La Villa Médicis, à la croisée des enjeux de politique culturelle

Par Anne-Charlotte Peltier

Depuis son acquisition par le Consulat, en 1804, la Villa Médicis accueille l’Académie de France à Rome.S’il s’agit d’un lieu de prestige, nombreux sont pourtant les débats que soulève son organisation. La récente nomination de la directrice Murielle Mayette a ravivé les critiques : luttes d’influence, intérêt réel de l’Institution, et surtout, coûts de financement… En 2007, le sénateur UMP Yoann Gallois avait d’ailleurs publié un rapport d’enquête sur le coût financier de la Villa, que nombreux jugent trop élevé.

La Villa Médicis, par son rôle, sa position, ses activités, se retrouve de fait à la croisée des nombreuses problématiques de politique culturelle.

Missions et activités

La Villa Médicis s’organise principalement autour de trois missions.

La mission Colbert a pour objectif premier d’offrir un cadre privilégié à une vingtaine de pensionnaires, sélectionnés sur concours, afin qu’ils puissent mener à bien leur projet artistique, sans qu’ils aient d’obligation de résultat. Le nom de cette mission est né du décret de 1666 qui affirmait la volonté du ministre des finances et de Louis XIV d’offrir aux jeunes artistes français distingués par l’Académie Royale un cadre où approfondir leur technique et s’inspirer des grands maîtres italiens.

La Villa a compté plusieurs illustres pensionnaires, dont Ingres, Berlioz, Charles Garnier. Plus récemment, le compositeur Pascal Dusapin ou l’écrivain Renaud Camus ont également séjourné dans les pavillons du jardin de la Villa.

Vient ensuite la mission Malraux : assurer l’organisation de manifestations culturelles participant au rayonnement de la culture française à l’étranger. Balthus, nommé directeur de la Villa en 1961 par Malraux, fut un pilier de cette politique culturelle en y organisant de grandes expositions d’art français.

Aujourd’hui, la Villa est régulièrement le cadre d’importantes expositions (comme celles d’Anselm Kiefer ou de Yan Pei-Ming), qui font de l’Académie de France à Rome un centre culturel rivalisant avec les autres musées de la capitale.

De plus, les directeurs successifs ont cherché à offrir au public un choix d’événements et d’activités diversifié. Eric de Chassey, directeur jusqu’en 2016, a par exemple institué la « Villa Aperta », festival de musique electro-pop et rock se déroulant sur trois jours au mois de juin dans le parc de la Villa (Offenbach, Brigitte, Cristophe et Gesaffelstein s’y sont – entre autres – produits), et les « Jeudis de la Villa », mis en place par la nouvelle directrice Murielle Mayette, permettent de créer un dialogue entre des artistes contemporains et le public.

Enfin, la dernière mission est celle du Patrimoine et vise à assurer la protection du monument et des œuvres, et leur valorisation auprès du public.

Les jardins de la Villa Médicis. © Anne-Charlotte Peltier

Le pensionnaire Ramy Fischler, designer industriel de la promotion 2010, s’est par exemple penché sur les inventaires de la Villa (chaque pensionnaire depuis le XVIIème siècle était tenu d’en avoir un) pour étudier le patrimoine en interne. Il dénonce une mauvaise gestion de ces biens : par exemple, un modèle de banquette Louis XV conçu spécialement pour l’Académie est aujourd’hui disposé au pied du lit d’une chambre louée aux touristes…

L’enjeu actuel de la Villa est donc à la fois de consolider le lien certain qui unit l’Italie et la France, de faire rayonner la culture classique et contemporaine française à l’étranger et de permettre la rencontre avec l’art contemporain en s’ouvrant au public tout en préservant l’intimité qui sert l’inspiration des pensionnaires de ce lieu d’exception.

Financement

En tant qu’établissement public administratif sous tutelle du Ministère de la Culture, une majorité du budget de la Villa est assuré par le financement public (à hauteur de de 6 millions d’euros par an, ce qui ne représente donc qu’une goutte d’eau par rapport au budget total de la Culture), et est dédié aux salaires – une majorité d’agents de la Villa sont recrutés sous contrat de droit local – et à la restauration du lieu.

Mais la Villa a également une dynamique de ressources propres par le biais du mécénat privé (Total, Air France, Lagardère…), du sponsoring, de la location et de sa billetterie.

La critique concernant le poids financier relève surtout du coût par tête, relativement élevé : environ 2 000€ pour un pensionnaire célibataire, 3 200€ s’il est accompagné de sa famille, ce qui amène à interroger la distinction entre pensionnaires et fonctionnaire d’Etat… Et également à dénoncer la cage dorée dans laquelle ils ont la chance de pouvoir évoluer, entre 6 et 24 mois, sans nécessairement apporter de plus-value à l’Académie, puisqu’ils ne sont pas contraints de proposer une œuvre à la fin de leur séjour.

Un rapport du Sénat à cet effet envisageait de fait d’instaurer un « Nouveau Prix de Rome ».

Perspectives

Enfin, l’initiative de l’ancienne ministre de la Culture Fleur Pellerin, qui projetait l’ouverture d’une Villa Médicis à Clichy-Montfermeil, s’inscrit dans le nouveau tournant de la politique culturelle : celui du développement des territoires et de la cohésion sociale.

L’un des enjeux à présent de la Villa, à travers ce projet qui devrait voir le jour en 2023, est de faire le lien entre lieu d’exception et territoire du quotidien, entre histoire prestigieuse et problématiques actuelles.

Le projet du pensionnaire Lancelot Hamelin « The Light House » semble s’inscrire particulièrement dans cette lignée. Pendant la campagne électorale, l’artiste a recueilli les rêves nocturnes des habitants de la ville de Nanterre. Il a ensuite retranscrit et imprimé ces entretiens sur de longues feuilles de papier, que le visiteur de l’exposition finale peut détacher, comme un prospectus. Chaque personne interrogée est nommée ; et ses origines, son âge, sa religion, sont indiquées.

Ce projet compte alors une dimension sociologique, celle de cerner les enjeux de notre époque en interrogeant la sphère intime du rêve, mais permet également de rétablir le lien entre le territoire du quotidien (la ville de Nanterre) et l’Académie de France à Rome: somme toute, le défi que semble avoir à relever l’Académie aujourd’hui.

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