Le lynchage des réseaux sociaux : balancer ou vouer aux gémonies ?
Par Ange Santoni
Le like n’est ni l’épée de Damoclès, encore moins celle du Roi Salomon. Rangez votre arme au fourreau.
Emily Ratajkowski sommée de présenter ses excuses pour avoir fait l’apologie de la beauté de la chevelure féminine. Griezmann taxé de raciste pour avoir célébré le Meadowlark Lemon des Harlem Globetrotters. Tariq Ramadan (enfin) désavoué pour ne plus représenter cette figure de l’Islam modéré qu’on avait voulu voir en lui – n’est pas petit-fils du fondateur des Frères Musulmans qui veut. A l’inverse, la pacifique et rayonnante Mennel victime du combat au rabais contre l’islamisme alors qu’elle chante une Palestine « terre du Salaam et de Yom Kippour ». Après les procès de Moscou, les autodafés nazis ou encore les tontes de la Libération, place à la justice de spectacle des réseaux sociaux.
Ou, pardon, plutôt que de convoquer ici Thémis, accusons un puritanisme qu’on croyait disparu avec la désécularisation du fait religieux. Pardonnez-moi, mais hormis le glaive de l’intransigeance, il manque cruellement au Twitto le bandeau de l’impartialité et la balance de l’équité. Le puritanisme, lui, est décidément de tous les combats. Nombreux sont les prêtres et autres druides habilités à pratiquer le sacrifice de tout internaute déviant sur l’autel des réseaux. Tu fais repérage, mais n’y cherche pas l’indulgence de l’Angry React. Encore plus nombreux sont les followers bigots qui admonestent les martyrs déchus sur la toile en exigeant une justice expéditive : retrait de la publication, présentation d’excuses aussi plates que des limandes. Déso pas déso, tu vas finir seul dans ta bando. Parce qu’ils donnent audience à des apprentis sorciers qui mélangent de manière brouillonne liberté d’expression et suspicion anxiogène, les réseaux mettent le feu aux poudres d’une société crispée. Mais le dangereux échantillonnage de polémiques explosives n’est-il pas le prix à payer pour une parole libérée ?
Rassurez-vous amis veneurs, la chasse n’est pas passée de mode. Celle au Twitto déviant est ouverte, les Angry reacts sonneront l’hallali. N’y manquent ni les munitions ni le gibier, les chiens feront curée dans les commentaires sur les réseaux. Heureuse la star qui entendra sonner Rosalie. Qu’elle aille ensuite se réfugier dans son terrier, cela lui apprendra à se balader dans les bois. Si DSK a choisi l’art du camouflage dans son patio de Marrakech, c’est que l’exil est préférable aux gémonies. Le Maccarthysme illustre bien l’insupportable justice sans délai d’une chasse aux sorcières. Sans pour autant dire que les porcs ne sont pas coupables, on peut tout de même s’effrayer du climat d’anxiété qui règne. A quand une liste publique des porcs les plus répugnants ? La délation est le premier pas vers le travestissement de la vérité, l’humiliation et la persécution.
Parce que le XXIème siècle est celui de la convergence de toutes les luttes sociétales, doit-on pour autant s’interdire toute tentative de morale ? Pourtant on pourrait presque oser affirmer que le lynchage du porc n’est qu’un habile retournement de la lapidation de la femme adultère. La fin du patriarcat est un tribut cher à payer. Mettra la main au porte-monnaie qui veut, mais à la fin ce sont toujours les pauvres qui triment. A quand la justice pour Nafissatou ? Pour les victimes de Polanski ?
Ce à quoi les catholiques répondront : « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Le like du bon pharisien cache une assurance illusoire. A défaut d’un discernement bienveillant, le publicain préférera, lui, se mettre un garde d’un jugement téméraire : « Ne vous posez pas en juge, afin de n’être pas jugés ; car c’est
de la façon dont vous jugez qu’on vous jugera » (Mt 7, 1-2). Mais parce qu’on ne récolte que ce que l’on a semé, peut-être s’autorisent-ils à imaginer le purgatoire comme un barbecue de porcs digne de ceux de la famille Tuche aux US. Vive Trump, vive le porc, surtout quand il y a du gras.
Vindicte populaire ou hystérie collective, les réseaux sociaux ont leur mot à dire. Avec pour revers de la médaille, le mal du siècle : le besoin d’ouvrir sa gueule. Ce qui reste toutefois mieux que de la fermer, j’en conviens. Mais qui n’empêche pas de tourner sept fois la langue dans sa bouche, de se tordre quatorze fois les doigts avant de taper sur son clavier, débrouillez-vous. Le lynchage juge l’homme et non pas le crime. La justice n’a pas besoin d’exutoire. Pour se soulager, la parole a ses vertus. Mais parole libérée ne rime pas avec parole bégueule. Plaidons pour une force des mots qui éveillent les consciences.