L’État de siège par Art Maniac, une ode intemporelle à la liberté

Par Tanguy Chapin

Mercredi après-midi. Cité Joly. Au fond de la ruelle, le discret mais élégant théâtre du Passage des Étoiles. L’ultime répétition. Le filage pour achever ce canevas artistique débuté en septembre dernier. La lumière s’arrête, l’histoire se met en marche.

Une ville. Unique et pourtant semblable à tant d’autres. Le bruit habituel de la vie, la saveur douce du quotidien. Soudain, l’ombre d’une comète mortifère, le tressaillement du doute. Mais il est déjà trop tard. La peste a infecté les murs.

Un ersatz de gouvernement qui a fui, un Dieu aveugle qui ne répond plus. Rien. Un silence assourdissant comme unique écho aux rires de la barbarie. Froide et brutale, la machinerie infernale fait son œuvre : les baïonnettes ont bâillonné, les gémissements des opprimés ne font que grandir. Au sein de cet enfer sombre et rationalisé, la mémoire même se tarit inéluctablement. Il ne demeure que des poussières de hasard, l’horizon incertain d’une mer brélienne comme unique ligne de fuite.

Devant cet interminable hiver, le retour de l’automne semble impossible. Pourtant, la grandeur n’a pas totalement disparu. Ils demeurent, Eux, les Justes, les Insurgés. Mais ce frêle et vain vent du soulèvement pourra-t-il balayer bourreaux et servitude ?

Deux heures durant, cette ode camusienne à la liberté envahit la salle et les spectateurs. Un théâtre total. L’espace devient atemporel. Le bruit oscille entre la salve salvatrice et le morceau mortifère. Paradoxalement, différentes teintes colorent par instant cet avenir noir. Verdâtres. Rougeâtres. Violacées. Tamisées.

Un jeu de lumières comme un éclairage sur le Je. Le nôtre, si loin de cet indicible hier, parfois si proche des traditions surannées que L’État de siège dénonce. Refuser la peur, accepter cette pièce, pleine d’envie. L’envie de rester au cœur de cette impasse de la Cité Joly. Une impasse théâtrale qui nous tient éloignés de celles du quotidien.

Pour le premier auteur de la pièce, “Créer, c’est vivre deux fois. ”. La seconde main de l’œuvre, la metteuse en scène Valérie Fruaut, a fait sienne la maxime : c’est à l’aune d’une double distribution des rôles qu’il faudra apprécier ces 6 représentations. Un diptyque tout en nuances, chacun des vingt membres de la troupe apportant son unicité et son talent à l’État de siège. Un bruit qui s’échappe du totalitarisme. Un songe qui fait face au poids des années. Un murmure qui résiste au Passage des Étoiles.


L’association ArtManiac présente L’État de siège d’Albert Camus

Les 25 (à 14h30), 26 (à 19h30), 27, 28 (à 21h00), 29 et 30 (à 20h00) mars

Théâtre du Passage vers les Etoiles, 11ème arrondissement (métro Rue Saint-Maur ou Père Lachaise)

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