8 mars 2019

La solidarité internationale est-elle une nouvelle forme de colonisation ?

Du 26 au 27 janvier avait lieu le WEED :  le Weekend d’Etudiants et Développement, une formation à destination des jeunes étudiants français engagés en solidarité internationale. Avec comme thématique principale “Comment réinventer la solidarité internationale pour éviter les rapports de domination ?”, la question de la légitimité des diverses formes de solidarité semble de plus en plus actuelle.

L’interrogation est légitime, dans la notion même de développement on accepte qu’il y ait un développeur et un développé, la question semble donc aussi incomplète que nécessaire. Mais au-delà des cris aux dérives néo-colonialistes, afin d’interroger les rapports entre pays offreurs et pays récepteurs d’aide solidaire, souvent caricaturés et hiérarchisés par la dichotomie entre les pays du nord occidentaux et les pays du sud en développement, il faut observer les rapports mêmes de domination.

La prise de conscience de ces interrogations est nécessaire pour pouvoir les dépasser.

Mais alors, faut-il dévaloriser l’engagement, le volontariat ? Non, certes, il ne s’agit pas d’une crise insoluble de l’aide solidaire, mais il est essentiel de réévaluer les impacts de la solidarité internationale afin de favoriser son développement.

 

La solidarité internationale : un instrument politique ?

 

Les dérives colonialistes et impérialistes des pays émetteurs d’aide sont au cœur du problème, non seulement concernant les rapports actuels entretenus entre pays mais aussi en vue de l’héritage colonial fort de certains pays européens dont la France fait partie. La solidarité internationale est étroitement liée à des rapports de domination et donc de calculs d’intérêt.

 

L’aide au pays du Sud n’a rien perdu de sa dimension stratégique depuis la fin de la guerre froide. Dans les années 1990, l’hypothèque d’un retrait complet des pays occidentaux a été contredite par les revendications de droits de l’homme et la persistance de conflits susceptibles de menacer la paix mondiale. Pourquoi la France maintient-elle des soldats dans des pays africains à qui elle a laissé leur indépendance ? A qui sert l’aide humanitaire ? Est-ce à entretenir des régimes amis de la France ? Par crainte de l’hégémonie américaine, l’aide française à destination de l’Afrique francophone a augmenté après la Seconde Guerre Mondiale. La question des richesses de certains pays d’Afrique et de Moyen-Orient rend la question d’instrumentalisation de la solidarité d’autant plus pertinente. Il y a plusieurs facettes au phénomène de solidarité, au risque de retrouver tous les ingrédients d’un “contre-don” par la démonstration de puissance, l’acte de présence médiatique, l’intérêt économique et le positionnement militaire.

 

Depuis les années 60, la France s’est engagée auprès des mouvements de libération des peuples autour de la question des rapports de coopérations entre pays. Cet engagement a imposé la question de la solidarité internationale car la France maintient des bases militaires dans certains pays africains devenus indépendants (principalement à Djibouti et en Côte d’Ivoire). On a reproché à la France d’avoir comme unique objectif de déguiser sa volonté de maintenir ces pays dans sa sphère d’influence par un discours d’aide au développement.  En effet, l’action militaire incorpore un discours politique qui repose sur les droits de l’homme mais la réalité militaire va bien au delà de ce discours.

Ces aides sont d’autant plus problématiques qu’elles ne prennent pas en compte la réalité locale de la situation. Haïti a bénéficié d’un programme d’aide sur 15 ans et ce déferlement d’aide a été une deuxième catastrophe car il a oublié les institutions locales et il a déstabilisé les structures sur place.

 

Mais à dire vrai, il n’y a pas lieu de s’étonner que les secours servent des intérêts bien compris. L’usage de la solidarité comme sanction positive quand elle accompagne un processus de transition démocratique, ou comme sanction négative lorsqu’elle pénalise une dictature, relève davantage d’enjeux symboliques que politiques car l’assistance internationale se veut vertueuses, voire moralisante.

Les bénéfices sont aussi symboliques car l’aide confère une image positive aux pays émetteurs d’aide, ce phénomène est renforcé par un contexte de surenchère médiatique.

Mais si la notion d’instrumentalisation est souvent utilisée péjorativement comme un détournement de but, cette vision théorique ignore parfois les réalités sociales. En pratique la solidarité internationale permet d’aider des pays en crise majeure en trouvant un terrain commun avec les autorités locales, en cela elle diverge d’une logique impériale. Et si on ne peut nier les intérêts pour les pays émetteurs d’aide, il faut privilégier le constat des impacts positifs sur les pays récepteurs. L’instrumentalisation n’est pas négative tant qu’elle ne marque pas une forme d’exploitation. C’est ainsi qu’on a privilégié le terme de solidarité à celui d’aide qui impliquerait que le rapport ne se fasse que dans un sens, le terme de don est également plus approprié, il permet de reconnaître tous les acteurs dans un contexte d’échange dynamique.

En constatant les intérêts croisés de la solidarité, on peut se demander : est-ce pertinent de continuer à agir ? Oui, et si ce n’est au niveau international, au niveau local, Rony Brauman, cofondateur de médecins sans frontières nous rappelle lors d’une table ronde qu’il faut peut- être “plus d’humanisme pour moins d’humanitaire”.

 

Pourtant, depuis les années 60 c’est sur un mode politique et non purement social et solidaire qu’on a développé les formes d’assistance internationale. L’humanitaire s’intéresse au présent, la politique à l’avenir, c’est pour cela que sans les opposer il faut les dissocier. La solidarité internationale doit être pensée avant tout selon le credo ‘Ne pas nuire’, il faut à la fois s’engager et penser à son engagement, c’est ainsi qu’on se défait du rapport de paternalisme entre aidant et aidé. Pourtant il ne faut pas ignorer la relation asymétrique, c’est une réalité durable que l’on cherche à éliminer mais qu’il est inutile de contester. L’idée d’égalité soignant-soigné est, selon Rony Brauman, un extrémisme idéaliste ou bien une abstraction virtuelle. Selon lui, la contractualisation néolibérale a fait naître la fiction idéale que toute personne contracte d’égale à égale, tandis que certaines tendances politiques ont fait du système d’assistance, à l’échelle nationale comme internationale, un instrument négatif. Cette assistance n’a, en réalité, rien de péjoratif. Si la perspective de Rony Brauman est contestable elle permet de montrer les diverses connotations négatives qui ont été attribués à la solidarité ces dernières années.

 

Pourtant l’humanitaire permet de sauver des vies et malgré les poussées de radicalisme et de violence, il y a des actions qui restent positives, il faut mettre en place des stratégies complémentaires et faire preuve de clairvoyance pour trouver un espace d’engagement et de militantisme adapté.

 

La solidarité internationale : un business comme les autres ?

 

L’assistance internationale revêt une forte composante économique. La période des indépendances n’a pas mis fin à cette optique et les pays admettent attendre un retour sur investissement de leurs politiques de coopération. C’est le cas des Etats-Unis qui assument parfaitement le fait de tirer parti d’une crise humanitaire ou d’une opération pour rétablir la paix pour implanter leurs entreprises. La France est plus réticente à ce discours. Pourtant l’industrie de l’aide dans le monde constitue un gros business, le secteur non lucratif représente 1 100 milliards de dollars sans tenir compte des organisations religieuses et des agences gouvernementales.

 

La réalité de l’assistance internationale peut aller contre ses propres objectifs premiers, on peut notamment questionner les mérites de l’aide alimentaire qui a pour inconvénient de pénaliser la paysannerie locale, gênée par la concurrence de vivres gratuits, et de changer les habitudes de consommation ce qui a pour risque de renforcer la dépendance d’un pays à l’égard des importations. Ce n’est, bien sûr, pas uniquement un constat négatif, l’aide alimentaire n’a pas empêché le redémarrage de l’agriculture dans certains pays.

 

La solidarité internationale est, de plus, le lieu de création de nouvelles formes d’activités. La déférence d’aide humanitaire dans certains pays a transformé le visage de la solidarité internationale, aujourd’hui il est possible de voyager en ayant bonne conscience grâce à un “séjour humanitaire”, un concept nommé Volontourisme. Mais ces intentions, qui semblent bonnes au premier abord, ont créé un business de la pitié notamment dans les orphelinats. C’est le cas au Cambodge où certains orphelinats sont devenus des attractions touristiques. En huit ans le nombre d’orphelinats a triplé, et ce phénomène a eu des effets pervers dans le pays car certains établissements ont été créés de toute pièce pour accueillir des orphelins qui, en réalité, ont pour la plupart encore un parent en vie et sont retirés de leurs familles.

 

L’altruisme et le plaisir semblent être deux notions incompatibles. Pourtant c’est une occasion de s’investir dans un projet durable. Malheureusement souvent l’argent offert aux agences de voyage afin de participer à ces activités solidaires ne profite aucunement aux populations. Outre les questions d’éthiques de ces alternatives au tourisme de masse, il est difficile de définir les impacts positifs et négatifs de ces initiatives.

 

Comment réinventer la solidarité internationale pour éviter les formes de domination ?

 

Un tel constat ne doit pas dissuader de continuer à assister les populations en danger ou en situation précaire. Si on remarque un certain désenchantement concernant les pratiques de solidarité internationale, c’est aussi la preuve d’un réveil de conscience chez les bénévoles. Les projets solidaires semblent de plus en plus répondre aux question d’éthique et de justice soulevées par les reproches formulés ces dernières années. L’évaluation d’impact est un des critères premiers pris en compte par les volontaires qui cherchent à s’assurer que leurs investissements répondent à de réels besoins énoncés par les populations.  Depuis la fin de la guerre froide, l’ONU a été libéré de la bipolarité soviéto-américaine permettant la multiplication des opérations internationales, de plus la prolifération d’ONG de plus en plus spécialisées et souvent locales ont rendu les initiatives de solidarité davantage dignes de confiance. Il est essentiel de rappeler que tous les méfaits attribués à la solidarité internationale ont peu d’importance face aux indubitables bienfaits qu’elle permet de développer.

L’héritage historique de cette assistance ne condamne aucunement les multiples formes d’engagement proposées aujourd’hui à toutes les échelles.

Toute la question tourne en réalité autour de l’évaluation anticipative et rétrospective, bien que lacunaire, de l’impact des programmes et des missions financées par la communauté internationale et par les ONG. Si les objectifs croisés politiques, économiques et sociaux nous empêchent de dresser un bilan concret, les impacts positifs de la solidarité internationale sont réels et ils sont plus susceptibles de l’être si les objectifs de rentabilité économique ou de démonstration de puissance ne condamnent pas les logiques de développements ainsi que les diverses formes d’engagement.

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