Sur René Girard

par Alexandra Nikolaeva Tcherneva 

 

« Nos désirs ne deviennent vraiment convaincants que lorsqu’ils sont reflétés par ceux des autres »

 

René Girard nous a quittés le 4 novembre dernier à 91 ans. L’homme qui est entré à l’Académie Française en 2005 n’a pourtant pas trouvé sa place dans l’université française, s’étant exilé aux Etats-Unis où il effectua sa carrière et où il fit mûrir ses plus grandes réflexions. Ce professeur de langues et de civilisation à Baltimore puis à Stanford, dont la personnalité que ses plus proches lui reconnaissent comme étant « tenace et parfois bourrue », a laissé derrière lui un héritage philosophique, anthropologique, théologique et psychologique très riche.

 

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Le désir mimétique est la principale notion développée par Girard. Sa réflexion autour du désir lui a permis d’ébaucher une appréhension du monde totale, l’élargissant à un champ encore plus vaste que celui de la littérature. Qu’est ce que le désir mimétique ? Il est simple à résumer : l’homme ne désire que ce que l’autre désire. L’homme est par essence désirant, il se nourrit des désirs de l’autre et les adopte dans son mode de vie, ses mœurs, façons d’être et de penser. C’est ce qui distingue l’homme de l’animal : si l’animal répond à des instincts, l’homme répond à des désirs, qui sont fruits de son observation et de son imitation. Se met en place alors un triangle du désir : le désir porte sur un objet qui est déjà « objet d’un autre ».

 

De ce désir mimétique nait alors une floraison de sentiments tels que l’envie, la jalousie puis la haine et le désir de vengeance. Et c’est cet éventail qui permet à l’anthropologue de prolonger son analyse.

 

Ces sentiments mettent à mal selon Girard l’ordre social en fusionnant sous le thème de la rivalité. Elle pousse l’un à envier l’autre puis a fortiori à le détester, elle est aussi contagieuse et peut mener à la violence qui menace à tout instant. Le processus fait facilement boule de neige. L’objet est vite oublié, les rivalités mimétiques se propagent, et le conflit mimétique se transforme en antagonisme généralisé : le chaos, l’indifférenciation, la  « guerre de tous contre tous ». C’est justement de cette rivalité qu’émane un autre concept girardien, celui du « bouc émissaire » pan critique du mimétisme. C’est dans La violence et le sacré (1962) que le philosophe éclaire l’image : « l’immolation d’une victime sacrificielle, attestée dans presque toutes les traditions religieuses et la littérature mythologique, sert à apaiser la «guerre de tous contre tous» dont Thomas Hobbes avait fait le centre de sa philosophie ». À l’exemple des « chasses aux sorcières » par exemple, la théorie du bouc-émissaire permet à la communauté de se sauver de l’autodestruction causée par des guerres civiles et c’est à ce bouc-émissaire que l’on attribue une valeur « sacrée » qui ramène la paix et recrée le lien social.

 

Le sacré suscite et engendre de la violence. Fondé ou non sur une transcendance divine, il constitue un mode de représentation de l’univers qui échappe à l’emprise de l’homme, exige sa soumission totale, définit des prescriptions et des interdits. C’est le sacré qui, en dernière instance, donne à l’homme son identité, le conduit à «sacrifier» sa propre vie ou celle des autres. Dans tous les mythes religieux les divinités du bien et de l’ordre s’arrachent toujours, dans une lutte violente, au chaos, au mal et à la mort.

 

La théorie mimétique et anthropologique de Girard, fondée sur le double paradigme d’exclusion et de sacralisation du bouc émissaire à permis à au théoricien de façonner, de façon marginale dans un contexte d’hyperspécialisation philosophique, une pensée unitaire visant à une explication globale des comportements humains apportant à Girard tant d’enthousiastes que d’opposants et faisant de lui un homme déterminé à découvrir et à mettre à nu les racines de la culture humaine.