13 avril 2019

Quand la planète brûle, rien de mieux que la langue de bois

Stupeur et tremblements en ce 24 juin 2015 au tribunal de la Haye : contre toute attente, l’Etat néerlandais vient d’être condamné. Les Pays-Bas sont accusés de ne pas respecter les recommandations scientifiques et les décisions internationales, en ne réduisant pas assez rapidement leurs émissions : “Le tribunal ordonne à l’Etat de limiter son volume total de gaz à effet de serre de manière à le réduire d’au moins 25% en 2020 par rapport à 1990”. Ce succès totalement inédit, on le doit à Urgenda, une initiative citoyenne néerlandaise qui a saisi en justice les Pays-Bas, en accusant l’Etat de ne pas protéger les citoyens contre les effets du dérèglement climatique, ce qui constituerait une violation des Droits de l’Homme. Cette condamnation, c’est un message fort adressé aux Etats et à leurs dirigeants, à peine quelques mois avant la COP 21 : plus personne ne veut revivre le grand fiasco de la conférence de Copenhague.

En effet, le réchauffement climatique s’accélère et ses effets sont de plus en plus visibles.

Il devient donc indispensable de lutter contre ces bouleversements et cela, nos dirigeants ont fini par le comprendre. Dès lors, écologie et climat sont au cœur des agendas politiques et des conférences internationales et on crée des ministères de l’environnement : c’est la mise en place d’une diplomatie environnementale mondiale. Cependant, derrière toute cette bonne volonté se cache une réalité toute autre, qui nous rappelle que les paroles ne valent pas les actes.

 

Copenhague, le rêve d’un sursaut mondial

 

Plus grand est l’espoir, plus terrible est la déception. Alors que le sommet de Copenhague promettait de réaliser tous nos rêves les plus fous en matière de protection de l’environnement, il s’est transformé en véritable cauchemar.

Il faut bien reconnaître que les chefs d’Etat sont venus du monde entier pour défiler à la tribune, tous affichant leurs inquiétudes pour le climat et leurs plus belles ambitions. Ils ont rivalisé de coups de menton et de poignées de main savamment médiatisées. Mais surtout, ils n’ont pas été avares en formules historiques : sauver, dernière chance, responsabilité, générations, urgence, solidarité, plus grand défi de l’humanité, historique, survie, avenir… Le sommet de Copenhague, à défaut de mettre en place de réelles mesures, fut au moins une véritable leçon d’éloquence et de rhétorique. Alors que la présence des dirigeants des pays les plus puissants offrait une opportunité sans précédent pour trouver un consensus convenant à la communauté internationale, ce sommet s’est transformé en parodie affligeante. Reste à savoir si ce sont les impostures de forme ou les impostures de fond qui ont été les plus décevantes.

Malheureusement, ces leaders n’ont pas su comprendre (ou n’ont pas voulu comprendre) que ce sommet sur le dérèglement climatique n’était pas un simple G7, et donc que la photo de famille finale n’était pas le point d’orgue de ce rassemblement.

Au début du sommet de Copenhague, le président français Nicolas Sarkozy déclare : “La conférence de Copenhague ne peut pas consister en une succession de discours qui ne se confrontent jamais. Nous ne sommes pas ici pour un colloque sur le réchauffement climatique, nous sommes ici pour prendre des décisions.” Cependant, les négociations sont un échec et les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud finissent par établir, sous prétexte du droit au développement, une feuille de route vide d’engagements, détruisant les espoirs d’une Europe divisée et impuissante.

Néanmoins, le cuisant échec de Copenhague démontre que la lutte contre le réchauffement climatique perd en consensus, voire en naïveté, ce qu’elle gagne en profondeur et en réalisme. Or, si on peut négocier avec les autres pays, on ne négocie pas avec la planète. Il y a 300 000 morts par an et bientôt des millions à cause des inondations, canicules, famines, épidémies… Et la Banque mondiale annonce 140 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050.

L’inaction est un crime contre l’humanité.

L’environnement : l’Eldorado de la communication politique

 

Action ou pas, la protection de l’environnement est un sujet en or pour les hommes politiques. C’est sûrement là sa dimension qui fait le plus consensus ! Habitués à des sujets sérieux, comme l’économie, la géopolitique ou le social, les leaders et ceux qui rédigent leurs discours font place à leur imagination. Mais le climat a beau être une thématique importante, on ne peut que remarquer le gouffre qui sépare ces envolées lyriques de l’indigence de ce qui est fait. Les responsables politiques se comportent alors comme s’ils n’étaient que des lanceurs d’alerte, des observateurs éclairés, et non pas des acteurs majeurs. Car assumer les causes des catastrophes à venir et prendre la responsabilité de les éviter pourraient nuire à leur image. On est donc en droit de se demander si, le temps d’un discours, nos dirigeants ont une réelle volonté de répondre au grand défi de l’humanité.

 

Le leadership environnemental : un nouveau critère de puissance

 

“Make our planet great again” Nous sommes nombreux à avoir esquissé un petit sourire en attendant Emmanuel Macron prononcer ces quelques mots lors du One Planet Summit, qui se tenait à Paris. En effet, le président français parodie la devise du climatosceptique Donald Trump, “Make America great again”, peu de temps après que le président américain ait annoncé le retrait des Etats-Unis de l’accord de la COP 21.

Ce n’est pas un hasard si le président français tente de s’imposer comme figure de proue de la protection de l’environnement en Occident. En organisant le One Planet Summit, la France se positionne comme digne héritière de la COP 21 et fait du climat un outil d’affirmation politique : la diplomatie environnementale est devenue un nouveau critère de puissance. On peut par exemple le constater avec le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris : le soft power américain a pâti de cette annonce peu populaire, donnant des Etats-Unis l’image d’une nation égoïste, plus soucieuse de la santé de son économie que de la santé de la planète, à l’heure de la prise de conscience de l’urgence écologique.

Ce phénomène, la Chine l’a bien cerné. Cependant, elle est le premier pollueur de la planète. Pourtant son droit au développement a été un de ses arguments-phare pendant la conférence de Copenhague pour prendre les mesures les moins contraignantes possibles. De premier pollueur, la Chine semble en passe de devenir premier sauveur. Avec les accords de Paris, elle a entamé sa transition et elle compte “baisser l’intensité carbone de 60% à 65% par rapport à 2005” et “porter la part des énergies non fossiles dans la consommation énergétique primaire à environ 20%” d’ici 2030. En 2018, elle a déjà atteint ses objectifs fixés lors de la COP 21 deux ans en avance. Il en est de même pour son voisin, l’Inde, qui est le troisième pollueur de la planète. L’Inde fait taire un grand nombre de sceptiques en étant sur le point de dépasser certains de ses objectifs, comme, par exemple, en portant la part des énergies renouvelables à 40% de la capacité installée d’ici 2025, au lieu de 2030. La Chine et l’Inde, anciens cancres du développement durable et de l’écologie, semblent donc avoir pris conscience de la nécessité de la transition écologique et s’imposent de plus en plus comme leaders en matière de protection de l’environnement.

Cela leur confère une légitimité plus importante dans les négociations internationales, grâce à un soft power accru.

“C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas” affirmait déjà Victor Hugo au XIXème siècle. Si l’homme n’écoute pas la nature, il aime en tout cas s’entendre parler sur celle-ci. La diplomatie environnementale est au cœur des défis du XXIème siècle, mais plus particulièrement au cœur des luttes de pouvoir. Cependant elle ne doit pas se contenter de satisfaire le show diplomatique, en promettant l’action pour bientôt.

Nous avons le devoir de réussir. Dans un monde devenu des plus complexes, la lutte contre le réchauffement climatique est aussi cette utopie : offrir aux hommes un projet de coopération, qui remplace cette constante compétition. Nous devons refuser ce bal des égos politiques qui semble ne pas vouloir finir, nos dirigeants rivalisant d’éloquence, de projets ambitieux, mais finalement refusant de bousculer les forces qui nous entraînent dans le chaos climatique. Il est temps de rendre réelles ces idées beaucoup trop virtuelles. La grande bataille entre citoyens, lobbys et Etats est engagée, et elle fait rage.

Le sommet de Copenhague a été l’apogée de la prétention oratoire. Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’il reste une exception.

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