Is the Flore toujours the Flore ?
Par Alexandre Glaser et Anne-Charlotte Peltier
Dessins de Louise Hourcade
Lieu mythique qu’on ne présente plus , le Café de Flore fêtera, d’après Wikipedia, ses 140 printemps cette année, et reste l’un des clichés les plus carte postale de la ville lumière. En plein cœur de Saint-Germain, il a été le lieu de rendez-vous de grands noms de la littérature qui y avaient leurs habitudes. Le couple le plus emblématique et le plus fascinant reste sans doute Simone et Jean-Paul, qui s’y sentaient à la maison.
« Nous nous y installâmes complètement : de neuf heures du matin à midi, nous y travaillions, nous allions déjeuner, à deux heures nous y revenions et nous causions alors avec des amis que nous rencontrions jusqu’à huit heures. Après dîner, nous recevions les gens à qui nous avions donné rendez-vous. Cela peut vous sembler bizarre, mais nous étions au Flore chez nous. »
— Jean-Paul Sartre
Café et littérature font bon ménage, et Beigbeder y a fondé le prix de Flore, qui récompense tous les ans les œuvres parues dans l’année. [1] Cependant, ce passage de Jean-Paul à Frédéric n’est-il pas l’illustration d’une perte de prestige au profit d’une récupération bling bling ? Le décalage entre L’Être et le Néant et L’Amour dure 3 ans, sans pour autant rentrer dans un discours décadentiste, est étonnant : est-ce le signe de l’entrée générale de la littérature dans une pente déclinante ou est-ce au contraire simplement le symbole que, au bout du compte, la littérature perdure mais a quitté Saint-Germain ?
L’interrogation qui suit devrait être celle de tout Parisien fier de ses origines et de son patrimoine : peut-on – encore – aller au Flore sérieusement ?
Une enquête de terrain a été réalisée afin de mieux cerner l’enjeu sociologique que constitue le fait d’aller prendre un café au Flore.
Ce qu’on a vu : des vieilles dames en fourrure, des vieilles dames sans fourrures, beaucoup, mais alors beaucoup d’asiatiques scotchés à d’énormes Samsung (peut-on encore parler de téléphones ?) – prenant notamment en photo leur Opéra à 15,00 euros -, des habitués qui serrent la main aux serveurs, des petites vieilles qui mangent une omelette-salade dans de la vaisselle des années 50 à l’étage, des gens qui lisent la presse, des gens qui font une pause dans leurs emplettes de Noël…
Le décor intimiste, l’intérieur est à l’image des brasseries parisiennes comme on se les représente : des banquettes en skaï rouges, une lumière chaleureuse et une atmosphère poussiéreuse mais propre. Une plongée mystérieuse dans un lieu du passé devenu culte, si culte qu’il est quelque part muséifié : dans des petites vitrines sont présentées les articles de vaisselle estampillés Café de Flore, afin que le client non content de se sentir chez lui au Flore puisse se sentir au Flore chez lui. On lui conseillera pour ce faire de dérober les sachets de sucre « Café de Flore » pour sucrer son café comme à Saint-Ger.
Entre les habitués et les touristes, la séparation foyer/institution paraît dure à définir. Un élément s’ajoute et brouille les pistes : la présence d’une dame-pipi qui propose Femina et des mouchoirs. A vrai dire, certains éléments résistent au passage du temps : ils se manifestent souvent dans les détails (les tasses, les serveurs en trois pièces), et parfois dans la population (on y a rencontré un réalisateur italo-américain de documentaires). Mais globalement, ne nous mentons pas, le Flore is not le Flore anymore : il est devenu, comme nombreux lieux à Paris, l’un de ces endroits faussement mondains, peuplés tantôt par des para-intellectuels dominant le paysage médiatique contemporain, tantôt par des touristes noi-chi se déplaçant par groupes de 50 000 et tous sponsorisés par Canon – ou Nikon pour les moins chanceux…
[1] On passera sous silence l’incapacité criante de Beigbeder à écrire des romans de qualité. Facteur rendant d’autant plus étonnant le fait qu’il ait créé un « prix littéraire », mais bref.