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15 avril 2021

Liberté ou Égalité ? Pourquoi pas les deux ?

La devise française « Liberté Egalité Fraternité », qui apparaît pour la première fois dans le Discours sur l’organisation des gardes nationales écrit par Robespierre en 1790, a fait l’objet de nombreuses interrogations quant à son applicabilité et de bon nombre d’interprétations philosophico-politiques. Pourtant aujourd’hui, un constat semble s’être imposé dans l’inconscient collectif à son propos : la liberté et l’égalité seraient contradictoires, et la fraternité serait la tierce valeur qui permettrait de surpasser cette contradiction. Mais liberté et égalité sont-elles vraiment si antagonistes ? 

 

La définition contemporaine la plus répandue de la liberté est le fait de pouvoir agir sans contrainte. Or, cela semble immédiatement contradictoire avec un désir d’égalité. Prenons comme exemple le revenu : soit l’on permet aux individus de s’enrichir « librement », c’est-à-dire sans contrainte, et il y aura très probablement des riches et des pauvres ; soit l’on impose à tous d’avoir des revenus égaux et les individus ne seront plus libres de s’enrichir comme ils le souhaitent, car chacun d’entre eux sera contraint de ne pas gagner plus que les autres. Pire, augmenter l’égalité semble diminuer de manière proportionnelle la liberté et vice versa, car plus je souhaite redistribuer les richesses des plus riches vers les plus pauvres, pour me rapprocher de l’égalité, plus je rends difficile pour les individus de s’enrichir (au-delà d’un certain seuil) i.e. plus je les prive de la liberté de s’enrichir. 

 

Cette supposée incompatibilité entre liberté et égalité trouve sa source dans le fait que l’endroit où la liberté semble être la plus absolue – la nature, car étant soumise uniquement aux lois de la physique – est aussi celui qui est le plus inégalitaire (il y a des petits et des gros, des forts et des faibles, des bruns et des blonds, etc.). Dès lors, toute tentative de rapprocher une société de l’égalité ne semble pouvoir se faire qu’en allant à l’encontre de la nature, en contraignant cette dernière et donc en diminuant la liberté qui s’y exerce (empêcher le fort d’utiliser sa force par exemple). 

 

Mais alors, Robespierre nous aurait-il légué une devise contradictoire en elle-même ? Nous aurait-il légué des valeurs impossibles à concilier ? Evidemment que non, en vérité c’est la définition de la liberté qui a changé au fil du temps. Si aujourd’hui elle signifie le pouvoir d’agir sans contrainte (de s’enrichir sans contrainte, d’entreprendre sans contrainte, d’utiliser ses forces ou ses richesses sans contrainte), eh bien elle n’a pas toujours eu ce sens. En tout cas, ce ne fut pas toujours son sens premier. 

 

Car quand Robespierre écrit la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » dans son texte, il faut se rappeler que la France est encore un pays esclavagiste, un pays où la noblesse et le clergé ont encore des « privilèges féodaux », un pays où les seigneurs pratiquent encore le « droit (NDLR : ou plutôt fait) de cuissage », un pays où règnent les enfermements arbitraires. Bref, à l’époque, quand on entend « liberté », on pense avant tout à l’esclave affranchi, au prisonnier libéré ou au paysan qui arrête d’être opprimé par son seigneur, si bien que la définition de la liberté à l’époque est d’abord la situation d’une personne qui n’est pas dépendante de quelqu’un, qui n’est pas dominée par quelqu’un.

Ainsi, l’apparente contradiction entre Liberté et Égalité provient du fait que la modernité a, par un procédé qui pourrait s’apparenter à de la novlangue, substitué à la définition première de liberté, qui était « ne pas être dominé », celle de « pouvoir agir (et donc en particulier dominer) sans contrainte ». La liberté qui était lors de l’écriture de la devise avant tout celle de ne pas être dominé (enfermé, exploité etc.) est devenue celle de pouvoir dominer (accumuler, exploiter des gens, etc.). 

 

Mais en revenant à la définition initiale de la liberté, la contradiction entre liberté et égalité n’existe plus, au contraire : l’une va de pair avec l’autre ! En effet, il n’y a de dominés que s’il y a des dominants, donc en luttant pour la liberté de ne pas être dominé, je lutte pour qu’il n’y ait plus de dominés et par conséquent, si je réussis, alors il n’y aura plus non plus de dominants. De sorte qu’en luttant pour la liberté, je lutte également pour l’égalité. Et vice versa : lutter pour l’égalité signifie lutter pour qu’il n’y ait plus ni dominants ni dominés et donc pour la liberté de ne pas être dominé.

 

La fraternité n’est alors qu’une boussole supplémentaire pour nous indiquer le même but : agissons comme si nous étions tous des frères. Certes, les frères ne sont pas totalement égaux entre eux (certains sont blonds, d’autres bruns, d’autres grands, d’autres petits…), mais ils sont au même rang familial ! Il ne doit pas y avoir de citoyens « parents » qui dominent des citoyens « enfants » mais uniquement des frères, aussi libres les uns que les autres, qui s’entraident ! C’est en tout cas le message originel de la devise française.

Cet article vous est proposé par Florian Werlé, membre de Streams.

1 comment

  • Hugues Werlé

    Juste un petit bémol à bien vérifier : le droit de cuissage serait plutôt une légende très peu mis en pratique selon des historiens contemporains… à valider…

    Reply to Hugues Werlé

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