20 avril 1975 : Le jour où la France a cédé à la dictature
Le 26 septembre dernier, l’ancien président de la République Jacques Chirac disparaissait. Les nombreux hommages qui lui ont été rendus n’ont pas manqué de souligner ses principaux faits d’armes. Parmi ces derniers, la reconnaissance en 1995 de la responsabilité de l’Etat Français dans le génocide juif.
Pour la première fois, un président de la République avouait officiellement que la France avait, durant la guerre, soutenu la barbarie. Le discours de Monsieur Chirac sonne comme un « plus jamais ça ». Pourtant, la collaboration avec le régime nazi n’est pas la dernière page noire de l’Histoire de notre pays et de toutes ces fois où il a cédé devant la barbarie.
Si l’évènement que je vais tâcher de vous décrire n’est pas comparable avec la collaboration, il mérite cependant d’être raconté. On me rétorquera peut-être que je ne fais que déterrer un vieux dossier appartenant au passé. Je répondrai que chaque petite histoire fait partie de la grande, même les moins glorieuses.
1975 : année noire pour le Cambodge
Nous sommes le 20 avril 1975. 3 jours plutôt, le régime communiste des Khmers rouges dirigé par Pol Pot a renversé le gouvernement cambodgien et pris le contrôle du pays. Ils resteront au pouvoir pendant 4 ans, menant une politique ultra-violente entraînant le massacre de plus de 20% de la population (1,7 million de personnes selon les estimations).
Le procédé est le même que dans le cas du régime nazi : déportations, exécutions sommaires, camps de « rééducation », et surtout, assassinat méthodique de « l’ennemi ». Qui est-il cet ennemi ? C’est là que les choses se compliquent. Si ne sont concernés à l’origine que les soldats ou soutien de l’ancien gouvernement, les massacres se généralisent vite aux minorités ethniques, moines bouddhistes, puis toute personne cultivée de manière générale. Au paroxysme de ce déchaînement de violence, le fait de porter des lunettes ou de parler l’anglais équivalait ainsi à une condamnation à mort.
L’ambassade, refuge sacré
Ce 20 avril, alors que les Khmers commencent à peine à imposer leur régime sur le pays, les principaux dignitaires déchus du Cambodge se réfugient dans l’ambassade Française, qui leur apparaît comme un ultime refuge alors qu’ils sont traqués par les fidèles de Pol Pot. Parmi eux, le prince Sirik Matak, la princesse Manivann, le président de l’assemblée nationale, etc…
Très vite, le pouvoir nouvellement en place a vent de la présence de ces dignitaires dans l’ambassade française. Ce sont alors des dizaines de soldats qui se pressent aux portes de cette dernière.
Alors que le consul français de l’époque, Jean Dyrac, invoque le caractère sacré de l’ambassade, les forces khmers menacent d’y pénétrer si les ressortissants cambodgiens ne leur sont pas livrés. Quelques heures plus tard, ces derniers sortent de l’ambassade, et sont alors emmenés par les soldats Khmers rouges qui les attendent. C’est à partir de ce moment-là que les avis divergent : si le consul affirme que les réfugiés sont sortis « d’eux-mêmes » pour éviter un carnage, les descendants de ces derniers, ainsi que le dossier judiciaire, accuse la France de les avoir livrés.
Dans les faits, le consul s’en réfère à sa hiérarchie qui, à travers des communiqués très sobres, lui intime l’ordre de communiquer aux khmers rouges la liste des ces fameux ressortissants. Du côté khmer, les intentions sont assez claires : les cambodgiens livrés par l’ambassade ne sont pas emmenés faire une balade de santé. Embarqués à l’arrière de Jeep ou de camions à ordure, ils n’ont que peu d’espoir quant à leur futur proche.
Lâcheté manifeste ou massacre évité ?
La question qui se pose alors est-assez simple : la France a-t-elle cédé face à la dictature de Pol Pot, ou a-t-elle pris la seule décision rationnelle pour éviter un massacre encore plus grand ?
Le coupable est-il Jean Dyrac, le consul, qui affirme avoir agi « en son âme et conscience », ou bien s’agit-il de ceux, plus hauts placés (Valéry Giscard d’Estaing a eu accès à certains de ces documents), qui lui ont donné des ordres tout au long des évènements ?
La France aurait-elle réellement pu tenir tête aux Khmers rouges et ainsi éviter que la moindre goutte de sang ne soit versée ?
A noter cependant, une touche d’humanité à ajouter à ce tableau très sombre : les Khmers rouges n’ayant exigé que les « ressortissants cambodgiens », plusieurs femmes cambodgiennes ont été mariées à des fonctionnaires de l’ambassade. Devenant, de ce fait, françaises, elles n’avaient alors plus à être livrées, et ont ainsi pu échapper à une mort certaine.
Les conséquences de cette journée noire
Au fur et à mesure que les exactions des Khmers rouges deviennent de plus en plus violentes, les autorités françaises et en particulier le Président de la République prennent conscience des conséquences de leur acte.
Le 3 novembre 1999, la veuve d’Ung Bung Hor, président de l’assemblée nationale, porte plainte contre X pour « crimes contre l’humanité commis par les Khmers rouges entre 1975 et 1979 » ainsi que pour « séquestration, assassinat, actes de torture et barbarie ».
Cependant, les suites juridiques de cette affaire ne semblent pas pouvoir réellement aboutir. Notamment avec la mort récente de Jacques Chirac, premier ministre de l’époque et de facto personnage clé.
Les relations franco-cambodgiennes resteront rompues (à cause du génocide khmer rouge, pas de cet évènement en particulier). Mais la France participera activement au processus de retour à la paix, avec notamment la signature en 1991 des accords de paix à Paris.
Depuis, les relations sont cordiales entre les deux pays, et excepté un procès quelque peu dormant, l’évènement semble peu à peu tomber dans l’oubli.
Et de Gaulle ordonnant à Mesmer de renvoyer les Harkis, les vouant à une mort certaine ? Les censeurs de Pétain devraient se taire !
Jacques Boncompain auteur de “Je Brûlerai ma gloire” ou leSacrifice du Maréchal. Ed. Muller