L’avenir du Cash : Interview avec Guillaume Lepecq, ancien de l’ESCP et co-fondateur du think tank Cash Essentials
S : Pourriez-vous commencer par vous présenter, vous et votre parcours?
GL : En sortant de l’ESCP et après une coopération en Roumanie, j’ai rejoint un think tank européen, l’Association pour l’Union Monétaire de l’Europe, qui réunissait de grandes entreprises favorables à l’intégration monétaire européenne et pensant que le sujet ne devait pas être confié exclusivement aux États ou aux banques centrales, car les entreprises étaient les premières victimes de la volatilité monétaire. Elles souhaitaient contribuer à ce long et complexe projet d’union monétaire, dont on a célébré il y a quelques mois le vingtième anniversaire.
Après 2002, j’ai continué à travailler sur des questions monétaires et notamment sur l’harmonisation des paiements en Europe. Je me suis intéressé progressivement au cash, après avoir constaté une certaine désinformation. Certains voudraient nous faire croire que le cash est mort, alors même qu’il n’y a jamais eu autant de pièces et de billets en circulation à travers le monde.
Lorsque les pièces et les billets en euros ont été introduits en 2002, il y avait 7,5 milliards de billets, vingt ans plus tard on est à 28 milliards. La valeur des espèces en circulation a été multipliée par huit en 20 ans et excède désormais 1 500 milliards d’euros. On estime qu’il y a entre 600 et 700 milliards de billets en circulation dans le monde, ce qui en fait non seulement le moyen de paiement le plus répandu, mais aussi le produit manufacturé le plus répandu au monde. C’est un véritable sujet de réflexion marketing : comment un produit, qui ne fait l’objet d’aucune promotion et très peu de communication devient le produit le plus répandu et avec le plus fort taux de pénétration ? C’est un paradoxe.
Et pour finir, il y a quatre ans maintenant, j’ai créé avec un petit groupe d’entreprises, un think tank qui s’appelle CashEssentials dont l’objectif est de réfléchir à l’avenir du cash mais aussi à l’évolution des moyens de paiements et des systèmes monétaires.
S : vous disiez qu’il y a de la désinformation sur le cash. A votre avis, pourquoi ?
GL : Il y a une désinformation et une méconnaissance. Le paiement est un énorme business, estimé à 2 000 MDS d’euros, selon une étude McKinsey. C’est un peu plus 2% du PNB mondial et cela dépasse le transport aérien. Il faut bien comprendre que c’est une activité très rentable pour certaines entreprises. Quand on bascule des espèces vers d’autres moyens de paiements, cela représente des gains colossaux pour certains.
Il y a trois ans de ça, en 2019, Facebook avait annoncé le lancement de sa propre monnaie digitale, Libra, ensuite renommée Diem. Cela a pas mal secoué les acteurs historiques, au vu de la puissance de Facebook et ses 3 milliards d’abonnés. Cela a été vrai en particulier pour les banques centrales, parce que jusqu’alors on avait des acteurs privés dans le paiement, mais Facebook ne s’est pas positionné comme tel. Facebook a dit vouloir créer sa propre monnaie, et du coup n’est pas en concurrence avec Visa, Mastercard ou la banque du coin, mais devenait concurrent de la réserve fédérale américaine ou de la banque centrale européenne. A l’époque, Bruno Lemaire, ministre des Finances, qui était aussi président du groupe des G7, a déclaré dans les minutes qui ont suivi l’annonce qu’on ne pouvait pas laisser Facebook créer sa monnaie puisque cela nuisait à notre souveraineté monétaire. Dans la foulée, les régulateurs du monde entier ont contesté la faisabilité et la viabilité du projet. Facebook a réduit la voilure du projet en passant à des stablecoins, indexée sur différentes monnaies ($, €), puis a fini par y renoncer complètement en février 2022.
Un ancien membre du directoire de la banque centrale européenne, Yves Mersch avait regroupé les opposants au cash dans trois camps distincts :
- Les alchimistes considèrent que la suppression du cash, permettrait de mettre en œuvre des taux d’intérêt significativement négatifs. Le cash, dont le taux d’intérêt est nul, imposerait en effet un plancher, puisque si les taux deviennent négatifs, les clients peuvent retirer leur argent en cash. En réalité, plusieurs banques centrales, dont la BCE, ont prouvé que les taux pouvaient basculer légèrement dans le négatif.
- Le camp de l’ordre et de la discipline, prétend que la disparition du cash réduirait l’évasion fiscale et autres activités illicites. Mais cela permettrait également une surveillance de masse aussi bien par les états que les entreprises
- Le dernier camp réunit les banques, les fintechs et autres acteurs du paiement pour qui la diminution du cash représente une opportunité commerciale.
B : On a parlé de problèmes de souveraineté avec Bruno Lemaire puis la monnaie de Facebook, quelle est la différence avec un problème de souveraineté qu’on aurait avec l’euro par exemple ?
La monnaie est par construction un instrument de souveraineté. Autrefois, le souverain avait le droit exclusif de battre monnaie.
Aujourd’hui, vous avez plusieurs émetteurs de monnaie : une banque centrale, qui effectivement détient le monopole de l’émission de pièces et de billets; lorsque vous détenez un billet de 20 euros, vous êtes en possession d’un actif garanti par la BCE. Vous avez aussi une monnaie dite commerciale, émise par les banques commerciales (quand vous contractez un prêt, quand vous utilisez une carte de crédit, vous utilisez de l’argent créé par l’établissement financier. Sauf que ce n’est pas tout à fait pareil : une banque commerciale peut faire faillite, même s’il existe des mécansimes de garantie. Une banque centrale ne fait pas faillite.
Une monnaie de banque centrale permet d’exercer une politique monétaire. Si la population, se détourne de la monnaie nationale au profit d’un monnaie privée, qui met en œuvre la politique monétaire et au profit de qui ?
Enfin la monnaie est un facteur de cohésion sociale. Le cas de l’euro est intéressant à ce titre. Aujourd’hui la zone euro réunit 340 millions d’habitants qui partagent la même monnaie. La BCE a récemment annoncé une réflexion pour la troisième série de billets et a constitué un groupe de travail avec des historiens, des artistes, des sociologues pour réfléchir aux thématiques qui figureront sur les prochains billets. Pour les premiers billets en euros, il y a eu un débat intense. Dans la plupart des pays, les billets représentent des personnalités historiques. Or, il y avait onze pays au départ et sept billets. Est-ce qu’on allait sacrifier Socrate, Goethe ou Voltaire ? Imaginez que Molière soit sur un billet de vingt mais que Goethe soit sur un billet de cinquante, est-ce que cela aurait créé des tensions ? Il a alors été proposé de représenter des monuments, mais, le Colisée se serait retrouvé en concurrence avec l’Acropole. Finalement, l’idée assez géniale qui été retenue a été de représenter des styles architecturaux. Ils traduisent une culture commune, que ce soit l’art roman, gothique, ou baroque. Mais les ponts et fenêtres représentés n’existent pas. Ce qui est assez étonnant, c’est qu’une ville aux Pays-Bas a depuis construit ces ponts. Donc les billets ont suscité la création de nouveaux monuments. Maintenant, une nouvelle réflexion est lancée. Je ne suis pas persuadé que l’Europe soit en mesure de choisir des personnages historiques qui fassent l’unanimité, mais on peut aussi représenter d’autres thèmes : des valeurs, la culture, l’histoire, la science… sans nécessairement désigner des personnalités.
B : Sur les cryptomonnaies, on ne met pas de visages ou de symboles architecturaux ou culturels, est-ce que vous pensez que ça serait une alternative plausible ?
GL : Ce n’est pas totalement vrai, puisque certains réfléchissent à imprimer des cryptomonnaies.
S : la BCE accepterait ? Ça lui ferait concurrence.
GL : Les cryptomonnaies existent, c’est un phénomène qui a pris de l’ampleur. Mais la première question est de savoir si les cryptos sont des monnaies. Le premier coup de génie de Bitcoin était de choisir son nom Bitcoin : la réalité est que ce n’est pas une monnaie dans le sens économique du terme. Pour un économiste, une monnaie est un moyen d’échange, une réserve de valeur et une unité de compte. Or, le bitcoin n’est quasiment pas utilisé comme moyen de paiement ; ce n’est pas une réserve de valeur compte tenu de sa forte volatilité, et ce n’est pas un instrument de mesure non plus. Même le Salvador qui a accordé cours légal au bitcoin ne déclare pas son PIB en bitcoin. C’est donc un actif financier.
Deuxièmement, c’est un actif anarchiste, plus au sens de Proudhon que des Sex Pistols. Les cryptos fonctionnent grâce à des algorithmes et ne sont soumises à aucune autorité centralisée. Mais l’algorithme ne fixe pas la valeur des cryptos. Cela me fait penser au principe de Sutton. Willy Sutton était un braqueur de banque américain, qui a fini par se faire arrêter après de multiples vols. A un journaliste qui lui demandait pourquoi il cambriolait des banques, il a répondu « parce que c’est là où est l’argent ». Dans le cas de Bitcoin, ce sont ceux qui détiennent l’argent [On appelle baleines ceux qui détiennent d’importantes quantités de Bitcoin] qui en contrôlent la valeur. On voit aujourd’hui qu’un tweet Elon Musk peut effacer des centaines de milliards de dollar de valeur.
Troisièmement, il y a la question de savoir si ce n’est pas une construction pyramidale, dans la mesure où, par construction, le bitcoin et les autres cryptomonnaies, sont en nombre limité. On émettra un maximum de 21 millions de bitcoin, il n’y en aura pas pour tout le monde. Ceux qui ont acheté des bitcoins il y a douze ans, ont tout intérêt à ce que sa valeur continue de grimper.
Donc, le sujet n’est pas d’être pour ou contre, mais de bien comprendre de quoi on parle. Je fais partie de ceux qui pensent que les cryptos ne sont pas des monnaies, mais un actif spéculatif, anarchiste.
On observe par ailleurs que de plus en plus de gouvernements sont en train de réguler le bitcoin et autres cryptomonnaies, la Chine, la Russie… L’Inde avait d’abord annoncé qu’elle les interdirait et dit maintenant souhaiter les taxer. L’OCDE travaille sur un cadre de transparence fiscale pour les crypto-actifs.
Enfin, le problème majeur des cryptomonnaies reste la consommation énergétique qui est absolument catastrophique. Le bitcoin consomme autant d’énergie que la Suède. Le modèle fait que le minage va systématiquement dans des pays où l’énergie est la moins chère et où elle est souvent la plus sale. Autrefois, c’était en Chine, cela a migré en Russie, puis au Kazakhstan et aux Etats-Unis.
S-B : Il y eu beaucoup de débats sur les petites pièces, est-ce que vous pensez qu’on doit les garder, que ce serait anarchique de les supprimer ?
GL : D’abord ce n’est pas si coûteux de les produire. Beaucoup de gens expliquent qu’il faut supprimer le cash parce que ça coûte cher, mais c’est faux. Le cash est compétitif. Ce n’est pas toujours l’instrument de paiement le moins cher, mais en règle générale, il est compétitif et surtout il crée une concurrence entre moyens de paiement et contribue ainsi à en abaisser le coût.
Au-delà de la question de savoir ce qui est plus cher, la question qui importe est : « qui paie : le client, le commerçant, le contribuable ? » un aspect important dans le cas des espèces, c’est qu’il n’y a pas d’intermédiaire : lorsque vous donnez 20 euros à un commerçant, il perçoit vingt euros. Vous ne versez pas de commission à une banque, a un réseau de cartes de paiement, à un mineur de crypto… Vous ne transmettez pas non plus vos coordonnées ou vos données personnelles.
Sur la question des petites pièces, c’est avant tout une question sociale. Pour beaucoup, une pièce d’un centime n’a pas une grande valeur, mais pas pour ceux qui comptent les euros à la fin du mois, les centimes sont importants. Pour beaucoup, supprimer les centimes inciteraient les commerçants à arrondir les prix vers le haut. L’argent est avant tout une question de confiance, c’est le plus grand système de confiance sociale.
S : Justement, vous aviez l’air de dire que ce sont les plus pauvres qui sont le plus attachés aux petites pièces et à la monnaie fiduciaire : l’attachement au cash est-il plus une question de classe sociale ou de générations ?
Beaucoup d’études portent sur la question. Age, association européenne représentant les personnes âgées a participé à une récente étude de la BCE sur le cash et dit qu’intuitivement, on a tendance à penser que ceux qui dépendent du cash sont notamment les personnes âgées en raison de la fracture digitale. C’est beaucoup plus compliqué en réalité : il y a un groupe auquel on ne pense pas, ce sont les enfants, qui n’ont pas de compte en banque. Ils consomment et le cash joue un rôle essentiel d’éducation financière : les enfants apprennent la valeur des choses grâce à l’argent de poche, ou lorsqu‘ils ils perdent des dents… Pendant les confinements, la Nouvelle-Zélande avait décrété que la Petite Souris exerçait une activité essentielle, et serait autorisée à distribuer les pièces aux enfants.
Ceux qui dépendent du cash forment un groupe beaucoup plus hétérogène et plus large que ce à quoi on pense intuitivement. On s’est aussi aperçus pendant le confinement, que beaucoup de personnes n’ont pas accès au digital, n’ont pas internet, ne sont pas ou mal bancarisés. Il y a aussi des gens qui utilisent le digital, mais ne lui font pas confiance, notamment parce qu’ils veulent protéger leur vie privée.
De manière beaucoup plus dramatique, ceux qui fuient l’Ukraine aujourd’hui vident, quand ils le peuvent, leurs comptes en banque et franchissent la frontière avec du cash.
Pendant le confinement, on a aussi vu une augmentation significative de la violence domestique. Or les associations qui défendent les victimes, recommandent de mettre du cash de côté, parce que la prise de contrôle du compte en banque est souvent la première forme de violence domestique.
À l’échelle de la planète, il y a 1,7 milliard de personnes, soit 30 % des adultes, qui n’ont pas de compte en banque. En 2019, la moitié de la population mondiale n’avait jamais fait un paiement digital. Selon la BCE, 73 % du volume des transactions dans la Zone Euro ont été réglées en espèces, soit 48 % de la valeur des transactions.
Je reviens à ce par quoi on a commencé : il y a une désinformation sur la question. Le cash est avant tout un bien public, et on ne communique que très peu sur le sujet. A l’inverse, Visa, Mastercard dépensent de l’ordre de 1 milliard chacun en marketing et communication. L’un sponsorise les JO, l’autre la coupe du monde de football…
B : En Suède, en 10 ans, l’utilisation du cash a été réduite par 4 ? est-ce l’avenir pour l’Europe ?
La Suède a toujours été un laboratoire mondial en termes de paiements. La Suède est un petit pays, homogène, avec un coefficient Gini très faible, un des plus bas au monde. Ensuite, la Suède fait effectivement partie des quelques pays où le volume de cash a diminué avec la Norvège, et dans une moindre mesure les Pays-Bas.
Mais la Suède aujourd’hui est en train de revenir en arrière de façon assez remarquable : cela a commencé il y a quelques années avec une déclaration du gouverneur de la Banque centrale, qui s’interrogeait sur le fait de confier l’ensemble des paiements à des acteurs privés. En cas de guerre ou de cyberattaque, quelle est la résilience du système ? C’est évident qu’avec la guerre en Ukraine, la question est de plus en plus pressante.
Enfin, la diminution du cash crée de la marginalisation : des immigrants, des personnes âgées, ou des communautés isolées subissent de plein fouet cette marche forcée vers le tout digital. La Suède est d’ailleurs un des premiers pays à avoir vu naître un mouvement de consommateur pro-cash Kontatupproret, soit la rébellion du cash.
Du coup, le gouvernement réagit. Depuis janvier 2021, une loi impose aux banques de fournir un minimum d’accès au cash à leurs clients. Depuis cette année, la banque centrale rouvre des centres forts pour améliorer la distribution des espèces. Les banques déploient de nouveaux automates bancaires. Donc, oui la Suède est allée très loin, mais maintenant ils s’efforcent de revenir en arrière.
La Suède est aussi en Europe le pays le plus en avance sur le sujet des monnaies digitales de banques centrales : c’est assez paradoxal, mais l’aventure monétaire de Facebook a accéléré cette réflexion. Beaucoup de banques centrales réfléchissent à créer leur propre monnaie digitale. La Suède est en train de réaliser un pilote, tout en affirmant qu’il n’est pas question de supprimer le cash, mais d’une coexistence parallèle d’une monnaie digitale de banque centrale et de cash.
S-B : Que pensez-vous de l’utilité des chèques ?
Très peu de pays ont encore des chèques ; les seuls pays à en utiliser beaucoup sont la France et les États-Unis. Beaucoup de pays s’en sont débarrassés complètement. On s’aperçoit qu’en France, certains utilisent des chèques par habitude, parce que c’est gratuit, mais ils pourraient éventuellement passer à autre chose. Mais il y a des fonctions que remplissent chèques que ne remplissent pas les autres moyens de paiement. Par exemple, les chèques sont utiles pour verser des arrhes pour des locations saisonnières, pour verser une caution. Beaucoup de charités aussi dépendent encore des chèques.
Historiquement, on a assisté une diversification de formes monétaires : coquillages, or, argent, pièces, billets… La monnaie peut être sur une carte, une app, une montre ou quasiment n’importe quel objet. Autrefois, le Club Med utilisait des colliers à boules come monnaie. Aujourd’hui, certains se font implanter des puces sous la peau. En Chine, on peut payer avec un sourire sur une app, à condition de ne pas porter de masque.
Maintenant, au-delà de la forme, il me semble que le vrai sujet est la question de la fonction de la monnaie. La planète est confrontée à un certain nombre de défis (sociaux, environnementaux, d’inclusion, …). La vraie question est de savoir si on peut créer un système monétaire qui soit à la fois inclusif, durable, efficace, résilient, protecteur de la vie privée … De mon point de vue, cela passe par une diversité de formes monétaires, mais nécessite une monnaie physique, qui est la seule aujourd’hui à cocher toutes ces cases.
S : Cela fait longtemps qu’on entend dire que le cash disparaîtra : si nous comprenons bien, vous pensez qu’à long terme au contraire il restera toujours un minimum de cash ?
Le premier à avoir parlé de la disparition du cash c’est Edward Bellamy, dans un roman qui date de 1870. Le narrateur s’endort sous un arbre et se réveille en l’an 2000. La cash a disparu et le monde fonctionne avec un système de crédit. La prédiction ne s’est pas réalisée.
On annonce régulièrement depuis la mort de la monnaie fiduciaire. En 2020, la valeur des pièces et billets en euros a connu une croissance annuelle de 11 % en valeur. Aux Etats-Unis, le dollar a augmenté de 25 %. Alors même que le mode était confiné et que le volume de transactions a baissé. C’est un phénomène bien connu qu’on appelle le « paradoxe du cash » : en période de crise, les gens se rabattent sur ce qu’ils connaissent et stockent du cash en tant que réserve de valeur, pas pour le dépenser. Cela démontre l’extraordinaire confiance dans la monnaie, alors même que la confiance dans la politique, les institutions voire la science est au plus bas.
Le cash a fondamentalement évolué. Les billets de banque d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les billets chinois du 14° siècle qui stipulaient que les contrefacteurs seraient décapités. Les billets actuels sont de la très haute technologie. En 20 ans, nombre de billets euros a été multiplié par quatre, alors que le nombre de contrefaçons a été divisé par quatre. A une époque où la cybercriminalité et la fraude digitale explosent, on peut fabriquer des objets physiques sûrs et infalsifiables.
Et enfin, il faut arrêter d’opposer le cash au digital, le cash est déjà très largement digital : on retire de l’argent digital d’un compte bancaire grâce à des distributeurs automatiques. Des solutions innovantes permettent pas exemple de payer ses achats en ligne en espèces. Il existe aussi des app qui permettent d’authentifier un billet de banque
Après, c’est une question de société : veut-on et peut-on et vivre dans un monde intégralement digital, totalement déconnecté du monde réel ?
S : Vous nous avez dit que certaines banques centrales pensaient aux monnaies digitales, est-ce le cas de la BCE ?
La BCE y réfléchit fortement, mais aucune décision n’a été prise. Christine Lagarde – qui d’ailleurs était très favorable aux monnaies digitales digital lorsqu’elle était au FMI – a précisé que l’euro numérique existerait parallèlement aux espèces, sans les remplacer. L’Eurosystème veillera à ce que l’ensemble des habitants de la zone euro aient toujours accès aux billets et pièces en euros.
Une réflexion approfondie est en cours et comprend notamment des consultations avec l’ensemble des parties prenantes, commerçants, consommateurs, banques et prestataires de services de paiements mais aussi les autorités politiques. Un des sujets les plus complexes est la question du respect de la vie privée. Les études montrent que les utilisateurs sont particulièrement attachés au respect de la vie privée et la protection des donLe cash a t-il encore de beaux jours devant lui ? court-il au contraire à sa perte ? risque-t-il de disparaitre, évincé petit à petit par le sans contact et les crypto monnaies ?Guillaume Lepecq, ancien de l’ESCP et co-fondateur du think tank Cash Essentialsnées personnelles. En même temps, il va falloir appliquer les règles existantes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Des arbitrages complexes seront nécessaires.
Interview réalisée par Sarah Wihane-Marc et Blanche Pitzus, membres de Streams.