Meurtre en « Giscardie » : un crime d’État ?
De l’étang yvelinois au raz-de-marée politique
30 octobre 1979. Début de matinée. Le cadavre de Robert Boulin gît dans un étang de la forêt de Rambouillet. L’enquête menée par la « PJ » de Versailles conclut rapidement au suicide par noyade. Résistant de la première heure, député-maire de Libourne, deux impeccables décennies ministérielles au compteur, le ministre du Travail est alors un ténor de la « Giscardie ». Au sein de la population et de la classe politique, la consternation est générale. Pourquoi Robert Boulin aurait-il commis l’irréparable au zénith de sa carrière gouvernementale ?
La lettre et l’esprit
Le 7 novembre 1979, le jeune député socialiste Laurent Fabius interpelle Raymond Barre à l’Assemblée nationale : « Monsieur le Premier ministre, l’opinion éprouve, à propos du décès de M. Boulin, en même temps que l’émotion, une très grande perplexité. Les motifs, les circonstances, les conditions exactes, tout cela n’apparaît pas clair ». Un mois auparavant, des courriers anonymes accusèrent Robert Boulin d’avoir acquis illégalement un terrain à Ramatuelle, petit village limitrophe de Saint-Tropez. Selon la thèse officielle, ce ministre si populaire n’aurait pas accepté de voir son nom sali dans cette affaire aussi embarrassante que médiatisée. Pourtant, ce gaulliste social demeurait déterminé à contre-attaquer pour défendre sa droiture : « Que voulez-vous que je réponde ? J’ai l’âme et la conscience tranquilles et j’ai été exemplaire. Peut-être encore plus que vous ne le pensez, parce qu’il y a des choses que je ne peux pas dire ici ».
Cette stratégie offensive se retrouve notamment dans… la lettre de suicide du ministre. En effet, celle-ci apparaît avant tout comme un violent réquisitoire contre ses accusateurs. Ce long texte combatif se termine par une formule de politesse administrative sans la moindre pensée pour ses proches. Les références à une intention suicidaire sont clairement isolées sur l’étrange missive.
Des éléments confondants…
Au-delà d’une falsification supposée de la lettre, multiples sont les détails de l’enquête qui interpellent. Les premiers gendarmes sur place constatent « des traces de pas allant puis repartant de l’étang ». Ils seront rapidement dessaisis de l’enquête. Autre curieux élément : le corps du ministre porte des traces de coups au visage et de ligature au poignet droit. Plus étonnant encore, Colette Boulin aurait appris le décès de son mari près de 15 heures avant la découverte du corps par la « PJ » !
À qui profite le crime (d’État) ?
Pendant plus de 30 ans, la justice s’est toujours refusée à rouvrir l’enquête. Un telle obstination demeure surprenante : qui aurait pu souhaiter la mort du ministre ? Robert Boulin était pressenti pour succéder à Raymond Barre. Sa nomination à Matignon avait un but extrêmement précis : VGE cherchait ainsi à séduire l’aile modérée du RPR dont le fondateur Jacques Chirac ne cachait pas ses ambitions pour la présidentielle de 1981. Sa rarissime longévité ministérielle lui avait également permis de connaître plusieurs « dossiers » peu avouables au sein de la sphère politique. Faut-il y voir une coïncidence avec les différentes rencontres d’octobre 1979 entre Robert Boulin et le Service d’Action Civique (SAC), la sinistre police parallèle des réseaux gaullistes ?
Une mort, un témoignage
Les éléments confondants sont nombreux. À l’époque, le président Giscard d’Estaing avait choisi d’apaiser les esprits en citant l’Évangile selon Saint Matthieu : « Laissons les morts enterrer les morts. ». L’enquête judiciaire a été rouverte le 4 août 2015, il serait temps de déterrer la vérité. Peut-être existe-t-il des morts qui illustrent une époque et un fonctionnement.