Le crime féminin

Par Anne-Charlotte Peltier

     L’exposition « Présumées coupables » aux Archives Nationales retrace l’histoire des procès-verbaux intentés aux femmes, du Moyen-âge à la Libération. C’est l’occasion de s’interroger sur la femme et l’évolution de sa représentation tant dans l’imaginaire collectif que dans la réalité juridique, et surtout de relire six siècles d’histoire avec un œil différent.

     La part de mystère et d’inexplicable qui plane autour de la créature féminine dans l’imaginaire collectif constitue un élément essentiel pour comprendre la figure de la sorcière, qui émerge au XIIIème. De nombreux procès retracent le récit – obtenus le plus souvent sous la Question- de jeunes femmes ayant dansé lors du Sabbat avec le diable, et ayant conclu un pacte avec lui. Des témoignages délirants racontent l’union scellée entre la femme et le diable par l’acte sexuel, de manière pudique ou plus crue. Vraisemblablement, le recours à la torture amenait les « présumées coupables » à avouer ce qu’on attendait d’elles, et les juges orientaient leurs questions de manière très intime.

     Simone de Beauvoir, dans le Deuxième Sexe, consacre une partie de l’ouvrage au mythe féminin : s’« il est toujours difficile de décrire un mythe ; il ne se laisse pas saisir ni cerner, il hante les consciences sans jamais être posé d’elles comme un objet figé », la représentation de la femme est source de contradictions « elle est le silence élémentaire de la vérité, elle est artifice, bavardage et mensonge ; elle est la guérisseuse et la sorcière ; elle est la proie de l’homme, elle est sa perte, elle est tout ce qu’il n’est pas et qu’il veut avoir, sa négation et sa raison d’être ». Ce qui apparaît clairement à travers la restitution des procès de sorcellerie, c’est cette dimension à la fois mystique ( la femme comme figure de celle qui a accédé à une dimension plus large du monde et aux forces qui nous dépassent ) et sensuelle ( son lien avec le Diable est forcément charnel ). La nature même des questions qui sont posées aux accusées répond de cette dernière dimension : leur sexualité débridée avec le démon est interrogée dans les moindres détails.

Abandonnée au XVIIème siècle, la sorcellerie a été définitivement reléguée au rang de croyance populaire, afin d’accentuer la rupture avec l’obscurantisme du Moyen-âge.

      Apparaît toutefois la figure des empoisonneuses, avec l’affaire des Poisons à la cour de Louis XIV, et l’exécution extraordinaire de la Voisin, qui fournissait notamment Madame de Montespan en petites doses diverses et variées pour servir ses intérêts et garder son emprise sur la cour du roi Soleil. Cet art des secrets de polichinelle et des recettes magiques participe de nouveau au mythe de la femme comme Autre, médiatrice entre la Nature qu’elle seule peut atteindre et les hommes, à mi-chemin entre la figure de la perfidie et de la guérisseuse.

      L’exposition traite également des « filles » (comprendre « célibataires ») jugées pour infanticides, tuant le nouveau-né non désiré, souvent fruit d’un viol, ou après abandon du père. La femme ici est jugée pour avoir manqué au devoir qui lui incombe, celui d’être mère en tant qu’elle est femme. L’infanticide n’est alors pas un « crime comme les autres », il est crime car la femme se doit d’être la mère de l’enfant qu’elle porte. Cette conception est à superposer au mythe de la séductrice et montre l’ambivalence du regard porté sur le genre féminin. On opère la distinction de crime « féminin », car il relève de caractéristiques considérées comme « propres aux femmes ». Beauvoir considère que ces caractéristiques ont été érigées par les hommes depuis les premiers temps du patriarcat : « (la femme… a été concrètement constituée comme l’Autre). Cette condition servait les intérêts économiques des mâles, mais elle convenait aussi à leurs prétentions ontologiques et morales ».

     De même, le sort des Tondues à la Libération montre une justice populaire doublement orientée : d’abord, tondre les femmes accusées d’avoir « couché avec l’ennemi », c’est punir la collaboration, de la même manière que les hommes ayant collaboré ont été pourchassés. Cependant, punir en les privant de leur chevelure, symbole de séduction et de luxure, c’est insister sur la dimension sexuelle de leur crime, c’est ajouter à la trahison la notion de débauche….

    L’exposition, en plus d’interroger la notion de crime féminin et de faire du sexisme un point central de ces procès, soulève ainsi la question du mythe de la femme. Il y a une sorte de fascination pour les femmes, en tant qu’elles sont femmes, et que la séduction et le mystère semblent leur être des caractéristiques inhérentes. Ce sont ces mêmes caractéristiques qu’on leur attribue qui conduisent à les juger à les inculper différemment…

     Enfin, certaines femmes criminelles sont devenues figures de mythe. L’histoire de Violette Nozière, qui défraie la chronique judiciaire et criminelle tout au long du XXème siècle, rassemble tous les éléments nécessaires pour susciter la fascination : cette étudiante de 19 ans menait, en parallèle de ses études, une vie de débauche et de prostitution. Son médecin ayant averti ses parents qu’elle souffrait de la syphilis, elle réussit à leur faire croire que c’était un mal génétique, afin de leur administrer un traitement qui devait en réalité les tuer. Sa mère en réchappa et appela au parricide, et Violette fut condamnée à mort. Le Général de Gaulle la gracie en 1946, la gauche l’élève comme symbole de la victime du patriarcat, mais les divergences demeurent et intriguent : menteuse, libertine, voleuse, provocante, effrontée, souffrante ? Où réside le crime, est-elle bourreau ou victime ?

Son procès a inspiré des poètes, comme Eluard (elle devint « l’Ange noir », égérie des Surréalistes ), et même plus tard, un film. Entre curiosité morbide et fascination, la femme criminelle reste sulfureuse et source d’inspiration.