“Les mots contre les maux, l’encre devenue ancre”

Par Aly Streams

Retour poétique sur la conférence Tribunes avec le portrait des deux protagonistes par Tanguy Chapin : Christophe Deloire et Eric Fottorino

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Bonsoir à toutes,

Bonsoir à tous,
Bonsoir Monsieur Fottorino
Bonsoir Monsieur Deloire,

Il est toujours difficile de lier 2 parcours, 2 histoires, 2 trajectoires aussi singulières que distinctes. Ainsi, j’avais d’abord pensé au journalisme comme possible dénominateur commun. Hélas Messieurs, le constat actuel de la profession est plutôt inquiétant : entre burkini, Macron qui nie, Drumpf et ses conneries à gogo, loi El Khomry et Pokémon Go, primaires maladroites de gauche à droite, tout fout le camp, le tourbillon médiatique est catastrophique. La quantité a pris le pas sur la qualité. Tout tourbillonne, tourne, tout, peu importe le contenu. Les thèmes tournent en rond, les clichés en boucle, les politiciens casaque et les citoyens en bourrique. Attention, l’heure tourne également, mais la page ne se tourne pas. Résultat : l’information tourne court ou tourne mal.

Eh oui messieurs, le journalisme a changé. Monsieur Fottorino, bien loin de cet enfermement médiatique version 1984, c’est à Libération en 1984, que vous débutez en tant que pigiste. Vous connaissez ensuite plusieurs journaux avant de vous lier avec celui qui constituera votre quotidien pendant 25 ans : Le Monde.

Pour votre part, Monsieur Deloire, vous avez longuement hésité entre 3 professions plus ou moins similaires : « journaliste » évidemment, « haut-fonctionnaire » et « astrophysicien ». En 1996, alors diplômée d’une modeste école de commerce située à Cergy-Pontoise et dont je tairai le nom, vous êtes sur le point de vous engager avec les forces armées de l’ONU à Sarajevo. Vous évitez de justesse la balle sur le casque bleu… avant de vous en tirer une dans le pied en devenant analyste financier pour TF1.

Finalement, vous parvenez à vous extirper de l’ennui immense que constitue à vos yeux la comptabilité. Vous continuez à TF1 par de la prise de son, puis de la prise de sens. Votre carrière journalistique est alors définitivement lancée. Pendant 9 années, vous travaillez ensuite pour l’hebdomadaire Le Point, en enquêtant, interrogeant, questionnant sans cesse la société, la politique et la justice. Ainsi, si vous êtes un homme du Point, vous avez mis un point d’honneur à ce qu’il ne s’agisse pas d’un point final, mais d’un point d’interrogation, laissant le débat toujours ouvert.

Monsieur Fottorino, mon billet paraît bien fade en comparaison de vos 2000 textes écrits pour Le Monde, ces éditos qu’on édite tard, ces brouillons de culture, ces ratures réussies, vous êtes de ces trop rares journalistes qui ont fait de notre Monde un journal et de votre journal un monde.

Tous les deux, vous avez fini par vous éloigner de votre métier de cœur, tout en restant attachés à votre cœur de métier.

Ainsi, Monsieur Deloire, lorsque le Centre de Formation des Journalistes (CFJ) vous contacte en 2008, vous n’hésitez pas. L’opportunité de passer de l’information à la formation vous séduit. Votre journalisme fera – littéralement – école. Quatre années durant, vous transmettez votre vision de la profession. Un journaliste ne doit pas arranger les faits mais déranger les méfaits. Cette quête de vérité, vous l’avez poursuivie lors de votre nomination en tant que secrétaire général de Reporter Sans Frontières. Depuis 2012, à RSF, vous agissez, vous alertez, vous condamnez. Multiples sont les lieux et les régimes où la liberté d’expression souffre : l’Iran de Rohani, le Cuba de Castro, la Russie de Poutine, en soi, la routine, mais on trouve également la France, la France à une triste 46ème place, le pays des droits de l’homme, peut-être devenu pays étroit de l’homme en raison de sa concentration médiatique dangereuse.

Monsieur Fottorino, cette concentration médiatique, vous la connaissez malheureusement bien mieux que quiconque ici. En effet, BNP, le triumvirat d’investisseurs Bergé – Niel – Pigasse débarque au Monde fin 2010 et salue vos 25 années de bons et loyaux services en vous… remerciant.

En 2014, désormais à loin de ce triste nouveau Monde, vous prenez part à la création de l’hebdomadaire Le 1. Avec un seul et unique sujet par semaine, il s’agit d’un véritable OPNI, objet de presse non identifié. Cet origami informatif détone : 84 cm d’envergure qui se plient, se déplient, se replient, se démultiplient. Un authentique arrêt sur image, une pause devenue trop rare au sein de ce trop-plein médiatique souvent vide de sens.

Mais, finalement, au-delà des similitudes, des différences, des pérégrinations et des aléas, vous êtes tous 2, Messieurs Deloire et Fottorino, habités par cette irrépressible envie d’écrire.
Monsieur Deloire, vous aimez la précision, la justesse, la justice… au point d’écrire vous-même votre page Wikipédia. Vos livres ont connu un important succès, avec des titres parfois racoleurs, à l’image de l’aguichant Sexus politicus ou de l’effrayant Les islamistes sont déjà là : enquête sur une guerre secrète. Vous observez, analysez notre société et ses impairs. Un père, le père, c’est cette cause, cette absence et cette douloureuse recherche qui a longtemps nourri votre écriture Monsieur Fottorino. Mais il y a également eu vos pairs, vos semblables, ceux qui vous ont accompagné durant votre long Tour du Monde.

Une citation étant toujours plus efficace qu’un long discours, je me permets de vous citer Monsieur Fottorino : : « Dans le mot écrire, il y a toutes les lettres du mot crier. Pour moi, écrire, ça a été crier que je ne savais pas qui j’étais ». La nature faisant bien les proses, j’ajouterais même qu’au sein du terme « écrire », il y a aussi votre prénom, Eric.

L’écriture comme repère, l’encre devenue ancre.
L’écriture comme remède, les mots contre les maux.

Messieurs, peut-être vous chercherez-vous encore longtemps à travers l’écriture et ses méandres. Mais Messieurs, n’ayez crainte, en vous cherchant, en vous recherchant, vous nous avez permis de nous retrouver et de nous y retrouver.

Merci à vous Messieurs Fottorino et Deloire,
Merci à tous d’être si nombreux,

Bonne conférence à tous