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18 novembre 2021

Quelle coopération pour la chute des paradis fiscaux ?

L’accord est historique, « une véritable révolution fiscale » selon les mots de Bruno Le Maire. Mi-octobre, soit plusieurs années après les débuts des négociations, un accord entre 136 pays a finalement été trouvé sur la taxation des grandes entreprises multinationales. Par “entreprises multinationales”, l’accord entend les grandes entreprises de plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires, parmi lesquelles on compte les GAFAM. Cet accord a été entériné lors du sommet du G20 le 30 octobre dernier par les 19 plus grandes économies mondiales ainsi que l’Union Européenne, et marque une avancée en matière d’harmonisation de la taxation fiscale.

La mesure phare de cet accord est la fixation d’un impôt plancher à hauteur de 15% sur les multinationales. En cela, les objectifs affichés par l’OCDE sont clairs : lutter contre les stratégies de dumping de certains États qui ont une politique de taxation très souple envers les grandes entreprises. Début avril 2021, la secrétaire américaine du Trésor, Janet Yellen, déclarait à ce sujet « Nous travaillons avec les pays du G20 pour s’entendre sur un taux minimal d’imposition sur les entreprises, qui pourrait mettre fin à la course vers le bas ». Cette course vers le bas est notamment repérable aux domiciliations des multinationales et existe même au sein des pays de l’Union Européenne. La Hongrie, l’Irlande et l’Estonie sont par exemple trois pays de l’UE à avoir un taux d’impôts sur les sociétés inférieur à 15%. Les tentatives d’harmonisation fiscale au sein de l’Union Européenne ont toujours été un objectif de la Commission Européenne mais se heurtent à la politique de basse fiscalité de certains États membres qui misent sur cet atout pour la compétitivité de leur sol. Ainsi dès 1962, le rapport Neumark recommandait l’harmonisation de la fiscalité des sociétés ; en 2011 puis 2016, la Commission Européenne avait lancé l’ACCIS (l’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés) dont le but était une uniformisation de l’impôt en Europe. Directive devant être adoptée à l’unanimité par le conseil, les résistances de Malte, du Luxembourg et de l’Irlande ont mis en péril ces initiatives de politiques supranationales.

Plus que réduire le dumping fiscal, l’OCDE compte bien mettre en péril les paradis fiscaux qui se sont encore récemment illustrés dans l’affaire des Pandora Papers.  Il s’agit de la première fois que la question d’éradiquer les paradis fiscaux est abordée au travers du prisme de la fiscalité. La visée de l’accord est de limiter considérablement les avantages d’une domiciliation financière offshore. Pratique très utilisée par les grands groupes, elle n’est pas équitable en cela qu’ils ne payent pas d’impôts au taux de l’endroit où leurs activités sont réalisées. Cet accord prévoit justement que le pays dans lequel une société est enregistrée puisse prélever la somme non imposée par le pays de domiciliation des bénéfices. L’intérêt est alors grand pour les États où sont enregistrées les grandes multinationales.

La répartition des bénéfices collectés à partir de cette augmentation d’impôt a été notamment un élément clé dans la signature de l’accord. La somme récupérée est conséquente : ce sont 4 à 5 milliards d’euros pour la France. L’arrivée de Joe Biden au pouvoir a accéléré le processus : les montants collectés seront notamment utilisés pour financer le plan de relance économique américain. Son prédécesseur Trump était plus réticent à la signature de cet accord, ce qui avait poussé l’UE en 2018, indépendamment de son voisin transatlantique, à créer une première initiative de taxation des grandes entreprises du numérique sur les 50 millions d’euros de chiffre d’affaires qu’elles produisent en Europe.  Cette initiative avait été interrompue après le retrait de certains États européens craignant des représailles sur leurs exportations commerciales vers les États-Unis.  Il semblerait que l’Europe ait aujourd’hui la même stratégie pour ses relances économiques : à la suite de la crise du Covid-19, le débat sur la taxation des entreprises du numérique est revenu sur la table dans l’objectif de financer en partie le plan de relance européen. Mais il faudra encore attendre pour voir les résultats effectifs d’une telle mesure, cet accord ne prenant effet qu’en 2023.

Cet article vous est proposé par Marine Marmey, membre de Streams.

Pour aller plus loin:

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-harmonisation-fiscale-des-societes-est-la-grande-incapacite-de-la-commission-europeenne-884766.html

https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/08/taxation-des-multinationales-un-accord-sur-un-taux-de-15-vient-d-etre-signe-par-136-pays_6097670_3234.html

https://www.marianne.net/economie/economie-europeenne/harmonisation-fiscale-le-non-attendu-des-paradis-fiscaux-europeens

https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/fiscalite-en-europe-la-concurrence-plutot-que-lharmonisation-1015911

https://www.bbc.com/afrique/monde-58856025

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