La Halle Saint-Pierre : un univers artistique, marginal et alternatif

par Adriana de Viliers

 

« Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. »

-Jean Dubuffet, L’art brut préféré aux arts culturels, 1949

En se promenant dans le quartier historiquement artistique de la butte Montmartre, le flâneur, le perdu, le touriste ou le parisien, a peut être des chances de se retrouver face à un ancien marché, une halle de style Baltard (de l’architecte Victor Baltard, sous le Second Empire). Surprenante vision au coin d’une rue parisienne comme les autres. Le curieux qui franchit la porte de la halle sera encore plus surpris. Pas à pas il découvre un autre monde. De surpris, il passe à choqué. Il se retourne. Enchanté. Un pas de plus. Riant aux éclats. Des émotions fortes qui changent d’un coup d’œil à l’autre : il est entré dans l’antre de l’art « outsider » et n’en sortira pas indemne.

C’est que la Halle Saint Pierre est un musée, mais pas un musée comme on les connaît : elle ne se contente pas d’exposer des œuvres d’artistes connus appartenant au passé, non, elle met sous les yeux du visiteur un monde de création vivant et visionnaire.

Au cœur du projet de ce lieu culturel et historique : l’art brut.

 

L’art brut (ou l’art outsider pour les anglo-saxons) a été théorisé par Dubuffet qui décrit cette forme d’art comme individuelle, sauvage, radicalement différente de tout modèle connu, qui suit uniquement ce que Kandinsky appelle le « principe de nécessité intérieure » (Du spirituel dans l’art).

« Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. » (Dubuffet).

Bien que l’art ne puisse pas être purement brut et vierge de tout conditionnement culturel, l’art brut veut échapper à toute démarche esthétisante et savante. C’est la qualité intrinsèque de la production qui en fait une œuvre d’art, qui naît de la tension entre la pulsion dionysiaque et la nécessité apollinienne, de mise en forme, de la création. Cette vision de l’art est inspirée de La naissance de la tragédie de Nietzsche, mais également de Freud pour qui il y a une frontière mouvante entre les impulsions primitives de l’homme et leur domestication par la culture.

 

Ces œuvres d’art brut inattendues sont comme une claque pour le visiteur : elles traitent de pulsions, de mort, de folie, des aspects primitifs et originels de l’homme, de la dimension mystique de l’univers et prennent des formes étonnantes, parfois choquantes et repoussantes, mais toujours troublantes.

 

Alex_Grey-Kissing

Kissing, Alex Grey, 1983

 

Cette forme d’art n’ayant pas de contours fixes et se renouvelant perpétuellement, la Halle Saint Pierre présente des expositions temporaires. La première, « Art brut et Compagnie, la face cachée de l’art contemporain », en 1995, eut un retentissement formidable dans un milieu artistique et culturel peu habitué à ces formes d’art « outsider ».

 

En ce moment, c’est l’exposition « HEY! modern art & pop culture / ACT III », jusqu’au 13 mars 2016, qui présente 62 artistes « outsider » et de rue internationaux. Le visiteur y trouvera par exemple des œuvres de Gabriel Grun, Ed Hardy, Joël Negri ou encore Alain Bourbonnais. Tous les artistes ont leur propre univers, et tous sont complexes et particuliers. Ce qui fait d’eux des artistes « outsider » est la résistance par l’imaginaire aux normes, à la catégorisation des formes, aux impératifs et à l’esthétisation de l’art. C’est un art underground, marginal et alternatif que la Halle Saint Pierre fait découvrir à travers ces expositions.

 

« Ils [les artistes « outsider »] portent en eux cette chose primaire, rare, et à chaque fois plus nécessaire: la capacité de s’étonner.»

-Mario Chichorro, artiste

 

Bourbon

Alain Bourbonnais