique que la sortie du nucléaire occasionnerait (ce que l’Allemagne est en train de faire), et 2) occasionner une crise de l’emploi dans le secteur même s’il s’agit d’une question très compliquée : le coefficient de report du nucléaire vers les énergies renouvelables en termes d’emploi est difficile à quantifier. Par ailleurs, la question du nombre d’emplois concernés est moins pertinente que le recourt à d’autres indices macroéconomiques – PIB/secteur par exemple, car dès lors qu’un secteur crée de la valeur, les possibilités d’emploi augmentent. Enfin, toutes choses égales par ailleurs, la production d’autant d’électricité dans le nucléaire et dans le renouvelable ne requiert pas le même nombre de postes : « la production de 100 GWh d’électricité dans le solaire photovoltaïque nécessite la création de 87 postes contre seulement 14 emplois dans le nucléaire »[5].

Dépendance énergétique française au nucléaire

En d’autres termes la première impasse ou la première difficulté que semble rencontrer toute politique environnementale réside dans la conciliation ou l’équilibre des champs qu’elle concerne. La politique environnementale ne peut pas être abordée simplement selon un calcul cout/avantage. L’orthodoxie nucléariste arcboutée sur des politiques court-termistes me semble tout aussi néfaste que la chimère surréaliste d’une sortie immédiate du nucléaire sans transition planifiée.

Mais serait-il possible de planifier, efficacement une transition énergétique, parce que oui, ça urge, sans faire sauter toutes les centrales nucléaires ? Cela nécessite tout à la fois des programmes de formation et des investissements massifs de la part des entreprises du secteur et de la puissance publique, et plus profondément un changement, difficile mais nécessaire des mentalités.


[1] Acte Unique, 1986, « Titre VII », Environnement

[2] https://www.textpublishing.com.au/books/atmosphere-of-hope

[3] http://www.lexpress.fr/actualite/societe/environnement/bientot-250-millions-de-refugies-climatiques-dans-le-monde_1717951.html

[4] Mais fuck les SJW

[5] http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/le-vrai-du-faux/2017/03/03/29003-20170303ARTFIG00221-emplois-dans-les-energies-renouvelables-pourquoi-benoit-hamon-peche-par-optimisme.php?pagination=1#nbcomments