La procrastination : fléau ou facteur de progrès ?

par Merwane Eddahbi

La procrastination, ce fléau…

 

4h52, veille du partiel de stats. Ou plutôt h-4. Les paupières lourdes et l’esprit engourdi, ce jeune étudiant griffonne désespérément, les yeux rivés sur son écran, quelques formules qu’il ne cherche même plus à comprendre et qui ne lui seront de toute façon d’aucun secours quand tombera le sujet. Las et arrivé au bout de sa sixième tasse de café, il choisit de faire impasse sur la régression linéaire (le con) et va s’allonger, bien décidé à affronter son destin. Maintenant étendu sur son lit, attendant que les effets de la caféine s’estompent, il déplore son manque de clairvoyance, de rigueur, et fait la promesse de ne plus jamais se retrouver dans la même situation.

4h52, veille du partiel de finance. Les paupières lourdes et l’esprit engourdi, il est, un semestre plus tard, dans la même merde. Classique.

Car oui, pas besoin d’avoir suivi assidûment ses cours de psycho & management pour comprendre que ce jeune étudiant ne changera jamais, cela fait partie de son être. Comme beaucoup d’entre nous, c’est un procrastinateur.

La procrastination, c’est cet art de vivre qui consiste à repousser à l’infini, ou du moins jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’alternative, une tâche que nous n’avons pas envie d’accomplir. Alors on esquive nos responsabilités, avec plus ou moins de créativité d’ailleurs, et toujours avec ce vague sentiment de culpabilité doucement réprouvé.

Tout y passe et rien n’y fait, la procrastination s’immisce dans les moindres activités de notre quotidien : la révision des partiels, la paperasse administrative…C’est un monstre qui dévore tout et n’épargne personne ou presque – à tel point qu’on lui a consacré une journée mondiale, le 25 mars. Un véritable fléau donc. D’autant plus qu’une fois contaminé, il est quasiment impossible de s’en défaire : c’est là sa grande force, on en vient même à remettre à demain… le fait d’arrêter de tout remettre à demain.

Ce cercle vicieux, ce sabotage de soi-même dont nous sommes pourtant conscients, serait un moyen d’éviter la confrontation de certaines réalités qui nous dérangent, de fuir le stress à court terme, et résulterait finalement d’un manque de conscience en soi et d’une faible maîtrise de ses désirs.

Ok. Mais qu’en est-il quid de ses effets positifs ? Il en faut forcément, sans cela nous ne serions pas des millions à la pratiquer dévotement chaque jour.

…salutaire

Selon John Perry, philosophe et professeur à l’université Stanford, la procrastination permet paradoxalement d’accomplir une énorme quantité de tâches et de passer pour un travailleur acharné. Le secret ? Se mentir à soi-même pour mieux mentir aux autres. C’est ce qu’il appelle la procrastination structurée :

« La procrastination structurée consiste à organiser la liste des choses que vous avez à faire. Vous allez classer par ordre d’importance les corvées qui vous incombent. Celles qui vous semblent les plus urgentes et les plus importantes seront en tête de liste. Mais, plus bas, figurent aussi des tâches incontournables : s’y consacrer est un bon prétexte pour ne pas s’acquitter des tâches prioritaires.  – […] La procrastination structurée requiert une bonne dose de mauvaise foi, puisqu’elle repose sur une constante arnaque pyramidale contre soi-même. »

Mieux encore, la procrastination est selon lui facteur de progrès, dans la mesure où c’est en essayant de contourner un problème, plutôt que de s’y soumettre machinalement, qu’on peut découvrir une manière plus efficace d’en venir à bout :

« Qui a inventé la roue ? Quelqu’un dont la mère lui a demandé de “sortir dehors et d’inventer la roue” ? Non ! Sa mère lui a probablement dit : “Va dehors mettre ces machins là-bas”. Et il a essayé de trouver un moyen plus facile de porter ces choses. Donc en procrastinant il a inventé la roue ! La procrastination a donc été l’un des moteurs principaux du progrès humain. »

On l’aura compris, la procrastination a encore de beaux jours devant elle. Les incorrigibles branleurs que nous sommes ne changeront pas. Mais trop faibles pour la combattre, peut-être devrions-nous commencer à la mettre à profit.