L’épopée de l’information
L’épopée de l’information : au cœur de mes recherches sur le conflit israélo-palestinien
Du 10 avril au 21 mai 2021, une nouvelle série d’affrontements est venue exacerber les tensions du conflit israélo-palestinien. Lynchage, émeutes, bombardements : les violences des deux parties s’accumulent. De quoi attirer l’attention de la communauté internationale et des plumes de Streams.
Comment alors s’attaquer à la complexité de ce conflit historique ? Il fallait s’informer au mieux, en revenir aux faits, comparer les interprétations de chacun, prendre en compte les biais potentiels. Mais entre simplifications excessives, intox, censure… L’accès à l’information sur ce conflit devient un sujet en lui-même. J’ai donc voulu retracer le parcours du combattant qu’est celui de l’information. Mon pari ? Prendre deux heures pour m’informer sur le conflit israélo-palestinien et plus précisément sur les affrontements qu’on a pu observer ces dernières semaines. Juger des informations que j’ai pu trouver, les comparer avec mes premières impressions.
Quel fut mon premier contact avec cette actualité ? Un post Instagram, repartagé par des étudiants et des célébrités, qui présente les derniers affrontements dans une courte bande-dessinée se voulant pédagogique. On peut y lire : « Les Israéliens sont les colonisateurs, les Palestiniens sont les victimes ». En recherchant les hashtags correspondants (« #freepalestine », « #israelunderattack ») sur les réseaux, je tombe sur des TikTok humoristiques parodiant les Israéliens. Des mots forts (« colonisation », « apartheid », « génocide ») côtoient aussi bien des photos choquantes d’enfants blessés que la dernière danse en vogue sur TikTok. Il est vrai que ce réseau a eu son rôle à jouer dans la naissance du conflit : certains parlent même d’Intifada[1] TikTok lorsque des Palestiniens se filmaient en train d’agresser des juifs orthodoxes à Jérusalem. Le réseau social chinois est celui que choisissent de plus en plus de jeunes pour prendre parti pour l’un ou l’autre des camps. Ce n’est pas ici donc, que je trouverai de quoi m’informer, mais ce sera plutôt l’occasion d’altérer mon jugement. Alors que les soutiens à la Palestine pleuvent, bien peu d’utilisateurs font le choix de nuancer le débat ou de prendre le parti d’Israël.
Après avoir perdu une bonne vingtaine de minutes (ou en réalité plus de cinq heures) sur les réseaux sociaux, il était temps d’en revenir aux sources plus traditionnelles de l’information : les médias audiovisuels. Nombre d’entre eux ont opté pour la « vidéo explicative », celle qui résume plus de soixante-dix ans de conflit en une dizaine de minutes. Le pari est audacieux, mais j’ai pu être agréablement surprise. Le média « Brut » fait le choix d’inviter Jean-Claude Lescure, historien spécialisé dans le Moyen-Orient au XIXe et XXe siècle et auteur de l’ouvrage Le Conflit Israélo-palestinien en 100 questions, pour éclairer les points les plus obscurs du conflit. Au bout déjà d’une heure de recherche, c’est la première fois que j’entends parler du Hamas, le mouvement islamiste palestinien, et de ses répliques aux bombardements israéliens sur Gaza. Les questions des statuts politiques de la Palestine et d’Israël, de leur reconnaissance à l’international, sont éclairées. Les reportages de France 24 lissent davantage la situation : à travers des témoignages de jeunes Israéliens et Palestiniens en quête de paix, on en oublierait la violence des propos sur Twitter. Il était également important selon moi de revenir aux sources datant d’avant la crise de 2021 : quels mots sont apparus ? Quels mots ont toujours été présents ? J’avais été surprise par le terme de « colonisation », jusqu’au moment où j’ai compris qu’il était employé pour décrire la politique d’Israël depuis plusieurs années. Une vidéo du journal Le Monde datant de 2017 retrace la colonisation progressive de la Cisjordanie par Israël, en expliquant le statut des différentes colonies et les raisons politiques cachées derrière. Alors que le Premier Ministre d’Israël Benyamin Netanyahou affirme son adhésion à la solution des « deux États[2] », il a besoin des partis les plus extrêmes, partisans de la colonisation, pour rester au pouvoir. Les présentations du conflit n’ont pas sensiblement évolué depuis la reprise récente des combats, mais on y trouve tout de même plus de partialité.
Enfin, j’ai terminé mon épopée informationnelle en me plongeant dans la masse d’articles écrits sur le sujet. Marianne, Le Figaro, Libération : leur objectif n’est plus de résumer le conflit, mais d’en faire ressortir des aspects bien précis. Ce sont eux les plus critiques de la couverture médiatique de cette crise : un article s’intéresse aux porte-paroles français du conflit, notamment Taha Bouhafs pour la Palestine et Julien Bahloul pour Israël, et relève leurs incohérences ou leur manque de fiabilité. La presse écrite semble avoir beaucoup plus à cœur d’alerter les gens sur les propos les plus radicaux, et se consacre aux questions plus diplomatiques.
C’est ainsi que s’achèvent mes deux heures hautement informatives sur la récente reprise des tensions entre Israël et la Palestine. Si je n’en suis pas ressortie experte en la matière, j’ai tout de même éclairci bien des aspects dans mon esprit. Ces 120 minutes auront été plus que nécessaires pour faire face à la multiplicité des informations qui ne s’arrêtent qu’à la surface des événements, en simplifiant excessivement des dynamiques sur lesquelles on s’interroge depuis plus de 70 ans pour nous donner l’illusion de savoir quelque chose. Quel objectif alors, me direz-vous ? Vous inviter à « critiquer vos sources » !
Sources :
Vidéo Brut : https://www.youtube.com/watch?v=kTXIn4YuvUQ
Vidéo Le Monde : https://www.youtube.com/watch?v=oy9lO1CBoeY
Reportage France 24 : https://www.youtube.com/watch?v=xsOZocEQzCc
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_israélo-palestinienne_de_2021#Premières_émeutes_à_Jérusalem
https://www.lefigaro.fr/international/a-gaza-recommencer-a-vivre-au-milieu-des-decombres-20210522
[1] Terme arabe qui désigne une révolte contre un régime oppresseur. Utilisé pour désigner les révoltes des Palestiniens contre Israël depuis le début du conflit.
[2] La création de deux États distincts : l’un arabe, l’autre juif.
Cet article vous est proposé par Eugénie Viriot, membre de Streams.