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19 novembre 2020

Violer une loi

Le 14 octobre 2020, la Cour de Cassation s’est prononcée dans une décision qui départageait viol et agression sexuelle. L’affaire mettait en cause une jeune fille de 19 ans, cible depuis ses 13 ans des attouchements de son beau-père. Celui-ci avait « pris l’habitude de lui imposer de se déshabiller, lui caressant le vagin et les fesses, se frottant contre elle et lui léchant le sexe, sous prétexte de prétendues punitions destinées à la corriger »1. La jeune fille ayant porté plainte contre son beau-père pour agression sexuelle et viol, l’affaire fut renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris.

Le droit français dresse une frontière très claire entre un viol et une agression sexuelle. Cette frontière est la pénétration. D’après l’article 222-23 du code pénal, le viol est « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise »2. Le terme « de quelque nature qu’il soit » désignant l’acte de pénétration insiste sur le fait que, qu’elle soit commise avec un doigt, un pénis, une langue, ou un objet, sur un vagin, un anus, ou une bouche, une pénétration forcée est toujours considérée comme un viol. Ce dernier est un crime puni de quinze ans de réclusion criminelle.

De même, depuis la loi Schiappa de 2018, l’agression sexuelle peut être considérée comme un viol, et ce que la personne pénétrée soit la victime ou l’agresseur. Un agresseur qui force la victime à le pénétrer (par exemple avec un objet) est ainsi considéré comme un violeur.

La Cour de Cassation a jugé dans l’affaire de la jeune fille victime de son beau-père que celui-ci, lui ayant léché le vagin de force, ne l’avait pas pénétrée, sa langue étant restée « à l’orée de son vagin » et que le viol n’était ainsi pas caractérisé. Le beau-père est donc inculpé non pas pour viol, mais pour agression sexuelle. Tandis que le viol est un crime, l’agression sexuelle est un délit. Le viol est passible de minimum quinze ans de prison, avec 20 ans à perpétuité dans le cas de circonstances aggravantes. L’agression sexuelle est passible de seulement 5 ans de prison, maximum 7 en cas de circonstances aggravantes.

En l’espèce, la victime étant mineure, la relation incestueuse et l’agresseur ayant autorité sur la victime, les circonstances aggravantes sont très clairement caractérisées. L’agresseur risque donc 7 ans d’incarcération, contre entre 20 ans et la perpétuité si l’acte avait été qualifié comme un viol.

Mais pourquoi un cunnilingus forcé est-il considéré comme une simple agression sexuelle ? Aujourd’hui, les sexualités se libèrent. Le sexe oral fait partie intégrante de l’acte sexuel et la pénétration est incessamment désacralisée. Le fait de ranger des caresses bucco-sexuelles forcées dans la catégorie des agressions sexuelles (qui contiennent pêle-mêle : main aux fesses, embrasser de force, toucher les seins, peloter, etc..) est incessamment remis en question, puisque l’acte fait aujourd’hui partie intégrante d’une relation sexuelle.

Il est logique de penser que mettre en contact sa langue avec la vulve d’une personne n’est pas un acte de la même gravité qu’une main aux fesses ; qu’il s’agit d’un acte hautement intime, un dépassement plus aggravé de la sphère personnelle, et qui fait partie intégrante de l’acte sexuel. Aujourd’hui, un échange de caresses bucco-génitales est une relation sexuelle à part entière.

De plus, avant la loi Schiappa, un jeune garçon ayant reçu une fellation forcée n’aurait pas été considéré comme violé, puisque « le pénétré » aurait ici été l’agresseur. Mais depuis 2018, ce garçon est considéré comme victime d’un viol. Pourquoi une jeune fille recevant une caresse bucco-génitale forcée ne pourrait-elle pas se considérer comme victime d’un viol également ?

Encore une fois, le droit est-il mal proportionné face à la réalité des choses ? Soyons honnêtes : rares sont les jeunes filles qui portent plainte après une main aux fesses. Le délit d’agression sexuelle n’est souvent prononcé que lorsque des actes plus graves ont lieu, mais que le viol en lui-même n’est pas caractérisé. De ce fait, l’agression sexuelle apparaît comme un délit prononcé seulement de manière compensatoire, pour reconnaître l’état de victime à celles et ceux qui n’ont pas réussi à faire constater un viol sur leur personne.

Comme le montre la loi Schiappa, ce qui pouvait être considéré comme une agression sexuelle hier peut aujourd’hui être considéré comme un viol. La question se pose sur la frontière que constitue la pénétration, de plus en plus remise en question par l’évolution des sexualités. Mais cette dernière constitue, de fait, un élément vérifiable sur examen gynécologique, ce que le sexe oral n’est pas. La disparition du critère de pénétration pour faire constater un viol ne risque-t-il ainsi pas d’affaiblir la capacité de la justice à faire reconnaître ledit viol, et ainsi ouvrir le champ des contestations face à des peines aussi lourdes que la prison à perpétuité ?

Depuis l’article 331 du code napoléonien de 18043, volontairement flou, qui ne considérait comme viol que la pénétration forcée et violente du sexe d’une femme par le sexe d’un homme, et seulement dans le cadre hors mariage (pas de viol possible d’un mari sur son épouse); les textes ont énormément évolué. Sensible aux mœurs, le droit évolue sans cesse, s’adaptant aux sociétés qu’il régit. Si le critère de la pénétration est « pratique » pour constater un viol, puisque médicalement vérifiable, il est incessamment remis en question par certains juristes, qui au nom de l’évolution des mœurs et mentalités, demandent sa suppression.

 

 

 

: Source : Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 14 octobre 2020, 20-83.273, Inédit. Décision consultable sur https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042464424?tab_selection=juri&searchField=ALL&query=viol&searchType=ALL&typePagination=DEFAULT&sortValue=DATE_DESC&pageSize=10&page=1&tab_selection=juri

2 : article 222-23 du code pénal à retrouver sur https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000037289535/2018-08-06/

3 : « Quiconque aura commis le crime de viol, ou sera coupable de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou de l’autre sexe, sera puni de la réclusion »

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