Posted in Vie de Campus
15 octobre 2017

Épistémologie de la gigue

Chaque année, depuis des décennies, la même histoire se répète pour les élèves de première année de ESCP Europe. Ils entendent le mot gigue sans cesse depuis leur arrivée. Vocable au sens d’abord obscur, ils s’en imprègnent peu à peu, au fil des open locaux, au contact de leurs 2A. Mieux, certains la pratiquent sans même s’en rendre compte (parfois depuis leur plus tendre enfance), et ce n’est qu’au terme d’une longue et minutieuse introspection que les plus téméraires d’entre eux comprennent les tenants et les aboutissants d’un tel comportement. Alors, la gigue : véritable fléau de la vie associative ou symptôme d’une bonne volonté sociale des plus humaines ?

Il convient avant tout de définir le plus exhaustivement possible ce terme. On associe volontiers à la gigue un comportement visant à s’attirer les bonnes grâces des membres d’une association que l’on aimerait rejoindre. La gigue recouvre évidemment plusieurs réalités, échelonnables sur quatre niveaux.

Fondamentalement, aucune structure sociale n’est exempte de gigue, c’est un phénomène naturel qui oscille entre hypocrisie, zèle, sociabilité et gentillesse. ESCP Europe est donc un formidable laboratoire humain à Paris intra-muros où se sont mises en place certaines stratégies de gigue, expérimentées par des dizaines de promotions, aux résultats plus ou moins concluants. Les témoignages d’experts en gigue ont permis d’établir la déclinaison suivante.

    • La gigue traditionnelle. C’est la forme la plus simple et répandue de gigue. Vous tâchez de montrer votre intérêt pour l’association par le biais de moyens on ne peut plus conventionnels parmi lesquels la discussion autour d’une pinte, le trémoussement sur de la bonne musique, les blagues.

    • La gigue anticipée. Vous visez une association depuis belle lurette et vous êtes prêt à tout mettre en œuvre pour y accéder. Vous avez demandé en ami tous les membres de l’association avant même de mettre un pied dans l’école.

    • La gigue ciblée. Vous repérez certes l’association de vos rêves, mais aussi un/une 2A qui correspond à vos critères physiques. Rejoindre l’association une fois que vous êtes en couple avec lui/elle est un jeu d’enfant. C’est ce qu’on appelle faire d’une pierre deux coups.

    • La gigue biaisée. Tous vos amis (de la crèche, du lycée, de prépa, de l’ESCP, peu importe) sont dans l’association, ou mieux, des membres de votre famille : un grand frère ou une cousine ont un jour porté ce pull si convoité. C’est du tout-cuit.

    • La gigue transversale. Vous visez une association pour en atteindre une autre. De prime abord, ça frôle l’absurdité, et pourtant, l’efficacité est avérée : petit à petit, l’oiseau fait son nid.

    • L’open gigue. Vous giguez partout. Et puis on verra bien où ça marche.

    • L’anti-gigue. Raser les murs et ne parler à personne peut encore attirer certaines associations, rien n’est perdu !

    • La gigue par la coinche. Le jeu de cartes qu’on ne présente plus au 79 avenue de la République reste un outil de socialisation puissant qui transcende – au moins pour un temps – la hiérarchie des associations.

    • L’esclavagigue. Vous êtes réduit à l’esclavage par les membres d’une association dans l’espoir d’être le fameux « dernier intro ».

    • La gigue bilatérale. Vous aidez un bon pote à avoir une association en l’accompagnant aux apéros, mais finalement c’est vous qu’ils intro et pas lui.

    • L’hypnogigue. Vous faites comme si vous étiez dans une association en côtoyant ses membres, et en espérant que la promo du dessous y croit afin de vous faire giguer. Mêmes befores, mêmes apéros… tout y est, sauf le pull.

Force est de reconnaître que cet emploi du mot gigue est circonscrit à la sphère scepienne. Ainsi, si vous tapez sur l’outil google « gigue », vous découvrirez qu’il s’agit d’une danse d’origine anglaise ou irlandaise (European Identity) populaire au Québec (Global perspective) à la fin du XIX° siècle. Prudence cependant si vous employez ce terme à Jouy-en-Josas, où le sens est tout autre. La gigue est là-bas une corvée, quelque chose de désagréable à faire, et « se faire giguer » ne signifie rien d’autre que « se faire traquenarder ».

rituel d’intronisation au cœur de la campagne josassienne qui consiste en l’emberlificotement dans du fil

S’il fallait conclure en ces temps troublés de gigue exacerbée, sans doute les mots de Ronald McDonald, « venez comme vous êtes », seraient suffisants.

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