La Réac’ : Victoire de Trump à la présidentielle américaine
Par Kilian Davy, Corentin Jaouen, Alexandre Glaser, Adriana de Villers et Thomas de Réals
Les plumes atterrées de Streams laissent couler leur encre sur le résultat du scrutin de la présidentielle américaine.
Kilian Davy
Make polls great again
Le résultat de ces élections n’est finalement pas tant une victoire surprise de Donald Trump qu’une cuisante et surprenante défaite d’Hillary Clinton. Rares sont ceux qui avaient vu se profiler ce raz-de-marée électoral, et ils sont encore plus rares du côté des médias et des instituts de sondages. Si celle qui aurait pu devenir la première Présidente des Etats-Unis n’occupera jamais le bureau ovale, ces-derniers la voyaient déjà on top of the world : entre mai 2015 et aujourd’hui, plus de 376 sondages ont été réalisés outre-Atlantique. 346 donnaient Clinton gagnante, soit une écrasante majorité. Lundi, le Huffington Post donnait même l’ex-première dame vainqueur à 98%.
Cependant, c’est bien le milliardaire mégalo qui investira la Maison Blanche dans deux mois. Après la présidentielle française de 2002, le référendum écossais de 2014 ou celui britannique de juin dernier, c’est au tour des Américains de pâtir de ce syndrome de plus en plus commun. Les sondages seraient-ils devenus fous ? Echantillonnages approximatifs, intentions de votes bouleversées suite à un tweet incendiaire de Trump sur Obama, interprétations hâtives… Nombreuses sont les raisons qui pourraient expliquer cette situation. Ajoutez à cela un système électoral illisible : l’écart entre le vote populaire, pourtant acquis à Clinton, et le vote des grands électeurs, qui ont sacré le magnat de l’immobilier, est significatif.
Notre confiance en ces sondages, qu’on nous bombarde à longueur de journée, doit donc être tempérée. Hier, le clan démocrate dégustait champagne et crus bordelais. Aujourd’hui, la carrière de leur représentante est sur le point d’être mise en bière.
Une chose est certaine néanmoins, et aucun sondage ne me contredira : personne, pas même Trump, ne peut prédire ce qu’il adviendra de toutes ses promesses aussi insensées les unes que les autres. Peut-être faudrait-il, en dernier recours, se référer au visionnaire Matt Groening, qui, en 2000, avait parodié l’investiture de ce cher Donald… dans un épisode des Simpson. Ce soir, une partie du peuple américain rit jaune, et le monde entier se penche désormais vers ce qui apparaît être la prochaine épopée homérique.
Corentin Jaouen :
Orange médiatique
C’est un réveil sous forme de gueule de bois pour beaucoup d’entre nous aujourd’hui. On s’indigne à foison mais à raison du danger inédit que représente la métamorphose en président d’un candidat aux promesses si funestes. Ainsi les questions sans réponses laissées par ce vacarme ressemblent fortement à une liste à la Prévert, la poésie en moins : misogynie vertigineuse, vision manichéenne de l’immigration, climato-scepticisme, remise en cause isolationniste des traités internationaux…
Mais on ne peut simplement se murer dans la contemplation passive et dégoutée de ce naufrage du bateau institutionnel américain : dans le reflet de la mer agitée, c’est notre propre marasme qu’on aperçoit. Si on ne tire pas les bons enseignements de ce séisme, un scénario similaire nous attend. Car les torts sont partagés.
En première ligne, les médias. En tournant systématiquement l’homme d’affaire en dérision, beaucoup ont occulté les fondements même de son ascension qui n’ont pourtant rien de risible. Si la personnalité de l’orangé est bien entendu critiquable, sa voix a été portée par toute une partie de la population américaine sensible avant tout à son discours. C’est donc sur le terrain des idées qu’il fallait répondre à chaque fois au new-yorkais, en s’attelant à démonter ses propositions une à une avec application pour montrer leur stupidité plutôt que de crier au loup. Si certains médias ont tiré leur épingle du jeu, d’autres, attirés par le sang et le gain, ont préféré le buzz de l’instantané et des petites phrases à la froideur de l’analyse et du débat posé. Dans ce capitalisme cognitif, l’information ne doit pas constituer une marchandise comme les autres : les médias doivent retrouver leur rôle explicatif indispensable à la régulation saine de toute démocratie.
Pour les politiques le message est clair. Il est temps d’arrêter de diviser pour mieux régner en ne parlant qu’aux groupes dans un but électoral ciblé. Ce sont ces murs là qui sont les plus dangereux. Ce n’est pas aux sondages de guider les politiques car l’essentiel est invisible pour les chiffres : la cohésion d’une société est bien plus qu’une addition de facteurs simplement identifiables. Surtout, les politiques doivent affronter la réalité en face : le monde n’est pas exactement conforme à la vision qu’on lui prête quand on sort des meilleures écoles. Quand on ne produit plus un discours porteur de sens pour tout le monde, on s’expose à des réactions guidées par des sentiments, ce qui ouvre la porte aux vieux démons comme la peur de l’autre. Le 8 Novembre 2016 restera dans l’histoire comme un exemple concret. Quid du 7 Mai 2017 ?
Joris Largeron :
Des combats plein la basse-cours, débats cons pleins de coups bas
Souvent en regardant nos débats politiques télévisés, les primaires de la droite par exemple, j’ai honte. Honte que les dirigeants de mon pays ne puissent proposer un débat à la hauteur des enjeux. Honte qu’ils ne puissent proposer des idées à la hauteur des mutations que le monde a connu. Honte qu’ils n’osent pas rentrer plus en profondeur dans les problématiques et les théories qui devraient tous nous préoccuper, par peur de paraitre ennuyeux à un électorat malheureusement de plus en plus enclin à faire le tour de l’immonde secret story qu’à percer les stories secrètes du monde qui nous entoure.
Mais les américains me rassurent, ils me font relativiser. A coté d’eux nous sommes en effet très light en terme de politique spectacle. Le mec fait des tours de d’avion au dessus de ses meeting, il a un bagage économique proche du néant, il fait le clown pendant 2 heures au micro à chaque événement public et il devient président de la première puissance économique et militaire du monde. Après avoir vu ça, on peut mourir tranquille…
Alexandre Glaser :
Trump, le populisme finalement à la Maison Blanche
“Courez mes frères, wllh c’est la hess”
Tout laissait croire que Donald Trump n’était au fond qu’un énième candidat idiot envoyé par le parti républicain à la lutte contre une candidate démocrate, qui, moyenne ou non, honnête ou non, était sûre de l’emporter haut la main. Rares furent ceux qui crurent que le système électoral américain aurait laissé une chance à Trump : l’intermédiaire des grands électeurs et le principe du « winner-takes-all » auraient pu en effet favoriser, comme ce fut le cas pour Obama, la candidate démocrate. Mais il n’en fut rien : le populisme de Donald Trump lui a rallié les classes moyennes américaines, lassées d’un jeu politique qui les laisse pour compte et au fond, blasées de tout. C’est là, à mon sens, que réside tout le paradoxe de l’élection de novembre 2016 : là où l’intelligentsia politique et intellectuelle demeurait persuadée que les déclarations scandaleuses du candidat républicain (s’attaquant à ce qui constitue le terreau de la si particulière démographie américaine : les femmes, les homosexuels, les noirs, les mexicains et les minorités religieuses) finiraient par éreinter tout l’électorat, par dégouter jusqu’aux plus conservateurs républicains, c’est tout l’inverse qui se produisit. Trump l’a emporté certainement parce qu’il refusait les codes déontologiques régissant le jeu politique (pour autant qu’il en existe), parce qu’il jouait à un autre jeu où l’indicible peut et doit être dit, où la bienséance (ou toute forme d’éthique à vrai dire) ne siège plus en principe régulateur. En d’autres termes, il réactivait une vieille croyance profondément enracinée dans l’habitus politique américain que l’on peut tout dire. Ce faisant, il ralliait à sa cause les indécis, les dégoutés, les familles moyennes blanches et protestantes, les personnes âgées : « je suis un candidat mais au fond je ne suis rien d’autre qu’un homme, je n’en sais pas plus que vous mais au moins je n’appartiens pas au système ». C’est un mensonge qui s’appuie sur le sentiment d’un mensonge plus profond dénoncé par Zarathoustra dans Ainsi parlait Zarathoustra (Nietzsche) : « L’Etat (…) ment froidement et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « moi l’Etat, je suis le peuple ». En s’affirmant du peuple, Trump a su, pour notre malheur à tous, faire croire qu’il n’était pas de ce monde de la politique, qu’il n’est qu’un autre membre oublié d’un peuple ayant perdu toute forme de croyance dans le politique.
Adriana de Villers :
La peste ou le choléra ?
C’est le dilemme qui s’est présenté aux Américains tout au long de la campagne présidentielle.
Pour nous, Européens, Clinton était un choix incontestable. Mais nous voilà face à la réalité, si absurde soit elle : Trump 45ème président des Etats-Unis.
Comment ? Pourquoi ? Les questions se bousculent et le désarroi m’empare. Ils sont fous ces Américains…
Et pourtant, entre la polarisation extrême de la vie politique, la haine viscérale des Républicains envers Hillary, le nationalisme blanc qui se cherche, la voix des perdants de la globalisation et l’attirance pour le show de nos amis d’Outre-Atlantique, Trump a su séduire son pays.
Après la fièvre des élections et le choc du résultat, il ne reste plus qu’à s’adapter à cette situation inédite.
On peut relativiser en se disant que le fonctionnement politique américain laisse peu de liberté de manœuvre au président, qu’en quatre ans il ne risque pas de se passer grand-chose, que Trump n’est peut-être que paroles et paillettes sans profonde volonté d’action, que l’Europe pourrait profiter du protectionnisme mis en avant par l’élu américain pour accroître son importance dans les relations internationales, etc., etc.
Pour l’instant, il s’agit surtout de garder les pieds sur terre et de protéger notre démocratie dans les années à venir.
Thomas de Réals :
Pour en finir avec Trump
Je pense pouvoir sincèrement faire le serment de ne plus travailler quoi que ce soit sur Trump. J’en ai assez écrit et son cas me désespère, d’autant plus que j’ai la sensation, avec mon premier article, d’avoir participé au problème -même si je ne suis pas passé près d’influencer un quelconque électeur américain. En l’attaquant sur ses défauts personnels, Obama, la campagne Clinton, les médias que j’ai plébiscités, jusqu’à moi, avons raté une occasion de relever le débat. D’attaquer Trump là où il ne savait pas se défausser des coups par une parade Twitter. Le monde médiatique et politique souffre à présent de ne pas l’avoir pris au sérieux, et paye cher son ton paternaliste et ses injonctions de vote. Il y a probablement une leçon à en tirer pour nos médias, une leçon d’humilité et une bonne claque de réalisme et surtout la prise de conscience qu’on ne peut attendre aucune valeur morale a priori de la part du public. Retour au terre à terre.
Voyons ceci dit le bon côté des choses, tâchant de ne point trop participer à cette polémique sans fin et cette logorrhée médiatique généralisée. Tous les gens qui pèsent un peu aux Etats-Unis, les Robert de Niro, John Legend, Will Smith, Beyoncé et Jay-Z, George Clooney, Jennifer Lawrence, Olivia Wilde, Bryan Cranston, Stephen Hawking, Stephen King, Susan Sarandon, Samuel L Jackson, John Oliver, Johnny Depp ou Shakira, pour ne prendre que les New-Yorkais les plus fameux, et beaucoup, beaucoup d’autres, ont bien fait savoir leur mépris pour le candidat et le danger qu’il représente. On peut se dire que, commençant par eux, on pourrait voir une inversion du fameux phénomène de Brain Drain étasunien et une répartition de tous ces gens talentueux dans notre vieille Europe et dans tout un tas d’endroit où on pourra s’amuser de les voir évoluer.
Autrement dit, la probabilité de croiser Will Smith ou Beyoncé dans les rues de Paris n’a jamais été aussi grande. Avec un peu de chance les concerts baissent un peu en tarifs partout et les productions françaises s’enrichiront des talents étasuniens. Tout bénef finalement.