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8 février 2021

De Pythagore au Lundi Vert : une brève histoire du végétarisme

Chaque année, la Veggie Pride, sorte de marche pour assumer pleinement et fièrement son opposition à l’exploitation animale, est organisée en France et réunit quelques milliers de Français, assurément ultra-privilégiés, bobo-gaucho-écolos si nous en croyons nos préjugés profondément ancrés. Certains diront qu’ils cherchent seulement à se différencier, à se donner du caractère, « un genre », en s’opposant à l’alimentation omnivore, à tendance parfois carnivore, bien française et bien enracinée dans nos traditions les plus lointaines. Pourtant, notre culture gréco-romaine, que tant d’amoureux de la viande chérissent ardemment, a très tôt été imprégnée d’idées végétariennes, et notamment par les plus sages d’entre eux. Essayons donc de découvrir l’histoire du végétarisme pas si brève et récente que ça et d’en tirer (peut-être) quelques leçons.

Rendons d’abord visite au plus sage d’entre nous, au père de la philosophie (celui qui en créa d’ailleurs le mot), Pythagore. Ce génie des mathématiques et grand philosophe fut aussi le précurseur du mouvement végétarien qui envahit le monde développé actuel. Ses raisons pour un changement si drastique de consommation furent autant d’ordre éthique et moral par respect pour l’animal ; que d’ordre doctrinaire puisqu’il était un fervent croyant de la métempsychose, c’est-à-dire de la transmission de l’âme suite à la mort que ce soit dans un corps humain ou animal. Il était ainsi végétarien, voire végan puisqu’il refusait de porter tout habit de laine ou de cuir, et enseignait ces mêmes principes à ses étudiants qui les perpétuèrent. De ce fait, Plutarque et Sénèque avaient adopté ce régime, bien que ce dernier dû l’abandonner de peur de représailles de la part de Tibère car, qui dit végétalien, dit opposant au sacrifice animal et donc à la religion. Finalement, Platon, dans La République, idéalise une société parfaite qui serait végétarienne (déjà à cette époque) puisqu’elle permettrait de ne pas gaspiller des végétaux en nourrissant du bétail alors que cette nourriture pourrait directement nourrir l’homme ; et maintiendrait l’homme modeste et humble dans sa consommation. Platon, ce visionnaire, avait déjà prévu des violences et des guerres pour les pâturages qui nourrissent les bêtes, trop gourmandes de légumes et céréales. En bref, être végétarien en Antiquité était un acte de rébellion assumé, animé par une volonté de respect de la vie animale, des croyances et le désir de pouvoir nourrir chacun, dans un climat de paix ; autant de considérations qui résonnent tout particulièrement aujourd’hui.

Durant quelques siècles ensuite, le végétarisme fut contenu par le Christianisme en Europe. En effet, cette religion s’est très rapidement opposée à ce régime, Saint Augustin plaidait ainsi que le végétarisme n’était qu’une superstition, toute chose terrestre étant créée par Dieu pour l’Homme ; de plus, comment condamner la consommation de viande alors que Jésus lui-même mangeait du poisson ou du mouton ? D’un ordre plus sociologique, cette religion se prévalait d’une foi universelle et donc sans restriction alimentaire aucune, pour ne pas aller à l’encontre de traditions culturelles de certaines parties du monde.

Heureusement, les Lumières nous ont éclairé, Voltaire s’est levé et a soulevé la question de la moralité sous-jacente à l’exploitation animale. De fait, il démontra la fausseté de l’idée de la chaîne alimentaire qui place l’homme au sommet alors que ce devrait être l’ours et le requin, affirmant ainsi que notre manière de nous alimenter n’est que culturelle. De plus, il soutient que tout être vivant a une âme, la seule altérité entre celle humaine et animale ne tiendrait qu’à un degré différent de développement. Rousseau affirme de même que la consommation de viande n’est que culturelle, en s’appuyant sur des études scientifiques, et que, à l’opposé, la compassion que ressent l’homme envers les animaux est bien naturelle. Il devient ainsi le premier théoricien du droit animalier, droit nécessaire puisque la bête éprouve aussi du plaisir et de la violence. L’universalisme des Lumières n’a donc aucune limite, les grands philosophes de l’époque sont profondément animalistes, au-delà de tout égoïsme humain encore présent dans l’idée de réincarnation de Pythagore, de peur de ne pas être respecté en tant qu’animal après transmission de son âme.

L’époque moderne ouvre une révolution dans notre production et dans notre consommation avec l’essor de l’industrie, fini les produits de proximité, bienvenu à la consommation de masse. Parallèlement, la pollution grimpe dangereusement, les sols s’assèchent, l’eau se raréfie, etc. Pourtant, l’homme arrive toujours à produire plus pour nourrir une population en constante croissance et uniformise l’alimentation autour du régime occidental omnivore, mais à quel prix ? En effet, 78% des émissions de gaz à effet de serre agricoles proviennent directement de l’élevage des animaux, Einstein avait d’ailleurs compris très tôt l’enjeu écologique de la consommation de viande, expliquant ainsi : « Rien ne peut être aussi bénéfique à la santé humaine et augmenter les chances de survie de la vie sur terre que d’opter pour une diète végétarienne. »

Entre autres scientifiques, Darwin s’est aussi différencié par ses idées végétariennes fondées sur des recherches scientifiques, montrant que la consommation de viande n’était qu’un fait culturel, puisque l’homme ressemblait plus à un animal frugivore qu’à un carnivore, avec ses petites canines et sa faible mâchoire.

Marguerite Yourcenar amène un argument contemporain sociologique en faisant un lien des plus intéressants entre la cruelle exploitation que l’homme orchestre sur les animaux qui l’amène à faire de même sur ses semblables : « Rappelons-nous, s’il faut toujours tout ramener à nous-mêmes, qu’il y aurait moins d’enfants martyrs s’il y avait moins d’animaux torturés, moins de wagons plombés amenant à la mort les victimes de quelconques dictatures, si nous n’avions pris l’habitude des fourgons où les bêtes agonisent sans nourriture et sans eau en attendant l’abattoir. » Lévi-Strauss ose même aller plus loin en faisant un parallèle entre le racisme et l’exploitation brutale des bêtes : « Depuis une quinzaine d’années, l’ethnologue prend davantage conscience que les problèmes posés par les préjugés raciaux reflètent à l’échelle humaine un problème beaucoup plus vaste et dont la solution est encore plus urgente : celui des rapports entre l’homme et les autres espèces vivantes ; et il ne servirait à rien de prétendre le résoudre sur le premier plan si on ne s’attaquait pas aussi à lui sur l’autre, tant il est vrai que le respect que nous souhaitons obtenir de l’homme envers ses pareils n’est qu’un cas particulier du respect qu’il devrait ressentir pour toutes les formes de la vie. »

Enfin, au-delà du parallèle entre homme et animal, certains défendent simplement le respect des animaux et par conséquent souvent le végétarisme, car ils sont des êtres vivants et bien souvent d’une faiblesse funèbre, comme le souligne Zola. De même, comme le soutient Gandhi : « La grandeur d’une nation et ses progrès moraux peuvent être jugés de la manière dont elle traite les animaux. »

Finalement, nous pourrions continuer à vous citer indéfiniment de bonnes raisons rationnelles de devenir végétarien, appuyées de toujours plus d’exemples de cerveaux brillants ; mais cela ne changerait pas le fait qu’être végétarien est un engagement bien personnel qui ne peut être pris et tenu que par vous-mêmes, mais n’oubliez pas qu’avant de devenir végétarien voire végétalien, il existe des étapes intermédiaires (comme vous pourrez le lire dans le second article de cette journée). Ah, et pour finir, loin de moi la volonté de dire que les végétariens sont des êtres supérieurs, mais les exemples sont quand même bien nombreux : Pythagore, Socrate, Platon, Sénèque, Plutarque, Léonard de Vinci, Lamartine, Voltaire, Rousseau, Montaigne, Charlotte Brontë, Percy Bysshe Shelley, Zola, Darwin, Newton, Edison, Einstein, Tesla, Gandhi, Tolstoï, Aldous Huxley, Marguerite Yourcenar, Peter Singer, Lévi-Strauss, Paul McCartney, Steve Jobs, Bill Clinton (depuis 2010), Al Gore (flexitarien), Jane Goodall, Rajendra Pachauri, etc. (tous ayant été végétariens durant une période de leur vie) et j’en passe beaucoup.

Pour conclure, je dirai seulement : « Je ne suis pas végétarien parce que j’aime les animaux, mais parce que je déteste les végétaux. », merci à A. Whitney Brown pour cela.

Cet article vous est proposé par Nolwenn Magdelaine, du Noise ESCP.

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