« Je-m’en-foutisme », désintérêt, insouciance, on ne cesse de fustiger la jeunesse parce qu’elle se détourne des urnes : avons-nous pour autant affaire à une véritable dépolitisation des jeunes ?
Au fil des années, le vote est devenu un rite, un rituel républicain, qui, s’il reste du domaine du laïc, n’en emprunte pas moins en certains points au registre du sacré, constituant à certains égards une opération magique, en ce que l’élection a pour vocation d’encenser un représentant, de lui conférer une certaine légitimité par onction populaire, de faire symboliquement du profane un électeur-juge qui détermine les plus à même de donner vie à ses idées, les plus à même de les incarner. Le vote rythme la vie politique de toute démocratie, il est au processus démocratique ce qu’aujourd’hui le Président de la République est aux institutions, à savoir sa pièce maîtresse, sa clé de voûte.
Le vote est souvent présenté et considéré comme le type d’engagement politique par excellence. C’est à ce titre que s’abstenir, aux yeux de certains, c’est mépriser la démocratie, et désavouer un droit pour lequel par le passé beaucoup se sont battus.
Les jeunes et le vote
Or, force est de constater chez les jeunes, à savoir les 18-24 ans, un faible taux de participation aux scrutins électoraux : il est plus faible pour cette catégorie de population que pour les autres tranches d’âge. Au vue de l’importance généralement donnée par la société au vote, il n’est pas étonnant que la jeunesse soit alors taxée tantôt d’insouciance, tantôt d’immaturité. C’est d’ailleurs un refrain que nous entendons depuis plusieurs décennies : la jeunesse ne se sentirait plus assez concernée par la politique, alors elle s’en détournerait. Quel crédit donner à ce discours alarmiste sempiternellement remis sur la table ?
Si on entend vote par « engagement politique » comme c’est souvent le cas, de fait les jeunes sont moins investis que leurs aînés : d’une part, on constate un taux d’inscription sur les listes électorales plus faible chez les jeunes (20-35 ans) que chez leurs aînés, exception faite pour les plus de 80 ans.
En effet, par exemple, aux élections municipales de 2020, rares ont été les jeunes qui se sont rendus aux urnes pour faire valoir leurs convictions politiques : l’abstention des jeunes a atteint un record. Ce pourrait être simplement conjoncturel, la crise sanitaire ayant dissuadé beaucoup de citoyens français d’aller voter, ou ayant empêché beaucoup de jeunes de rentrer chez eux dans leurs circonscriptions électorales. Mais c’est une tendance de fond que nous observions déjà bien avant qu’éclate la crise du Covid : les jeunes boudent de plus en plus les urnes, c’est un fait structurel bien plus que conjoncturel. Et la tendance s’accentue ces dernières années.
C’est ainsi qu’un tiers des 18-24 ans s’est abstenu au second tour des élections présidentielles de 2017, par exemple, alors que le taux d’abstention national pour ce scrutin était de 25 %. C’est d’autant plus marquant que les élections présidentielles sont celles qui mobilisent le plus les électeurs. De la même manière, on observe un taux d’abstention de 74 % au second tour des élections législatives de 2017 pour les 18-24 ans, alors que la moyenne nationale était de 57 % d’abstention toutes tranches d’âge confondues. Pour la plupart des élections de ces dernières années, le taux d’abstention des jeunes est en moyenne de 10 % de plus que pour toutes les autres classes d’âge, et le vote intermittent est légion en particulier dans cette tranche d’âge, il a gagné du terrain : alors qu’il concernait 53 % des jeunes en 2002, il en concerne 63 % en 2017.
De ce point de vue, l’engagement politique des jeunes est plus sporadique qu’il ne l’était pour les générations précédentes au même âge. C’est donc un effet de génération plus qu’un simple effet d’âge, même si effet d’âge indéniablement il y a. Peut-on pour autant dire que la jeunesse d’aujourd’hui est véritablement dépolitisée ?
Tout d’abord, il faut garder en tête que réifier la jeunesse en en faisant un bloc homogène sans aucunes disparités, serait se méprendre, la jeunesse est diverse et traversée d’un ensemble de lignes de clivage, comme l’est la société dans son ensemble. On trouve dans l’entité « jeunesse » tous les degrés de politisation possibles, bien entendu. La prudence est de mise.
Mais de manière générale pour la jeunesse, il est préférable, plutôt que de parler de dépolitisation, de parler de recomposition du rapport au politique chez les jeunes. Cela se traduit entre autres par une forme d’ « exil électoral », pour reprendre une expression de Stewart Chau, co-auteur avec Frédéric Dabi, directeur de l’IFOP, de La Fracture.
Exil électoral et ode à un engagement individuel sur le terrain
La jeunesse se détourne des urnes pour une raison principale : elle a le sentiment que voter est devenu inutile et n’aura aucun impact significatif sur l’avenir, Frédéric Dabi et Stewart Chau parlent à ce propos d’un sentiment généralisé de « vanité du vote ». On assiste de ce fait à une modification de la culture du vote : il est bien plus considéré par la jeunesse aujourd’hui comme un droit que comme un devoir, devoir par ailleurs dont l’utilité ne semble pas significative.
Pour autant, la palette d’outils et de formes de mobilisation dont usent les jeunes s’est, contrairement à ce qu’on peut penser de prime abord, élargie. Il ne faut pas confondre exil électoral et désengagement politique, voire apolitisme : d’une part car l’abstention de certains porte en elle-même un message politique, celui d’une certaine défiance, d’un mécontentement, d’une insatisfaction.
D’autre part parce que les jeunes se tournent vers d’autres formes de mobilisations, préférant l’engagement individuel par des actions concrètes à la fidélité à un parti et à une ligne idéologique. Autrefois, on votait certes seul dans l’isoloir, mais on votait souvent en tant que membre d’une classe sociale : voter, c’était en quelque sorte démontrer son dévouement, son appartenance à un collectif dont on portait la voix jusque dans l’urne. Or on assiste depuis plusieurs décennies à une précarisation accrue des conditions dans lesquelles s’effectue l’entrée sur le marché du travail, ce qui est lourd de conséquence dans notre rapport aux autres, à notre environnement, à la politique. De plus, la culture web qui s’est répandue depuis la fin des années 2010 a accru le phénomène, on se pense plus comme individu singulier décisionnaire, libre de choisir comment s’engager en matière de politique que comme membre d’un collectif, et moins obligé à une participation électorale qu’auparavant.
C’est ce qui explique aussi que beaucoup se tournent vers l’engagement associatif ou les civic techs, souvent dirigées et visitées par les jeunes. C’est notamment le cas des sites change.org, ou avaaz.org, que nous vous invitons à consulter si ce n’est pas déjà fait ! C’est aussi ce qui explique que certains s’engagent contre le racisme ou pour le féminisme, sans nécessairement avoir conscience de porter ce qui peut être considéré comme un engagement politique ce faisant. C’est ce qui peut expliquer la création d’associations étudiantes engagées comme Escape ou Aware, qui semblent attirer de plus en plus. Comme le souligne un récent article de France Inter à propos d’HEC pour autant, l’engagement associatif n’est en rien pour les jeunes incompatible avec l’exercice du droit de vote : les étudiants d’HEC interrogés revendiquent leur attachement à certaines causes, et leur intention d’aller voter. En est-il de même à l’ESCP ?
Si c’est une question qui vous intéresse, nous vous invitons à remplir le google form suivant pour le mesurer : https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLScCX0Od5439Jl3MKY7ifyXs5y-uS5uNevtelHGxmpvQ0Ru_nA/viewform?usp=sf_link.
Pour conclure, l’idée que les jeunes sont indifférents à la politique est un vieux serpent de mer. On constate incontestablement un effet d’âge, couplé d’un effet de génération non négligeable aujourd’hui. S’il est vrai que de plus en plus de jeunes décident de ne pas aller voter, ils ne se désintéressent pas pour autant du politique sous toutes ses formes : les jeunes réinventent l’engagement politique plus qu’ils ne s’en détournent. Ce n’est finalement pas la politique en soi qui peine à conquérir le cœur des jeunes, mais bien les politiques. Ces derniers en ont conscience : c’est à eux que la jeunesse tourne le dos. Ils tentent d’y remédier en adoptant de nouvelles stratégies de communication, en témoignent les apparitions d’Emmanuel Macron sur Brut ou sur la chaîne Youtube de Mc Fly et Carlito. Reste à voir si ces stratégies réconcilieront les jeunes avec les urnes.
Proportion de vote systématique / intermittence / abstention systématique pour les élections de 2017 par tranches d’âge.
https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-du-mardi-11-janvier-2022
Cet article vous est proposé par Sarah Wihane-Marc, membre de Streams.