Pourquoi aimons-nous autant les méchants ?
C’est après avoir vu le Joker, après avoir suivi assidûment Game of Thrones que nous pouvons nous rendre compte à quel point les « méchants » sont appréciés du grand public et leurs actions parfois légitimées. Comment alors expliquer l’affection que nous ressentons malgré nous pour ces personnages, que selon toute logique nous ne pouvons pas aimer ?
Tout d’abord, cela peut s’expliquer par le simple fait que nous les comprenons. Ces personnages sont avant tout humains et c’est par cette humanité que nous sommes en capacité de les comprendre, de nous identifier et même d’expliquer de façon rationnelle leurs actes violents. Dans le cas du Joker, c’est la folie d’Arthur Fleck qui explique ses actions, folie qui a été d’autant plus renforcée par les moqueries et l’intolérance qu’Arthur subit au quotidien. Alors, on lui pardonne (presque) d’utiliser la violence pour faire entendre sa voix, qui est également la voix de tout le peuple opprimé de Gotham City, Arthur devenant à partir de ce moment-là un véritable héros pour eux. La part d’humanité qui demeure dans ces « vilains » et que les réalisateurs /auteurs prennent soin de conserver nous touche alors à la fois dans notre sensibilité mais aussi dans notre rationalité : nous trouvons la plupart du temps des raisons rationnelles aux actions des autres, même lorsque ces actions sont mauvaises. Comment alors faire la distinction entre Bien et Mal, si le mal est causé par des raisons purement humaines que nous comprenons et que nous rationalisons ?
Les vilains sont donc l’expression fictive de certains de nos désirs refoulés, désirs impossibles à mettre en oeuvre dans la société, sous peine de la détruire.
Selon Jens Kjeldgaard-Christiansen, si nous apprécions autant les « vilains », c’est parce qu’ils sont le reflet de notre société et surtout de ses limites. Nous sommes en effet attirés par les comportements de ces personnages, parce que ce type de comportements est intrinsèquement égoïste, sert nos intérêts propres et parce qu’ils sont guidés par une quête de pouvoir, que nous pouvons tous retrouver en nous : les vilains sont donc l’expression fictive de certains de nos désirs refoulés, désirs impossibles à mettre en oeuvre dans la société, sous peine de la détruire. C’est donc parce que nous pouvons voir les conséquences probables de la réalisation de tels désirs que nous ne sommes finalement plus tentés d’y céder. En effet, les règles sociales, qui à première vue semblent contraires à notre intérêt personnel, sont à terme la garantie du maintien de l’espace social et se révèlent alors bénéfiques même à l’échelle individuelle. Ainsi le comportement des vilains peut s’analyser comme une « catharsis » contemporaine, nous purgeant de nos pulsions égoïstes en nous dépeignant les limites de leur exécution.
De plus, ce que l’on peut également apprécier et aimer chez les vilains sont leur ingéniosité et leurs qualités humaines, entraînant alors une forme d’admiration pour le personnage en lui-même et non pas pour ces actions. Par exemple, le Professeur Moriarty est une référence absolue dans la littérature policière et nombre de lecteurs sont davantage fascinés par son intelligence et sa ruse que par les crimes qu’il commet.
Finalement, la fiction (films/séries, littérature) est un moyen d’introspection pour l’humain. En racontant des histoires et en choisissant quoi et qui représenter, les auteurs/réalisateurs dressent un tableau de la société et de l’être humain dans sa globalité. En incarnant un point de vue personnel de la part de l’auteur, la fiction est à la fois personnelle et universelle. C’est pourquoi la représentation des « méchants » dans la fiction est essentielle, afin de témoigner de cette facette de l’être humain et de permettre la « catharsis » précédemment évoquée pour resserrer les liens sociaux et prévenir de tels comportements. Le rôle des « méchants » dans la fiction est enfin d’opérer un contraste avec le Bien, qui est quant à lui défini par la vision propre de l’auteur.
Eva Olejniczak