Interview Amine El-Khatmi
Amine El-Khatmi, président du printemps Républicain. Interview assurément politique
Bonjour Monsieur El-Khatmi, avant tout merci infiniment de donner cette interview à Streams en qualité de président du Printemps Républicain. Pour les lecteurs qui ne vous connaitraient pas, qu’est-ce que le Printemps Républicain ?
Le Printemps Républicain est un mouvement fondé en 2016 par un certain nombre de personnalités issues de la gauche, principalement du PS. Initialement, le Printemps Républicain avait une forme associative, il a publié à ses débuts un manifeste – signé par des personnalités comme Élisabeth Badinter ou Marcel Gauchet – qui avait pour objectif de porter une parole républicaine forte entre autres sur la laïcité, la défense du commun ou la lutte pour la liberté d’expression, des combats que l’on considérait comme insuffisamment menés au sein de la gauche, ou souvent teintés de relativisme.
Par exemple, après Charlie, Médiapart a publié un article intitulé « l’enfance misérable des frères Kouachis » [Article sorti 9 jours après les attentats de Charlie Hebdo visant à relativiser leur responsabilité dans les crimes commis, ndlr], c’était une des illustrations qu’une partie de la gauche était en train de dériver.
Quand on sait d’où vient la gauche au départ, et où elle en est arrivée aujourd’hui, on ne peut que parler d’une gauche à la dérive.
On a alors fait la bellevilloise [réunion de fondation du mouvement, ndlr], qui a réuni plus de 700 personnes, et face au succès on a décidé de continuer. On est alors devenu une association, et nous nous dirigeons vers un mouvement plus politique.
À votre avis, donc, la gauche s’est perdue en chemin ?
Oui, en effet, quand je vois M. Mélenchon, ami intime de Charb – tellement qu’il a prononcé son oraison funèbre – défenseur farouche de la laïcité et de la République, quand je le vois défiler avec des islamistes, avec des imams fichés S, avec des imams qui justifient le viol conjugal, je trouve que c’est une dérive profondément regrettable. C’est un exemple parmi d’autres, mais quand j’entend M. Plenel dire que Charlie est en guerre contre les musulmans [alors qu’ils ont toujours caricaturé tout et tout le monde, ndlr], ce sont des propos qui ne sont pas acceptables. Certaines personnes nous expliquent que quand une femme est violée par un « racisé », il ne faut pas trop condamner l’agresseur au risque d’augmenter les discriminations. Donc oui, quand on sait d’où vient la gauche au départ, et où elle en est arrivée aujourd’hui, on ne peut que parler d’une gauche à la dérive.
Monsieur, vous ne l’ignorez pas, l’opinion publique a été choquée par l’assassinat du professeur Samuel Paty après son cours sur la liberté d’expression. Comment un parent d’élève a pu faire un tel cas de la présentation de caricatures, et qu’est-ce que cela dit du climat dans lequel cet attentat a pu naître ?
D’abord, dans l’affaire Samuel Paty, on voit bien qu’il y a eu une succession de failles. Car d’où part cette affaire ? Elle part d’abord d’un mensonge : la jeune fille qui s’est plainte à son père n’était pas là le jour du cours en question. Ensuite, le père de famille ne s’est pas comporté comme il fallait : il a appelé à manifester pour éviter que ça recommence. Ce n’est pas normal, ce parent d’élève s’est trompé de pays. Si nous étions au Maroc, en Tunisie, en Arabie Saoudite ou au Pakistan, et que l’islam était – comme c’est le cas dans ces pays – religion d’État, ce monsieur serait parfaitement fondé à aller manifester. Et à la rigueur je le respecte, ce n’est pas notre modèle, c’est le leur. Mais nous ne sommes ni à Rabat ni à Tunis ni à Ryad, nous sommes en France. En France nous avons la liberté d’expression, le droit à la caricature. Ce professeur était dans son droit, en tant que professeur d’histoire, de montrer ces caricatures qui font partie du patrimoine culturel français. Charlie Hebdo c’est l’enfant de Hara-Kiri, c’est un mouvement politique et culturel de bouffeurs de curé, anticlérical, qui se moque de tout et tout le monde : politique, religieux, culturel. Ça fait partie de l’histoire.
En France nous avons la liberté d’expression, le droit à la caricature. Ce professeur était dans son droit, en tant que professeur d’histoire, de montrer ces caricatures qui font partie du patrimoine culturel français.
Mais ce parent d’élève, ne prenant pas compte de ça, a décidé de poser une cible sur le dos de ce professeur. Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Des collègues de Samuel Paty se désolidarisent de lui, une fédération de parents d’élèves a conseillé au père de porter plainte : est-ce là son rôle ? Le CCIF [Association dissoute en conseil des ministres le 2 décembre 2020 pour être une officine islamiste, ndlr] a été prévenu. Le principal du collège a reçu le parent d’élève accompagné d’un imam. Le nom de Samuel Paty est arrivé jusqu’aux oreilles de celui qui sera son assassin qui était déjà en voie de radicalisation. Voilà, ça fait un cocktail, on mélange tout ça et ça donne le drame auquel nous avons assisté. Il faudra tirer les conclusions de ce qui s’est passé, régler ces dysfonctionnements dans l’Éducation Nationale.
Monsieur El Khatmi, nous avons vu son importance avec l’assassinat de Samuel Paty, c’est un des thèmes du Printemps Républicain. Comment définissez-vous le séparatisme ?
Qu’est-ce que le séparatisme ? C’est quand un groupe de personne considère que les règles internes à son groupe sont supérieures aux règles communes qui s’appliquent à tous c’est à dire les règles de la République. Le séparatisme peut être territorial ou géographique – un territoire rentre en conflit avec l’État. Ici nous sommes face à un séparatisme religieux, des individus considèrent que leurs lois religieuses priment sur les lois de la République. Le cas Samuel Paty en est une démonstration éclatante.
Ici, la loi de la République c’est la liberté d’expression, on est fondé à se moquer de tout y compris du prophète. Un groupe dit : « on ne représente pas le prophète et on ne se moque pas de lui », ils considèrent que leur loi est au-dessus des lois de la République, c’est un acte de séparatisme.
Ça peut s’exprimer de différentes manières. Lorsque des femmes musulmanes demandent des horaires aménagées à la piscine pour ne pas croiser des hommes, c’est un acte de séparatisme. Lorsque, en Savoie, des parents demandent à ce qu’une piscine aménage des horaires pour que les enfants filles et garçons ne se croisent pas, c’est un acte de séparatisme. Quand j’étais adjoint au maire d’Avignon, des parents musulmans avaient demandé que leurs enfants ne mangent pas à la même table que des enfants qui mangent du porc, c’était là encore un acte de séparatisme. Demander un certificat de virginité – qui est illégal – avant le mariage, ou faire des montages pour que les filles aient 2 fois moins d’héritage que les hommes [Comme le veut la loi islamique, contrairement à la loi française qui interdit de privilégier les hommes aux femmes, ndlr], c’est encore une fois des actes de séparatisme.
La République doit rappeler que c’est sa règle qui prime sur toutes les autres considérations.
Mais pourquoi refuser ces séparatismes ? Pourquoi privilégier le modèle républicain par rapport aux modèles multiculturalistes anglo-saxon ?
Vous avez vu l’État des tensions raciales aux États-Unis ? Vous vous êtes promenés dans des quartiers de Londres où il y a du communautarisme ? Moi je ne veux pas de ce modèle-là. La France a aucune leçon de tolérance à recevoir des pays anglo-saxon. Le taux de mariage mixte en France est dans les plus hauts du monde.
C’est notre tradition que d’être un modèle républicain universaliste. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire faire primer ce qui nous est commun sur la singularité des individus. Nous voyons d’abord le citoyen comme membre de la cité plutôt que comme homme, femme, homosexuel musulman ou asiatique.
Mais soyons clairs, la République ne demande a personne de renoncer à ce qu’il est mais elle fait primer le commun sur le caractère individuel, sur la singularité de la personne. C’est pour cela que nous refusons les réunions non mixtes interdites aux blancs par exemple. Refuser à quelqu’un d’aller quelque part en raison de sa couleur de peau, c’est du racisme. Si on reste qu’avec les gens qui sont comme nous, on forme une communauté et on vit à côté des autres. On ne peut pas former de pays uni avec une succession de groupes communautaires. En France, nous sommes tous dans un même groupe qui reconnaît à chacun sa singularité, la République considère que le commun est supérieur aux communautés. C’est pour ça que nos grands textes comment toujours par « Nous, le peuple français ». Nous sommes le peuple français, et ensuite à l’intérieur chacun peut exprimer sa singularité.
Nous avons, en France, vous l’avez évoqué tout à l’heure, des individus communautarisés qui ne sont plus acquis aux lois de la République. Comment promouvoir votre conception de la République, comment convaincre ces gens que la République est la solution ?
La réponse est double.
D’abord il faut lutter contre les discours victimaires. Moi je suis de banlieue. Quand on explique à un gamin que quels que soient ses efforts et sa volonté il sera condamné à l’échec parce qu’il est noir, arabe ou pauvre, vous ne lui donnez pas envie de travailler. Quand on lui explique que la République ne voudra jamais de lui parce qu’elle est raciste et islamophobe, vous ne lui donnez ni l’envie, ni la possibilité de se battre. En disant cela, je n’exclus pas le fait qu’on puisse être victime de discrimination, mais dire que toute la France, que toutes ses institutions sont structurellement racistes et islamophobes, c’est faux. Et ensuite, vous assignez à résidence identitaire des générations de gamins qui se disent : « mais à quoi bon ? ».
D’abord on lutte contre la question victimaire, ensuite on prouve la République en leur donnant les moyens de s’en sortir.
Vous remarquerez d’ailleurs que ceux qui ont ces discours-là sont des gens qui ont réussi à s’en sortir. Monsieur Omar Sy peut bien se permettre, depuis sa maison luxueuse à Los Angeles, de dire à des gamins de Saint-Denis et de Montreuil qu’ils n’arriveront à rien parce que la République est structurellement raciste. Ça ne lui coûte rien, mais ça coûte tout à ceux qui entendent ces discours-là. Mais à la fin ce sont des enfants qui sont perdus et qui perdent espoir.
Deuxième réponse : il faut leur permettre de s’en sortir. Ça ne suffit pas de dire à ces gamins que la France n’est pas raciste, il faut permettre à ces gamins d’accéder à une éducation de qualité. En finir avec les ghettos, dédoubler les classes en REP jusqu’au lycée – c’est une des mesures de politique publique les plus efficaces qu’il m’ait été donné de voir, envoyer ceux qui sont le plus expérimentés dans les ZEP et non pas les nouveaux profs. Et il faut les payer plus, voire le double. Il faut également que les entreprises multiplient les parrainages républicains pour que des enfants découvrent des métiers dont ils ne soupçonnent pas l’existence parce que leurs parents n’ont pas le carnet d’adresse. Donc la question républicaine n’est rien sans la question sociale.
D’abord on lutte contre la question victimaire, ensuite on prouve la République en leur donnant les moyens de s’en sortir.
Comment redonner confiance en une politique souvent considérée comme corrompue, tout particulièrement par des jeunes qui se désintéressent de la politique ?
D’abord sur la question de la corruption. Les affaires de corruption sont souvent assez spectaculaires car très médiatisées, mais il faut rappeler qu’il y a 500 000 élus en France, et la majorité d’entre eux sont des quasi bénévoles. Dans des petits villages de 300 habitants par exemple, le maire est payé 300€, il a une secrétaire 2 matinées par semaines, et souvent il cumule un autre emploi pour pouvoir vivre. Je peux vous dire que dans ces endroits il n’y a pas de corruption. Le métier d’un petit élu dans les territoires est si dur qu’à chaque élection, il y a de plus en plus de village où personne ne veut être maire. Comme partout, quelques individus indignes de leur écharpe – souvent à haut niveau – ou de leur uniforme ne doivent pas jeter l’opprobre sur toute la profession. La plupart font honneur à la République.
Sur la question de l’engagement citoyen de la jeunesse, je ne suis pas certain que les jeunes d’aujourd’hui soient moins intéressés par la vie politique que les jeunes d’avant. L’intérêt qu’ils portent à la société est différent. Par exemple il y a des marches pour le climat : à mon époque ils n’avaient pas ça. Je crois que les choses ont changé, que c’est une avancée. L’intérêt s’exprime différemment, par Brut, par Snapchat, par les réseaux sociaux.
Mais alors qu’est-ce que vous lui dites à ce jeune de 19 ans qui vous dit que la politique ne sert à rien ?
Je vais lui dire qu’il a été scandalisé par la baisse des APL, et que cette décision a été prise, comme beaucoup d’autres, par la politique. Qui décide ? Éducation, université, aménagement urbain, diplomatie, économie, globale, locale. Qui décide ? C’est la politique. C’est le président qui décide de baisser les APL et c’est le maire qui décide de construire une route. C’est le maire qui va décider si oui ou non les enfants dans les cantines mangeront bio. Tous les droits dont nous bénéficions aujourd’hui – RSA, avortement etc. – sont issus de la politique. En France, qui qu’on soit, si on tombe malade on est soigné quoi qu’il arrive. Ça, c’est la politique qui l’a fait. Tout ce qu’il y autour de nous a été décidé par la politique, et en tant que citoyen, on a notre mot à dire.
Si on arrête tous de voter, et qu’un gouvernement autoritaire arrive au pouvoir, qu’est-ce qu’on dira ?
Nous l’avons vu au début, votre mouvement a évolué depuis sa création. Alors, quel rôle aura le Printemps Républicain demain dans la Cité ?
Un rôle politique, assurément.
Alors oui, le Printemps Républicain va entrer en politique. Nous allons préparer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois l’arrivée du Printemps Républicain sur la scène politique.
Bientôt 5 ans que le Printemps Républicain existe et on est plutôt un think tank, mais on se rend compte que plein de français pensent comme nous, ils nous disent qu’ils sont des orphelins de la République et de la laïcité. Ces gilets jaunes du départ sur les ronds-points qui veulent juste vivre dignement de leur travail et dont on se moque depuis Paris, qu’on méprise parce qu’ils n’ont pas de voitures électrique dernier cri ou qu’ils ne peuvent pas manger bio par exemple. Je ne veux pas que cette France-là aille se jeter dans les bras de Madame Le Pen et délaisser le vote Républicain. Alors oui, le Printemps Républicain va entrer en politique. Nous allons préparer dans les prochaines semaines et dans les prochains mois l’arrivée du Printemps Républicain sur la scène politique.
Alors, Monsieur El-Khatmi, que peut faire la jeunesse dans le combat que vous portez ? Que peut faire chacun de nous pour défendre la République ?
Il faut rester fidèle à vos principes. Par exemple ne pas accepter qu’il y ait dans vos locaux des réunions en non mixité. Restez fidèles à vos principes. Un autre point important c’est celui de l’engagement. Engagez-vous dans un mouvement politique. N’hésitez pas à adhérer, dans tous les partis – alors je ne vais pas faire de la retape pour ma maison, évidemment si vous rejoignez le Printemps Républicain j’en serais très content – mais adhérez partout, investissez-vous dans le débat, donnez votre avis, ayez un engagement qui puisse donner du sens. Ça participe du commun, si chacun reste dans son coin avec ses angoisses, ses idées, ses inquiétudes pour l’avenir, c’est jamais aussi bien que d’être ensemble rassemblé dans un mouvement collectif. Dans un engagement on retrouve un esprit de famille, on sent qu’on s’engage au service d’une cause qui est noble, alors pour résumer en deux mots ce que je veux dire à chacun d’entre vous : Engagez-vous.
Propos recueillis par Samuel Vrignon pour Streams, média de l’ESCP.