C’est arrivé un 13 novembre

Nous scépiens, partageant la douleur des victimes des attentats

par la rédaction

“On est tous frères
Pourtant la religion est la cause des plus grands massacres sur Terre
C’est indéniable
Nique sa mère alors, j’suis l’diable”

 

Il est des événements qui s’ancrent profondément dans la mémoire, si profondément que leur souvenir ne perd pas en clarté avec les années. Des événements fortement chargés émotionnellement qui se pérennisent dans notre système mnésique, si bien que l’on pourra toujours se rappeler du lieu où l’on était et de ce que l’on y faisait lors de leur déroulement. Le 11 septembre est de ces événements. Le 13 novembre également. C’est donc une soirée que les élèves présents à l’ESCP ce vendredi 13 novembre, à quelques centaines de mètres des lieux des attaques à la kalashnikov, n’oublieront jamais.

Comme chaque année à l’ESCP, la traditionnelle campagne de la Junior Entreprise (JE) oppose deux listes qui s’affrontent sur des épreuves professionnelles et festives dans l’espoir de briguer un mandat au sein de l’association. Le « pot-liste », organisé ce vendredi 13 novembre au sein du campus d’ESCP Europe, est l’un de ces événements de campagne.

Animations gonflables en extérieur, décor en pseudo-cohérence avec l’identité de la liste concourante, diffusion du match France-Allemagne, bars et stand de nourriture au sein de l’école : tout ressemble à un « pot-liste » traditionnel. Dès 20h00, le campus se remplit et l’ambiance s’électrise peu à peu avec les DJs de Polyphony qui mixent pour l’événement. Les activités occupent elles aussi rapidement les étudiants, qui sont plus de 550 sur les coups de 21 heures.

L’ambiance chaleureuse perd de son intensité à l’annonce du Monde.fr à 21h30 d’une fusillade à République, à deux pas du campus de l’ESCP où se déroule la soirée. Equipés de leur smartphone avec lequel ils ont appris la nouvelle, les étudiants se donnent très rapidement le mot sans avoir plus d’informations sur les détails de cet assaut. Plus d’étonnement et d’incompréhension que de peurs et d’affolement.

Malgré l’inquiétante proximité géographique avec les lieux des différentes fusillades (on apprend quelques minutes plus tard à 21h40 qu’une prise d’otage est en cours au Bataclan), la sérénité des étudiants est assez remarquable. Si certains essaient tant bien que mal de continuer la soirée, d’autres sont assaillis par les appels de leurs proches qu’ils tentent de rassurer.

Très rapidement, des mesures sont prises par la sécurité et la direction de l’Ecole. « On a eu comme instruction de fermer les portes, vous restez ici jusqu’à demain » nous prévient le chef de la sécurité. Lui aussi nous fait part de son étonnement face à cette tragédie tout en nous confiant qu’il « n’est pas révolté » et que « il ne faut pas donner de l’importance aux tueurs. On ne donne jamais d’importance à un chien ».

Le chef de la sécurité de l’ESCP

 

Les étudiants eux aussi échangent très vite entre eux, se posent des questions, débattent sans réaliser encore véritablement ce qu’il vient de se passer derrière la grande porte qui les sépare du théâtre de l’horreur que les médias et leurs proches leur décrivent. « Je suis Franco-Marocain, c’est un coup au cœur pour nous tous » nous raconte Youssef, étudiant en pré-master. Benoit nous confie comment il a appris ce qu’il se passait : arrivé

Benoit – “Mes amis qui sont arrivés à l’ESCP (…) ont vécu les tirs à quelques centaines de mètres”

 

La soirée perd un peu plus de sa saveur festive à mesure que les étudiants prennent conscience de l’ampleur des événements et que le bilan s’alourdit. Le couloir des associations, fermé lors des soirées « pot-liste », est ouvert et le Quatter se remplit progressivement d’esprits très hétérogènes.

Les différences de taux d’alcool y sont peut-être pour quelque chose. Mais c’est surtout que dans ce genre de situations on voit se révéler les caractères. Certains demeurent joviaux, d’autres ont le regard vide. Ce n’est pas que tout le monde n’a pas été touché par ces attaques, mais que chacun réagit à sa manière. Il y a ceux qui dansent encore, et ceux qui sont amers. Ceux qui se fendent la gueule – peut-être pour tenter d’oublier -, et ceux qui restent muets. Ceux qui pleurent la disparition d’un proche…Il y a peut-être aussi ceux qui ne réalisent pas. Difficile de se rendre compte de ce qu’il se passe hors de notre école qui s’est mutée en une forteresse où la bière et la musique continuent de maintenir une ambiance qui ne se prête pas tellement à la prise de conscience. Et pourtant les attaques se sont produites juste sous nos fenêtres, à quelques centaines de mètres de l’ESCP. C’est pour ça que l’administration empêche les élèves de rentrer chez eux. Un mail de Bruno Poirel, le directeur du campus, rend la chose formelle.

Capture d’écran 2015-11-14 à 22.24.36Les élèves sont alors regroupés au Quatter ou en salle Europe, où l’édition spéciale de BFM TV diffuse en live les informations. Les étudiants, abattus, ne peuvent décrocher leurs yeux des images terrifiantes qui semblent tenir de la fiction.

europe couleur

C’est vers 4h du matin que les portes de l’ESCP vont s’ouvrir par intermittence pour laisser progressivement sortir les élèves, qui rentrent à pieds, en taxi ou en voiture. Ceux que personne ne pouvait venir chercher ou qui habitent trop loin de l’école préfèrent dormir sur place. Un campement de fortune se met en place. La nuit sera courte. Le réveil difficile.