Quid du “quid” ?

par Corentin Jaouen

La rentrée à l’ESCP a permis de rompre avec l’univers incestueux des classes prépa et de découvrir une garnison entière de nouvelles têtes. Au rythme des apéros, des intros et des évènements scépiens, des liens se sont tissés entre les nouveaux pensionnaires de l’illustre 79 Avenue de la république. Lentement, notre quotidien s’est peuplé de nouveaux compagnons et de nouvelles habitudes. Chacun s’est forgé une identité propre au doux tempo des choix d’asso, de sport ou de campus. Chacun a réfléchi à la couleur à donner à son passage dans l’école parisienne, de la rime personnelle à apporter au roman scépien.

Mais un trublion est venu perturber ce joyeux tableau libre arbitraire en s’invitant dans nos présents sans qu’on ne l’y eut convié. Il s’est affirmé plein de patience et d’indolence à nos cotés sans coup d’état mais avec autorité malgré tout. Notre trouble-fête s’est construit lentement un empire si influent sur nos consciences que l’étrange sentiment de l’avoir toujours connu s’est désormais installé. Notre oppresseur à quatre lettres, car il s’agit d’un mot, a fait main basse sur le trône de nos vocabulaires. Il a tissé sa toile peu à peu supplantant son prédécesseur, le démocratique et regretté « Qu’en est-il de ». Ce despote sanguinaire, vous l’aurez compris, c’est le désormais tristement incontournable Quid.

 

Mais qui es-tu Quid totalitaire ?

Cousin hexagonal du célèbre « What about », notre Quid national renoue directement avec les racines latines de la langue de Molière. D’ailleurs, sa véritable signification est « Quoi », ce qui interroge sa pertinence dans l’architecture de la phrase. C’est que son irrésistible ascension s’explique en partie par des motifs psychologiques : elle incarne la rupture salvatrice des étudiants avec la lourdeur des tournures de phrases du profil préparationnaire. Le Quid n’est que l’étendard d’une volonté affirmée de simplifier nos interactions à l’image de ses homologues Asap, Up ou BTW. Ce mot franc et direct a l’avantage de permettre une compréhension rapide et efficace pour des interlocuteurs parfois éméchés ou juste idiots de naissance. De plus, le quid minimise le risque, il permet de ne plus s’aventurer dans une architecture de phrase douteuse que nos congénères khâgneux ne se priveraient pas de moquer.

Ses détracteurs déplorent son omniprésence agaçante et ce qu’elle reflète : la seconde jeunesse de ce mot venu du berceau de la civilisation latine est paradoxalement favorisée par la montée en puissance de la totalitaire novlangue managériale sous sa forme la plus moderne. C’est pour eux la négation de la construction de phrase poétique, le triomphe d’un pragmatisme glaçant.

Les faits sont têtus : le Quid est bien installé au creux de nos dialogues, hantant nos discussions, submergeant nos relations de son radicalisme.

 

Quid de la résistance ?

Mais face à ces provocations linguistiques, la rébellion commence peu à peu à s’affirmer. Dans ce marasme, certains ont refusé de céder au fatalisme et brandissent insolemment chaque « Qu’en est-il de » comme autant de drapeaux flottants fièrement contre l’envahisseur.

Mais reste encore à trouver des leaders pour mener la lutte, des héros prêts à jeter toutes leur vocabulaire dans la bataille pour que le bien général l’emporte. Le maquis s’organise autour d’un internaute qui semble déterminé à incarner le combat pour faire reculer les forces du Quid.

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Le chef des troupes rebelles, un certain bigfish777 dont le pseudo trahit la détresse mentale, signe sur le net cette tribune poignante sur les dangers d’un mot qu’il juge nuisible pour l’humanité. Pour endiguer les provocations, notre messie propose une grève de la réponse face aux questions quidiennes. La violence de ses propos montre bien les séquelles psychologiques engendrées par l’ubiquité totalitaire d’un quid qui nous pousse à bout.

Mais plus que les menacer, il faut tenter de comprendre ceux qui se laissent entrainer par le vertige de la facilité linguistique. Cette effusion de nouvelles expressions est plus que tout le reflet fascinant de l’identité que se construisent les étudiants en école de commerce jusque dans les virgules. Mot après mot, c’est une culture commune qui s’érige autour des nouveaux centres d’intérêts qui gravitent dans cet univers singulier des Business Schools.

C’est pourquoi il ne faut pas blâmer les adeptes du Quid : c’est un mot social désormais. Et si un jour une personne vous le susurre de nouveau dans les travées de l’ESCP, serrez la dans vos bras. Elle a besoin de reconnaissance.

L’académie française que nous avons contactée (véridique), tient le mot de la fin :  “ce mot n’est pas incorrect mais il convient de ne pas en faire un tic de langage”.