14 janvier 2016

Dans le dédale de la crise des migrants : l’exemple de la Suède

L’accueil des réfugiés en Suède : fardeau ou opportunité ?

Par Adriana de Villers

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Le défi est immense.

La Suède est le pays de l’Union Européenne qui reçoit le plus de demandeurs d’asile (environ 160 000 en 2015) proportionnellement à sa population (9,5 millions d’habitants), et de loin. Elle a accueilli l’équivalent de 3% de sa population en deux ans (si la France avait fait de même, elle aurait accueilli 1,9 millions de réfugiés). Le pays scandinave a depuis toujours eu une politique d’accueil ouverte envers les réfugiés politiques.

La Suède voit en ces derniers une ressource humaine précieuse et fait ainsi en sorte de les intégrer efficacement et avec succès. Mais depuis cette année, l’afflux de réfugiés est tel que la politique traditionnelle est fondamentalement remise en question.

 

Une intégration par la formation

 

L’Etat suédois veut faire de sa politique migratoire un projet durable, non une solution rapide, prise dans l’urgence, pour un problème temporaire. Pour les Suédois, le meilleur moyen d’intégrer les réfugiés au plus vite, c’est le travail. Dès que le statut de résident est réglé, les réfugiés sont ainsi systématiquement inscrits dans des programmes d’intégration professionnelle, organisés par le service national de l’emploi (Arbetsförmedlingen). L’objectif est de les préparer à la demande du marché du travail suédois. C’est la formation qui est le moteur de l’intégration. Il s’agit de donner les moyens aux réfugiés de trouver un emploi adapté et convenable pour optimiser la ressource économique qu’ils représentent et pour ne pas créer de frustration. L’Etat refuse ainsi de baisser le niveau des salaires et de permettre des emplois à bas revenus.

Ce programme fonctionne jusqu’ici avec succès, mais va-t-il perdurer étant donné le nombre record de réfugiés arrivés ces derniers mois ?

 

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Distribution de nourriture aux réfugiés à Malmö.

 

Un regard de moins en mois favorable

 

Les Suédois ont jusqu’ici toujours vu l’arrivée des réfugiés comme une opportunité, une occasion de booster l’économie, déjà en très bonne santé. En effet, la croissance au cours du dernier trimestre 2015 s’est élevée à 3,9%, c’est à dire 2 points de plus qu’à la même période l’an dernier. D’après le syndicat LO (Landsorganisationen), si la Suède intègre les réfugiés au marché du travail avec succès, le pays pourrait devenir l’un des plus riche d’Europe et voir sa croissance monter à 4-5% dans 3-4 ans, et ce, sur le long terme.

Mais ce regard a changé ces derniers mois. Début décembre, 55% en voulaient moins, 19% plus (contre 44% en septembre) et 20% ni plus ni moins, d’après un sondage d’opinion réalisé par Ipsos. Le nombre de réfugiés accueillis a-t-il atteint un seuil ? Les Suédois se sentent-ils dépassés par le poids des responsabilités qu’ils prennent ?

 

Mi-novembre, le Premier Ministre suédois Stefan Löfven, social-démocrate, a annoncé la mise en œuvre d’une nouvelle politique d’asile : l’objectif était de diminuer drastiquement le nombre de demandeur d’asile en Suède. Il voulait permettre à la Suède de « reprendre son souffle », de la laisser intégrer les réfugiés déjà sur place, avant d’en accueillir de nouveaux. Même si Stefan Löfven déplorait cette décision, elle semblait nécessaire, en raison du manque de logement, d’enseignants et de personnel de santé.

Les mesures prises mi-novembre ont fait baisser le nombre de demandeurs d’asile à 1000 par semaine, ce qui est 10 fois moins que le plus haut pic de cet automne.

 

La décision de réduire le nombre de réfugiés accueillis a été reçue de manière mitigée par les Suédois. Certains trouvaient qu’il était temps. D’autres ont été outrés par un tel virement de bord allant à l’encontre des valeurs suédoises : voir les réfugiés comme un problème plutôt qu’une ressource est un bouleversement pour cette puissance humanitaire.

 

Un appel à l’aide européenne

 

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La Suède compte continuer à accueillir des réfugiés. Toutefois, face à un afflux de migrants qu’elle a de plus en plus de mal à maîtriser et qui risque de troubler l’ordre publique, la Suède a rétabli les contrôles d’identités aux frontières.

Inflexion, donc, dans la politique migratoire suédoise, qui montre autant les limites du modèle suédois d’accueil des réfugiés politique que la faiblesse de l’Europe toute entière dans cette crise qui la secoue depuis septembre.

Si toute l’Europe ouvrait davantage ses frontières, les réfugiés pourraient ne plus être un fardeau, et devenir une ressource, une opportunité pour une Europe recouvrant timidement sa croissance. Ce serait une manière de prouver que les valeurs démocratiques ne sont pas faites pour rester sur de beaux parchemins encensés, mais qu’elles existent pour être le fondement de la société et que cela doit se manifester par des actes concrets, notamment par l’accueil et l’intégration intelligente de personnes persécutées.

 

« Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays. » – Article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, 1948.