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8 février 2019

Qu’est-ce que le macronisme ?

7 mai 2017. Carrousel du Louvre. Seul, grave, solennel, ses pas sont choisis et décidés. La communication est millimétrée. Emmanuel Macron traverse la Cour Napoléon, comme voguant vers son destin. Rien ne pouvait manifestement résister à cet homme hors du commun. Ni les partis traditionnels, ni sa précocité, ni encore son manque de soutien, ne surent l’empêcher d’atteindre les plus hauts sommets de l’Etat. Alors déjà, les surnoms et les affabulations fusent. Emmanuel Le Magnifique, Le Philosophe, Napoléon, Jupiter, … A défaut d’être une galaxie facilement identifiable, la macronie a su vite en évoquer d’autres. Bonapartiste par son tempérament, Gaulliste par son sens de la grandeur, Giscardien par son orléanisme ou même Sarkozyste, la rhétorique journalistique n’a pu que se délecter de ce bal des « istes ». Pourtant que ces considérations semblent aujourd’hui loin. Fi de l’état de grâce, faites place à la masse. Arrogant, méprisant, hors-sol, quand il n’est pas simplement « le Président des riches », le messie d’autrefois semble embourbé dans une bonne vieille lutte des classes. Pourtant au moment de la réflexion ou de la narration, ces doutes prennent sens. Le macronisme s’exprime autant dans la haine d’un gilet jaune, que chez Christophe Castaner. Comme toute idéologie politique, il est un état d’esprit, une aptitude à agir, plus qu’une lettre dictée ou un corps de doctrine. Alors après presque deux ans d’un mandat atypique, le regard est différent, la scène dégagée : qu’est-ce finalement que le macronisme ?

 

Au commencement, était le Verbe

 

A celui qui se prêterait à l’herméneutique, si ce n’est l’exégèse macronienne, deux mots s’offriraient : « En Marche ». Le témoin d’abord, de l’ultra personnalisation du parti et de l’omniprésence acquise d’Emmanuel Macron. D’autre part, d’un mouvement, une volonté de réforme et marque d’un « progressisme », qui demeure clé dans la cohésion de la majorité. C’est face à cette même majorité qu’en septembre 2018, le Premier Ministre tentait d’ailleurs de résumer : « le macronisme, c’est le projet d’une France de l’émancipation et des solidarités réelles, d’une France puissante dans une Europe forte ».  Certes le macronisme est un européisme, mais l’essentiel n’est pas là. Tout mouvement politique souhaite une France forte, et sans doute une Europe forte, peu importe sa forme. Plus que cela, l’idée était de renouveler l’approche d’un modèle Français, sclérosé et dépassé. Repenser les solidarités réelles, c’est mettre fin aux « fausses » solidarités antérieures, celles de la distinction entre public et privé, celles d’un système social qui serait lourd et coûteux, pour combiner la liberté et la sécurité de chacun. Le macronisme croit donc dans l’individu, par lui passerait sa protection et sa réussite.  Les origines du mouvement se sont aussi revendiquées du modèle de « flexi-sécurité », de la sociale démocratie scandinave, bien qu’il semble aujourd’hui plus proche de la droite libérale, ou droite orléaniste dans la classification traditionnelle de René Rémond (Les Droites en France), celle de Giscard ou aujourd’hui Juppé.

Le macronisme croit donc dans l’individu, par lui passerait sa protection et sa réussite

Primairement ni de droite, ni de gauche, le « en même temps » traduirait alors la dialectique macronienne d’un équilibre permanent. A défaut donc d’un corps idéologique absolument clair, c’est bien par sa méthode que le macronisme a voulu se démarquer. Contre les magouilles politicardes, il souhaitait incarner le gouvernement de la compétence. Contre la « présidence normale » devenue une présidence anodine, il souhaitait renouer avec la transversalité du pouvoir. Des symboles en exergue, et des gestes forts, le début de quinquennat ne se lassait guère des « je fais ce que j’ai promis » ou autres « rien ne nous arrêtera ». Les succès du « Make our planet great again » ou des premières réformes ponctuaient une communication parfaitement maitrisée, malgré une contestation croissante. Plus que tout, c’est sur la faiblesse adverse que le macronisme s’est bâti. Contre les extrêmes, il trouverait les équilibres. Contre le passéisme, il est progressiste. Contre les incompétents passés, il cherche les meilleurs. L’on dit souvent que l’élection présidentielle est une rencontre entre un homme et son peuple. 2017 fut peut-être l’aveu d’un peuple qui voulait au moins que les choses ne s’aggravent pas, et même qu’elles s’améliorent un peu.

 

Albert Camus et le discours de Suède pouvaient ainsi réapparaître en hymne du second tour macronien : « Chaque génération sans doute se croît vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse ».

 

Un mouvement au cœur de transformations sociétales

 

Pourtant si cette rencontre a pu s’effectuer, c’est bien que le macronisme est le témoin, si ce n’est le symbole de son époque. Dès son ouvrage La condition postmoderne en 1979, Jean-François Lyotard fut un artisan majeur du concept de « postmodernité ». A l’image du macronisme, les idéologies postmodernes se caractériseraient comme les « idéologies de la fin des idéologies ». En outre, la défense d’un « gouvernement des meilleurs », ou d’un pragmatisme politique marque plus foncièrement le retrait du politique. On réfléchit à une mesure non pas parce qu’elle correspondrait à un idéal de société, mais d’abord par rapport à son gain économique, dans une optique pratiquement technique, si ce n’est technocratique. Ce principe idéologique fondateur porte en lui un bienfait face l’excès d’idéologisme français notamment décrit par Tocqueville dans l’Ancien Régime et la Révolution : un excès de principes globaux contre la liberté et la responsabilisation des acteurs de la société. Toutefois il contribue d’abord au désenchantement du monde, une perte de sens fondatrice dans la critique du « technocapitalisme » de Michel Freitag (commune à Marcel Gauchet ou Ivan Illich). Mais surtout il renforce les pouvoirs alternatifs, comme ceux des milieux financiers. Les larmes de Nicolas Hulot ont symbolisé l’intenable poids des lobbys sur le plan environnemental. La fin de l’ISF sur les valeurs mobilières (transformation en IFI) ou le manque de mesures sociales ont d’ailleurs accrédité la thèse d’un « Président des riches ». Emmanuel Macron a divisé plus qu’il n’a régné, ou a trop régné pour ne pas diviser.

 

Dans cette perspective, l’échec fondamental du macronisme tient bien dans son incapacité à créer ces nouvelles « solidarités réelles ». La flexibilisation attend toujours sa sécurité. Le transversalisme annoncé n’a pas permis une participation nouvelle des acteurs locaux. Si le macronisme était censé n’opposer personne, en définitive il ne rassemble personne non plus. La réforme qu’il porte apparaît centralisée, axée sur les catégories citadines, privilégiées, voire déconnectée de la réalité de nombreux citoyens. Si le mouvement des gilets jaunes n’est pas ici l’objet de réflexion, son soulèvement incarne les égarements et les manquements du macronisme, et le retour d’une lutte des classes déjà maintes fois annoncée. Cet état de fait questionne ses fondements. Le macronisme est en effet est une idéologie de l’instant, du présent ; une force mais aussi le symbole d’une société en manque de repères, de culture, et d’histoire. La nomination de Christophe Castaner comme ministre de l’intérieur, Marlène Schiappa ou Cyril Hanouna en maîtres des débats tranchent avec les Malraux ou Pompidou d’autrefois. La nouvelle tête de liste des Républicains aux européennes, François Xavier Bellamy ne manquait pas de souligner que si le macronisme se veut En Marche, il oublie parfois de préserver ce qui doit être sauvé. Dans Demeure, ce constat est chez lui le fondement d’une pensée des valeurs, des racines, et logiquement conservatrice. Sans ancrage local ou idéologique fort, quid d’une pensée parfois hors-sol ?

 

Jusqu’à entrer dans l’Histoire ?

 

Du macronisme il restera indéniablement un brio, une énergie, en laquelle chacun peut trouver une inspiration. Une façon de croire en l’avenir, dans le progrès, en sa possibilité de changer, si ce n’est d’altérer son destin. Penser que l’on peut réussir même lorsque personne ne mise sur nous. L’histoire d’un gamin d’Amiens qui a été associé-gérant chez Rothschild, épousé la femme qu’il aimait (et de surcroît sa professeure de français) et même devenu le plus jeune Président de la Vème République, pratiquement parce qu’il l’a voulu, parce qu’il a cru dans son talent et dans son charme. L’ouvrage de Philippe Besson Un Personnage de Roman ou encore les propos de Christophe Castaner « amoureux » du chef de l’exécutif, convergent en faveur d’une personnalité exceptionnelle, qui a marqué et restera dans la Vème République. Pourtant tout le dilemme du macronisme est bien là. A quel moment la confiance devient-elle de l’arrogance ? Quand est-ce que le gouvernement des plus compétents se transforme-t-il en technocratie ? Comment préserver le mérite individuel et la liberté d’entreprendre, sans mettre à mal l’égalité démocratique et le pacte républicain ? Comment accélérer la prise de décisions sans nier le rôle de chaque acteur ? La rhétorique du « en même temps » a pour l’instant montré ses limites, plus qu’elle n’a offert de solutions. Elle a même intensifié la haine contre le Président, et rendu le pouvoir inaudible auprès d’une large part de la population.

La rhétorique du « en même temps » a pour l’instant montré ses limites, plus qu’elle n’a offert de solutions.

Si ceux qui voulaient autrefois réformer le système deviennent à leur tour des profiteurs et des privilégiés, le macronisme aura sans doute perdu son pari avec l’histoire. Toutefois cette difficulté historique née des gilets jaunes et des mouvements contestataires, est aussi une opportunité pour le pouvoir en place. En matière d’idéologie politique, ce sont les faits plus que les guerres d’idées qui gagnent aux points. A l’heure où le Gaullisme est repris de toute part, celui-ci s’était fondé sur la Vème République, des succès diplomatiques et symboliques, bien plus que des fondements idéologiques stables. Si le macronisme trouve des réponses face à une fracture sociale de longue date, un manque de dialogue et d’initiative qui touche l’entièreté de la société, et fonde de nouvelles solidarités, sans doute entrera-t-il dans l’Histoire par la grande porte. Mais c’est bien par la plus petite qu’il était, il y a quelques mois à peine, proche d’en sortir.

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