Aux grands joueurs, la passion reconnaissante

Par Tanguy Chapin 

Euro 1984. Luis Arconada, dernier rempart de la Roja, commet l’irréparable sur un tir apparemment insipide de Michel Platini. L’Espagne s’incline. Le traumatisme est immense. L’Ibère quitte Paris en paria. Son nom devient un terme universel pour désigner une erreur du gardien. Cruel football.

La justesse n’est pas toujours l’apanage de la justice collective. Un glorieux passé peut rapidement être balayé d’un simple revers de main par la vindicte populaire.

Deux mains. Un revers. 27 juin 1984. En ce début de soirée estivale, Luis Arconada ne le savait pas encore. Une insaisissable fraction de seconde, un gant de fer redevenu velours. Un indélébile instant qui apposa au pied de son œuvre la signature éternelle de la maladresse.

 

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À la 57ème minute de la finale du championnat d’Europe 1984, le maître à jouer de l’équipe de France marqua au fer bleu le portier basque. Ironie du sort, cette fourbe destinée naquit de la courbe dessinée par un coup « franc ». La frappe sembla anodine. Inlassablement, sur le métier, il avait remis l’ouvrage. Cette fois-ci, il commit l’outrage. Encore ineffable à ses yeux, l’action renversa la fable innée qu’il effleurait jusqu’alors. Le succès lui filera entre les doigts en même temps que le cuir.

Le rêve d’un pays devenu le cauchemar d’un homme. La légende de la Real foulée aux pieds de Platini. Pourtant, le portier aux 68 sélections était loin d’avoir commis maintes fautes avant cette faute de main. Taulier de la Roja depuis plusieurs années, il avait réussi l’exploit d’emmener les Txuri Urdin conquérir les deux seuls championnats de leur histoire. Dès lors, à la lecture son immense carrière, comment expliquer la survivance d’une postérité si erronée ?

Ce fut justement sa grandeur qui magnifia sa décadence. Le plus grand gardien de l’époque, étincelant depuis le début du tournoi, genou à terre, lénifié devant l’insignifiant. La scène semble impossible, impensable. La chute serait trop criarde, trop cruelle. Le contraste avec son parcours sans le moindre accroc demeure encore saisissant. Un infaillible revolver qui s’enraye lors de l’ultime duel d’un désormais macchabé. Une tache aussi violente que grossière sur un monochrome anciennement immaculé. Le crépuscule soudain et aveuglant d’une idole.

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Les vainqueurs écrivant l’histoire, l’expression « faire une arconada » restera inaltérable. Ces quelques lignes n’y pourront malheureusement rien. Néanmoins, au-delà du mirage que représente ce sombre abîme, la vérité de la surface verte demeure. Pendant quinze années, ses brillantes parades illuminèrent les travées populaires du stade d’Atocha. Il est encore possible d’entendre le célèbre « No pasa nada, tenemos a Arconada » (« Il n’y a rien à craindre, nous avons Arconada ») résonner dans les ruelles de San Sebastián. Son écho constitue aujourd’hui la plus formidable des réhabilitations.

Arconada. L’histoire s’empara de son nom aussi maladroitement qu’il se saisit du cuir il y a une trentaine d’années. Notre mémoire collective demeure injustement sélective. Perdón Luis. Puisse le temps changer nos préjugés surannés qui ternissent le panthéon du ballon rond. Aux grands joueurs, la passion reconnaissante.