Quels enjeux pour la primaire à gauche ?
Par Tanguy Chapin
L’impossible reconquête
Il ne s’y risquera pas. Jeudi 1er décembre à 20h00, François Hollande annonça une décision unique dans l’histoire de la Vème République. La voie du renoncement. Démis jusque dans son propre camp, l’équation semblait insoluble. La primaire de la Belle Alliance Populaire sera donc placée sous l’ombre du doute et du président sortant.
Entre les conflits et la concorde, la discussion et les dissensions
L’éventail des scénarios possibles demeure vaste, empli de nuances entre la construction commune et le suicide collectif. Le spectre du congrès de Rennes semble refaire surface : en mars 1990, aucune majorité ne parvint à s’imposer, les différentes motions se neutralisant. Désastreux pour l’unité du parti, ce rendez-vous manqué constitue un traumatisme indélébile aux yeux de certains militants. À l’inverse, les plus optimistes espèrent vivre de nouveau la primaire citoyenne de 2011. Avec près de 3 millions d’électeurs au second tour, le scrutin avait placé le premier jalon élyséen de la campagne socialiste.
La bonne tenue : une fausse évidence
À l’image des échanges automnaux de la droite, la bonne tenue des débats représente la première condition d’une primaire réussie. Même si les rendez-vous télévisés pouvaient parfois relever de l’exposé individuel plutôt que du débat d’idées, les 7 candidats surent mettre leurs antagonismes de côté et présenter une image collective relativement sereine. Cet apaisement – a minima de façade – pourra-t-il être atteint à gauche ? Rien n’est moins sûr. L’arbitraire mise à l’écart du candidat Gérard Filoche constitua un début d’entorse à cet objectif. Les rocambolesques retards de cotisation d’Arnaud Montebourg et de Vincent Peillon cristallisèrent également certaines tensions, illustrant la (trop) grande distance entre les cadres du parti et la structure militante.
Proposer, éviter le déficit conceptuel !
Le véritable défi se situe au-delà d’un simple modus operandi réussi : le parti se trouve à un moment charnière de son histoire. Très affaibli, donné perdant dès le premier tour par tous les observateurs, une guerre d’egos serait suicidaire pour Solférino. Pourtant, la possibilité d’un pugilat n’est pas à exclure. Certains frondeurs revanchards perçoivent l’échéance sous l’angle d’un « match retour » contre l’axe gouvernemental. Pour le PS, il convient à tout prix d’éviter un référendum anti-Valls qui se ferait au détriment des idées, à l’image du « tout sauf Sarko », rapidement stérile à droite. « Avoir comme unique ambition de faire la peau au voisin relève de la névrose psychologique plus que de la politique », rappelait d’ailleurs à la fin de l’année 2014… Vincent Peillon, qui multiplie pourtant les attaques envers l’ancien Premier ministre. Les sept candidats devront éviter le déficit conceptuel et affronter les grandes thématiques du parti : l’économie, le travail, l’école, l’environnement, la justice sociale et la place de la République. Le vainqueur devra résoudre la difficile équation entre l’aile droite et l’aile gauche afin de prouver que la formule malheureuse de Manuel Valls sur les « gauches irréconciliables » est désormais caduque. Mitterrand conquit l’Elysée grâce à cette force de synthèse née à Épinay en 1971. Il ne pourra en être autrement en 2017. C’est cette jonction, cette alliance qui créera une mobilisation et une dynamique fortes.
Coup de tonnerre en ce 21 avril 2002 : le second tour verra un duel inédit Chirac – Le Pen. Le candidat du PS, Lionel Jospin, est éliminé dès le premier tour.
Réussir 2017 ou mourir ?
À l’heure où le paysage politique français semble en pleine recomposition, le PS ne peut se permettre de rater un tel rendez-vous. Le risque de voir le parti imploser et reculer très fortement dans la hiérarchie nationale n’est pas négligeable. Les grands gagnants de cette primaire se trouvent pour l’instant loin de la rue de Solférino et tiraillent dangereusement les deux ailes de l’albatros socialiste. La « marche insoumise » des francs-tireurs Macron et Mélenchon semble même altérer l’alchimie du parti. Pire encore, la synthèse mitterrandienne pourrait être définitivement foulée aux pieds par une « primaire de congrès » où une prédominance des jeux d’appareil et des oppositions internes entraînerait une scission irrémédiable.
Échapper à la cruelle dictature des images
À chaque fois qu’elle se trouve au pouvoir, la gauche française est aux prises avec son histoire, la question de la pureté de sa politique revenant sans cesse. À l’image d’Épinay succéda celle d’Épinal : la rose s’accompagne toujours d’épines. Se sortir du cloisonnement des images, tel est le premier défi du PS. Lors de la bataille de Waterloo, la Belle Alliance était l’auberge où Napoléon bâtit la stratégie qui allait le mener vers… la défaite. Charge au PS d’éviter que la coïncidence ne devienne évidence. Pour le parti qui popularisa la primaire en France, la chute serait tragique.