Faut-il pleurer Emiliano Sala ?
Le lundi 21 janvier, le monomoteur transportant le footballeur argentin Emiliano Sala ainsi que son pilote, David Ibbotson, disparaît des radars et s’abîme au large de l’île de Guernesey. 11 jours plus tard, le jeudi 8 février, le corps de l’attaquant de 28 ans qui s’apprêtait à rejoindre le club gallois de Cardiff est identifié dans la carcasse de l’avion, au fond de la Manche.
Ces informations sont très probablement parvenues jusqu’à vos oreilles ces derniers jours. En effet la presse française et britannique, sportive comme généraliste, a largement couvert la disparition tragique d’Emiliano Sala. Peut-être vous êtes-vous alors posé la même question que de nombreux internautes, qui ont montré leur étonnement voire leur colère dans leurs commentaires : pourquoi en fait-on autant pour un footballeur ?
Et cette question est légitime. En effet, pourquoi les journalistes accordent-ils une si grande importance à la mort d’un « simple sportif » mais passent sous silence les morts quotidiens en Syrie ou ailleurs ? Pourquoi les rares articles mentionnant le pilote de l’avion, David Ibbotson, lui aussi victime de l’accident, se contentent-ils de mettre en cause ce dernier, allant presque jusqu’à sous-entendre qu’il est, d’une certaine manière, en partie responsable de la mort d’Emiliano Sala (et de la sienne accessoirement) ?
En clair : certaines vies, et donc certaines morts, vaudraient-elles plus que d’autres ?
Pourquoi parle-t-on autant de la mort d’Emiliano Sala ?
La réponse la plus évidente serait celle de la popularité. Si on parle de la mort d’Emiliano Sala, c’est bien parce qu’il était connu de tout amateur de football. De même, les centaines de personnes qui chaque 9 du mois se pressent en l’église de la Madeleine pour rendre hommage à Johnny Halliday montrent bien que le raz-de-marée médiatique suivant sa mort était justifié : le chanteur était une icone pour beaucoup de français.
Mais il faut aller au-delà. Si la mort de ces célébrités, qu’elles soient sportives, culturelles ou autres, affecte tant des personnes qui ne la connaissaient pourtant pas personnellement, c’est bien parce qu’elles étaient plus qu’un nom ou un talent.
Si l’on se penche sur le cas d’Emiliano Sala, il suffit d’écouter ceux qui l’ont côtoyé comme joueurs ou entraîneurs. Ainsi, selon Vahid Halilhodzic, son entraîneur à Nantes, « c’était un garçon exemplaire par sa combativité et sa gentillesse. Un jour, il faudra créer un trophée Emiliano Sala pour l’état d’esprit. » Sergio Conceiçao parle lui de « quelqu’un qui donne tout, sur le terrain comme dans la vie ».
“Quelqu’un qui donne tout, sur le terrain comme dans la vie”
L’excellent article de nos confrères de So Foot ne parle ainsi pas d’un « immense joueur » ou d’un « grand attaquant ». Non, l’hommage est adressé « en mémoire d’un type bien ».
Cela nous amène à ce qui est peut-être l’affirmation la plus centrale de cet article : pour beaucoup de personnes, Emiliano Sala était un modèle.
Mon modèle, ton modèle, son modèle
Nous avons tous des modèles. Pour la plupart d’entre nous, ils font partie de nos cercles familiaux, amicaux, ou professionnels. Mais force est de constater qu’il n’en est pas de même pour tout le monde. Oui, certains ont pour modèles des chanteurs ou des sportifs, et ce malgré qu’ils n’aient ni longues études, ni faits d’armes majeurs à leur actif.
Leur seul mérite est d’avoir réalisé leur rêve et d’avoir tout mis en œuvre pour cela. Car le talent, aussi important soit-il, n’est rien sans une volonté d’acier. Et c’est peut-être cela qui explique l’admiration parfois dévote de certains à leur égard.
Mais il n’y a pas que leur volonté qui soit à souligner chez ces « modèles », mais également leurs bonnes actions. En effet, il est à rappeler que la notoriété n’est qu’un outil, qui peut être bien ou mal utilisé. Et les exemples fourmillent pour nous montrer combien une notoriété utilisée à bon escient peut être bénéfique pour la société.
Tenez, si vous voyez un footballeur donner à la fin d’un match son maillot à un jeune homme handicapé, vous serez peut-être tenté de répondre : « il fait ça pour sa comm’, et puis de toute façon, un maillot ce n’est rien quand on gagne des millions ». Oui, c’est vrai. Mais toujours est-il que son geste sera vu par des millions de personnes, et qu’il en inspirera peut-être certaines.
Tout étudiant ayant suivi un tant soit peu son cours de psychologie sait combien l’identification est un processus fréquent chez l’homme. Il est aisé de s’identifier à une personne célèbre (chanteur, sportif, etc) et ainsi d’imiter ses faits et gestes, et son attitude. De fait, le comportement de toute personne un tant soit peu connue est passé au crible. Cela signifie que tout mauvais geste sera mis en exergue, mais également que toute bonne action profitera d’une mise en avant non négligeable.
L’identification peut alors prendre une tournure extrêmement positive. En effet, le comportement positif du « modèle » devient un exemple à imiter, et son effet bénéfique sur la société s’en trouve amplifié. C’est ce qui semble avoir été le cas pour Emiliano Sala et qui peut expliquer, en un sens, l’émoi autour de sa disparition.
Emiliano Sala, le gamin devenu modèle
Ainsi, si des milliers de personnes à travers le monde ont pleuré (au sens figuré ou non) la mort d’Emiliano Sala, ce n’est pas seulement au grand buteur qu’ils ont rendu hommage, mais aussi au gamin discret qui, débarqué en France au sortir de l’adolescence avec un français plus que balbutiant, a su, à force de sérieux et de persévérance, s’imposer durablement dans le paysage footballistique français, au point même de s’en aller conquérir l’Outre-Manche.
Tous les clubs par lesquels il est passé (Orléans, Caen, Bordeaux, Nantes) témoignent ainsi, dans les lettres poignantes qu’ils lui ont adressé à l’annonce de sa mort, du sérieux et du professionnalisme du jeune argentin. Ils soulignent ainsi combien ces qualités furent, et seront encore à l’avenir, un exemple pour beaucoup de jeunes.
Emiliano Sala n’a peut-être pas gagné de Prix Nobel ni découvert de vaccin. Il ne restera pas non plus dans les mémoires comme une légende de son sport. Mais il a su, à travers son comportement, devenir un modèle à imiter pour beaucoup de fans de football.
Alors, faut-il pleurer Emiliano Sala ? Nul n’y est obligé. Mais on peut respecter ceux pour qui il incarnait plus qu’un « millionnaire qui court après un ballon », ceux pour qui il était « un type bien ».