Démons
par B.M
Une scène au ras-du-sol recouverte de ce qui semble être une grande plaque de lino noir.
Au plafond, quelques câbles métalliques terminés par des frasques pailletées, aux formes qui se perdent dans les plis du tissu.
A jardin (côté gauche de la scène quand on la regarde depuis le public), entre autre, des chaussures, un thermos, un ipod branché à un ampli de guitare.
A cour (de l’autre côté du coup), une table ornée de verres et de bouteilles de J&B pêle-mêle.
En fond de scène, une rangée de bancs d’école. Sur ces bancs sera invitée à s’asseoir la moitié du public. L’autre se partagera les deux premiers rangs des gradins habituels.
C’est donc une audacieuse représentation bi-frontale que propose Lorraine de Sagazan, sans quatrième mur, pour ce qui est seulement sa deuxième mise en scène. Audacieuse, son adaptation de la pièce Les Démons de Lars Noren l’est également. La pièce originale fait état de quatre personnages ; elle en supprime deux et en rajoute des dizaines. Ces dizaines c’est nous, c’est vous. C’est tout le public qui se voit convié chez ce couple d’amoureux au bord du gouffre, qui entre dans le salon de leurs colères, de leur incompréhension mutuelle et de leur amertume.
En bons hôtes, Lorraine et Augustin nous offrent tout de même un verre de whisky sans glaçon, quelques chips suffisamment croustillantes et initient le dialogue comme il est de mise quand on reçoit ses voisins.
Bêtes de scène
Démons magistraux dressés sur la scène, Lucrèce (Lucrèce Carmignac) et Antonin (Antonin Meyer Esquerré) surplombent le public de leur arrogante confiance. Leurs personnages oscillent entre une impressionnante aisance extérieure –tantôt moqueurs, tantôt charmeurs – et un malaise qui ronge leur couple de l’intérieur. On est chaque fois surpris de voir à quel vitesse, et sans broncher, les comédiens passent d’un registre à l’autre, du fou rire à la colère, de la drague à l’animosité (et l’animalité), des scènes mille fois répétées à l’improvisation totale, jamais gênés, toujours gênants.
Car c’est avant tout la gêne qui empoignera le spectateur à la gorge pendant la quasi-totalité de la pièce qui dure 1h20. Gêne devant cet Antonin qui se permet tout et nous écrase de sa répartie détonante, de ses pics glaçants et de son franc-parler malicieux. Sur scène, il est un géant. Ou nous des lilliputiens, c’est selon. Gêne aussi devant cette Lucrèce, qui offre à toutes et tous le spectacle de son mal-être. Larmes et tremblements. Gêne finalement devant le manque absolu de pudeur de ce couple terrifiant. Gêne de celui qui entre dans un appartement où il n’aurait pas dû être convié et assiste à ce qu’il n’aurait jamais dû voir.
Belle réussite donc que cette adaptation de lorraine de Sagazan, subtil dosage entre le drame et le comique (oui, c’est très drôle même si on ne l’a pas beaucoup souligné). En plus, c’est qu’à dix petites minutes à pied de l’ESCP et pas beaucoup plus cher qu’une pizza chez Sami.
Streams recommande.
—- Démons au théâtre de Belleville, conception et mise en scène de Lorraine de Sagazan, librement inspiré de Lars Noren. Avec Lucrèce Carmignac, Antonin Meyer Esquerré, Jeanne Favre, Benjamin Tholozan. Jusqu’au 22 Novembre. —-