Vers l’idéal ?
Souvent a-politiques, les étudiants de l’ESCP – et des ESC en général – seraient pourtant les meilleures recrues de la vie politique. Formés à la fois en philosophie et en géopolitique (ou en économie), ils ont une vision du monde allant de l’abstrait au concret, du théorique au pratique. Je cherche ici à leur montrer qu’il n’est pas trop tard pour s’engager, et à mettre en valeur toutes les choses qui mériteraient d’être traitées et pensées par des cerveaux formés à l’Idée – et qui, dans notre environnement ultra bourgeois privilégié ne sont peut-être pas visibles. Ainsi pose toi la question, cher camarade et cher lecteur. Le monde d’aujourd’hui, est-il ton idéal ?
Les principes républicains sont bafoués un peu plus chaque jour. Chaque jour, en France, moins de personnes croient que chaque homme est libre et capable de s’auto-déterminer en faisant fi de sa race, de sa religion, de son sexe, de sa culture d’origine. Des rôles sont assignés aux citoyens, considérant que s’ils ont telle caractéristique physique ou ethnique, ils ne peuvent penser différemment du reste de leur communauté. Est-ce là notre idéal ?
Les libertés fondamentales sont toujours plus réduites sur le postulat que le citoyen n’est pas assez raisonnable pour s’administrer lui-même. L’État tente de donner une illusion de sécurité en cachant des pratiques réelles sous des interdictions légales vides qui ne seront pas respectées. Est-ce là notre idéal ?
Des dizaines de territoires, en France, ne sont plus soumis à la loi commune qu’en théorie, et non plus en pratique. L’égalité devant la loi est rompue car la police n’a plus les moyens de faire appliquer les lois de la République à certains quartiers. Comme le dit Rousseau dans sa 8ème lettre depuis la montagne : « si un est au-dessus des lois, personne n’est libre ». Est-ce là notre idéal ?
La défiance dans la politique, dans les institutions, dans la réussite scolaire et sociale considérée comme bourgeoise est telle que trop peu de Français – un peu moins chaque jour qui passe – considèrent leurs concitoyens comme leurs frères. La fraternité n’est plus pour beaucoup qu’un mot perdu et mal compris sur le fronton de quelques bâtiments dont ils récusent la légitimité et l’autorité. Est-ce là notre idéal ?
Depuis des dizaines d’années, l’idéal républicain de formation de chaque Français est mort dans la baisse du niveau des programmes. Nos concitoyens ne croient plus dans le pouvoir de la raison, défient la science et l’expérience au profit de croyances toujours plus folles. Chacun n’étant plus correctement formé, les choses de la raison sont de plus en plus réservées aux plus riches. Est-ce là notre idéal ?
Le travail et ses valeurs sont de plus en plus méprisés, refusés, considérés comme inutiles. Se dépasser, intellectuellement et physiquement n’a plus de sens pour beaucoup. Cette culture de l’excellence et de la rigueur qui faisait la grandeur de la République disparaît chaque jour un peu plus. Est-ce là notre idéal ?
La sécurité n’est pour beaucoup de nos concitoyens qu’un mot abstrait. Combien de femmes ont la peur au ventre en sortant dans certains quartiers de Paris ? Combien d’hommes craignent d’être poignardés pour un mauvais regard ou pour avoir voulu éviter un lynchage ? Est-ce là notre idéal ?
L’économie est dévastée, les différentes crises de ces deux dernières années, combinées à la désindustrialisation post croissance des NPIA (Nouveaux Pays Industrialisés d’Asie), ont mis des millions de personnes au chômage, sans qu’ils aient d’autres formations qui leur permettent de vivre dignement de leur travail. Combien de commerçants demain, de petits entrepreneurs, d’employés de petits magasins ou d’ouvriers devront faire appel aux aides sociales, en ayant tout de même la peur au ventre de ne pas pouvoir nourrir leurs enfants entre le 27 et le 30 du mois ? Est-ce là notre idéal ?
Pour ceux, courageux, qui voudraient encore entreprendre, le parcours sera difficile. Les milliers de normes, de règles, de textes de lois perdent le citoyen lambda qui n’est pas accoutumé à l’abominable langage administratif. Trop peu de citoyens peuvent aujourd’hui se targuer de comprendre toutes les normes auxquelles ils sont pourtant soumis. Est-ce là notre idéal ?
Les gardiens de la paix civile, en sous nombre, sont tous les jours violentés, lynchés, assaillis, assassinés par des gens qui n’ont foi en aucune loi et en aucun peuple. Et cela à tel point que, à bout, certains policiers en viennent à passer leurs nerfs de manière inacceptable sur d’innocents citoyens. Est-ce là notre idéal ?
Défiant toute raison, toute connaissance, toute expérience, des pseudos écologistes font fermer des centrales nucléaires, facteur de puissance et de renommée scientifique pour la République, et amènent indubitablement à ouvrir des centrales à charbon. L’idéologie a pris le pas sur l’écologie. Est-ce là notre idéal ?
Si seulement les problèmes n’étaient qu’intérieurs, peut-être que certains pourraient vouloir quitter ce pays et espérer s’en sortir.
Et pourtant. La montée en puissance de la Chine au niveau politique déstabilise et affaiblit l’ordre mondial d’après-guerre. Par des investissements agressifs et du chantage politique et géopolitique, la Chine prend peu à peu le contrôle des institutions internationales. La France, dont l’article 55 de la Vème République contraint à obéir aux traités internationaux, pourrait donc se retrouver vite en fort mauvaise posture. Est-ce là ce que nous voulons pour le monde ?
Par des traités politiques et économiques bilatéraux, ce même empire du milieu vise à briser la concorde européenne, seul moyen pour la France d’étendre suffisamment sa puissance pour peser de manière majeure au niveau mondial. L’Europe brisée, notre liberté et notre souveraineté le seront aussi, et le monde perdra la seule puissance qui ne se veut pas être un empire. Est-ce là ce que nous voulons pour le monde ?
L’Europe, par le tournant technocratique qu’elle a pris après l’échec du traité instituant une constitution pour l’Europe, est devenu un monstre froid et liberticide, à réformer de fond en comble. On ne peut faire une fédération de pays s’ils n’y ont pas consenti. Cette civilisation européenne est en train de se briser sous le poids de ces divergences. Est-ce là ce que nous voulons pour le monde ?
L’urgence écologique n’est prise en main par personne en raison du manque de volonté politique. Aucune réflexion n’est faite sur les thèmes de la décroissance, de la croissance verte ou de la bonne manière de combiner fin de la pauvreté et respect des écosystèmes. Est-ce là ce que nous voulons pour le monde ?
Ultra-politisation et fanatisme des peuples du Moyen-Orient, guerres sans fin et sécessions africaines, pertes de vitesse (vieillissement japonais, faiblesse technologique coréenne, enclavement taïwanais, rétrocession hongkongaise) de nos alliés asiatiques qui défendent les libertés, retour de politiques autoritaires en Amérique Latine. Est-ce là que nous voulons pour le monde ?
On me rétorquera probablement que je suis un idéaliste, que mes volontés sont pures mais que je comprends mal le monde d’aujourd’hui. À ceux-là je leur dis : je ne le comprends que trop bien. Tous les sujets énoncés, avec du calme, de la réflexion, du travail – beaucoup de travail – et de la volonté peuvent être traités.
Que vous faut-il de plus ? Que nous faut-il de plus ?
Cet article vous est proposé par un étudiant anonyme de l’ESCP qui a souhaité être surnommé Charlemagne