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30 septembre 2021

Pegasus : réel scandale ou hypocrisie générale ?

Cet été, impossible de passer à côté du troublant scandale Pegasus. Le président de la République française et des journalistes d’investigations espionnés par des services de renseignements étranger, cela ne pouvait pas passer inaperçu. 

Pegasus, un logiciel espion indétectable prenant le contrôle absolu des téléphones qu’il infecte, a été créé pour lutter contre le terrorisme et est en réalité utilisé comme logiciel d’espionnage par des États pas forcément connus pour leurs pratiques anti démocratique (Maroc, Hongrie…). 

Grâce aux numéros de téléphone récupérés par les journalistes à l’origine des révélations, une partie des personnes ayant été espionnées sont connues et des faits troublants sont mis en lumière… Jamal Khashoggi a commencé à être espionné par l’Arabie saoudite quelques semaines avant d’être découpé dans une ambassade en Turquie, des journalistes indépendants sont assassinés peu après que leurs téléphones aient été infiltrés…

Mais, à moins d’avoir la mémoire courte, ces pratiques d’espionnage ne devraient choquer personne. Par exemple, en 2013 Edward Snowden a rendu public plus de 1,7 millions de documents incriminant la NSA et le FBI d’innombrables actions d’espionnage. Cette surveillance accrue est justifiée depuis le 11 septembre 2001 pour préserver la sécurité nationale. Certes Ben Laden a pu être capturé en partie grâce à cette surveillance mais la menace terroriste qui devait justifier cet espionnage institutionnalisé ne représente qu’une partie infime, presque négligeable des actions de la NSA. Ainsi, 55 milliards de budget et 130 000 personnes des agences de renseignements américain sont alloués à l’espionnage de pays alliés et de citoyens américains. Voici seulement un petit échantillon des opérations menées : accès illégal aux serveurs de Google, Microsoft, Facebook et Apple, espionnage (pose de micro et infiltration des téléphones) de plusieurs bureaux de l’UE dont le siège du conseil européen, de représentants diplomatiques à l’ONU, du QG de l’OTAN, des ministères des affaires étrangères de grandes nation européennes, des ambassades française, italienne, grecque, des données téléphoniques françaises avec plus de 7 millions de communications captées par jour, infiltration du téléphone du président mexicain et brésilien, espionnage de masse en Chine…. À la suite de ces révélations les pays espionnés comme la France ont préféré refuser le droit d’asile à Snowden pour conserver leurs « bonnes relations diplomatiques » avec les États-Unis qui de leur côté ont seulement limité de façon marginale les pouvoirs des services de renseignement… Quelle mascarade. 

 

Il n’y a aucune raison pour laquelle ces missions d’espionnages ne perdureraient pas actuellement avec une ampleur àpeine imaginable. Par exemple NSO, qui commercialise Pegasus, n’est qu’une firme parmi tant d’autres proposant les mêmes services, on connaît seulement dix États qui utilisent Pegasus parmi la quarantaine de clients que NSO se vante d’avoir. Cela nous laisse imaginer l’ampleur de l’espionnage à l’échelle mondiale d’autant plus qu’il règne un certain climat d’impunité pour ceux commettant ces actes. Mais le plus effrayant n’est pas la révélation au grand jour de ces pratiques mais les textes de lois les rendant légaux.

“Sometimes the scandal is not what law was broken, but what the law allows” (Snowden). 

On pourrait penser que la loi nous protège, que le gouvernement n’a pas les moyens légaux lui octroyant le droit de nous espionner sauf si l’on représente une vraie menace. Et bien cela est faux. 

 

En France, le gouvernement peut décider d’espionner quiconque si la sécurité nationale est en réel danger. C’est-à-dire s’il y a atteinte à l’armée et au territoire, terrorisme, ingérence en matière économique, défense des traités internationaux et des violences collectives. Cette définition étant si vague, la France n’a jamais quitté cet état de menace sur la sécurité globale depuis la loi renseignement en 2015, octroyant le droit au gouvernement d’espionner légalement quasiment l’ensemble de la population française et cela sans réel contre-pouvoir ou autorité judiciaire indépendante pouvant émettre un avis.

L’indignation médiatique surgit à la suite des révélations de l’affaire Pegasus mais sous prétexte de sécurité il serait normal d’octroyer légalement des pouvoirs similaires à un exécutif.  Beaucoup considèrent que si le chef d’Etat est espionné cela est grave mais que l’individu lambda n’ayant normalement rien à cacher n’a pas à se révolter contre ces lois liberticides. « Peu importe que l’on m’espionne, je n’ai rien à cacher ». Cela revient à dire qu’il serait acceptable de supprimer la liberté d’expression à une majorité sous prétexte que cette dernière n’a rien à dire. Combien d’entre nous n’ont pas de pensées subversives à exprimer et pourtant combien serions-nous à protester si l’on nous retirait cette liberté d’expression ? 

 

Cet article vous est proposé par Victor Nouvel, membre de Streams.

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