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5 octobre 2018

Salut vieille branche

 

Salut salut, je suis venu vous dire salut. Et puis merci d’être venus. Simone, Jean-Philippe alias Johnny (un nom d’artiste qui ne ressemble pas à un pseudonyme de jeuxvideo.com), Jean, France (de son vrai prénom Isabelle), Charles (même si Shahnourh son prénom arménien est un joli prénom également), vous nous avez quittés ces mois derniers. Vieux chênes millénaires d’un autre siècle, vous aviez gardé votre sève de jeune pousse. Pourtant le XXème siècle s’était clôturé en mai 2004 avec le dernier épisode de Friends. Vous aviez daigné accomplir un bout de chemin supplémentaire avec nous. Alors merci. Et puis, en guise d’épitaphe, salut.

 

J’aurais été Bouvard, j’aurais salué Serge Dassault. Mais je ne m’appelle pas Philippe, et de toute façon, les étudiants des écoles de commerce ne lisent plus les pages blanches du Figaro. En revanche ils lisent les mémoires des personnalités politiques. Les deux candidats du second tour de 2002 ont publié les leurs, car ils savent que c’est Giscard qui les enterra tous.

 

Cet article aurait pu s’intituler « Éloge d’un temps que les moins de 70 ans ne peuvent pas connaître ». Mais plutôt que d’être réactionnaire à 20 ans, contentons-nous de célébrer la simplicité de ces grandes figures. La force de caractère de madame Veil, la constance de monsieur Smet, la malice de monsieur d’Ormesson, la discrétion de madame Berger-Gall, la passion de monsieur Aznavour. Leur longue présence dans les paysages politiques, culturels et artistiques de nos grands-parents, preuve que pour exister il faut savoir durer, il faut désirer demeurer. Nul besoin de comparer avec nos contemporains, les générations à venir seront plus aptes à juger. La génération du poste de télévision a bien vécu, observons vivre celle du téléphone élégant (smartphone, forçons en refusant de pêcher par anglicisme dans un billet d’humeur franco-français). « Ne parle jamais d’un arbre avant d’avoir vu les fruits qu’il rapporte » (proverbe persan, n’est pas franco-français qui veut).

 

Salut parce que c’est tout ce que vous méritez. Un tout qui représente beaucoup. Les honneurs qui sont codifiés par le salut militaire. La baisse du rideau qui se fait attendre parce que la troupe ne peut se résoudre à rejoindre les coulisses. Le respect dont témoignent mutuellement les combattants avant de d’affronter sur le tatami. Salve, spes notra, salve.

 

Salut parce que c’est tout ce qu’on vous souhaite. La promesse divine de l’éternité. Vous y avez déjà goûté au buffet de la gloire médiatique. Votre postérité est un fruit plein de saveur qui n’est pas près de perdre son goût. Et lorsque le fruit est consommé, les graines sont prêtes à être plantées. Puisse la lumière de vos œuvres enclencher une photosynthèse excitante. Si la lumière est captée par les feuilles, l’eau est absorbée par les racines. Un réseau de racines suffisamment dense pour se nourrir des idées de la terre. Astucieuse combinaison qui permet de fleurir avec son temps, où le passé s’efface sans disparaître pour laisser la modernité s’épanouir.

Merci d’avoir été passionnément français !

Passé, solide tuteur sans lequel la jeune pousse se tord, tu es toi-même la branche d’un arbre qui a déjà bourgeonné. Passéisme, vieux bois sec et fissuré sur lequel le vieillard en personne ne peut s’appuyer. Progressisme, jeune roseau qui ne rompt pas mais plie au gré des vents. A chaque arbre vient son heure, autant porter du fruit avant qu’il ne meure. Arrêtons-nous ici avant un éloge du conservatisme, arbre fruitier qui connaît l’importance des saisons. La fin de l’histoire, si tant est que nous y sommes, ne sera pas synonyme de fin de la culture, parce que les hommes de culture ne rendent pas les armes, parce qu’ils maîtrisent l’art de la fertilité.

 

Merci d’avoir été passionnément français ! Nous n’oublierons pas le témoignage saisissant des yeux de Simone Veil, la gorge infatigable de Johnny Halliday, le sourire espiègle de Jean d’Ormesson, la voix chaude de France Gall, le regard nostalgique de Charles Aznavour. Nous n’oublierons pas vos discours, vos livres et vos chansons. Le Panthéon ne peut pas tous vous accueillir. Les cimetières de village où s’ouvre et se ferme le ban aux morts sont tout aussi agréables pour jouir du repos éternel. Et puis on peut y déposer des bouquets de houx vert et de bruyère en fleur.

 

Alors, merci. Adieu jusqu’à la prochaine fois.

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