Peut-on encore citer Charles de Gaulle ?
Article d’opinion
Nous sommes lundi, il est 8h. En ce début de la semaine, c’est bien tout frais que vous souhaitez prendre des nouvelles de ce beau monde qui vous entoure. Vous allumez donc Europe 1, France Inter, ou encore BFM Télé. Tous alors ils sont là. Nicolas Dupont-Aignan, Florian Philippot, François Bayrou, Montebourg, Chevènement (une liste non exhaustive), tous sont là pour vous parler d’un seul homme : Charles de Gaulle. Lui, il n’aurait pas renoncé ! Lui, il aurait su trouver les mots ! L’admiration est alors tout aussi charnelle qu’idéologique. Quand ils ne se revendiquent pas du gaullisme, ce sont les mots ou plus communément l’esprit du Général de Gaulle qui sont évoqués. Pourtant ce consensus est tel qu’il semble perdre de son sens, voire tomber en ridicule. Alors peut-on encore citer Charles de Gaulle ?
Mais pourquoi ne pourrait-on plus citer le Général de Gaulle ?
En considérant cette question, la réponse la plus évidente tournerait à l’affirmative. En effet pourquoi ne pourrait-on pas citer le Général de Gaulle ? Référence historique, personne de culture et de grandeur, maître de la plume et du bon mot, qui pourrait-on citer de mieux ? Dans cette perspective somme toute logique, il paraîtrait bien plus cohérent de citer le Général de Gaulle, que de ne pas le citer ou de citer quelqu’un d’autre. Pourtant, c’est d’abord l’époque qui prête à vigilance. En effet, le grand Charles opérait sous un Etat tout puissant et avant la Globalisation des années 1970-1980. Il semble aujourd’hui difficile de dire que « la politique de la France ne se fait pas à la corbeille ». D’autre part, comment de Gaulle aurait-il appréhendé notre société de l’individualisme où l’on débat de PMA ou de Mariage pour tous, passant nos journées sur nos réseaux sociaux ? Déjà dépassé par mai 68, cette figure du conservatisme n’a rien à voir ou presque avec ce que sont devenus nos modèles de société libéraux et occidentaux. Citer Charles de Gaulle obligerait donc toujours à contextualiser, et introduire la nuance de la temporalité, sous peine sans doute d’anachronisme.
Ce premier élément nous induit bien à toute la malhonnêteté intellectuelle qui peut se cacher derrière un appel au Général. Dans son traditionnel L’art d’avoir toujours raison, l’argument d’autorité est le 30ème procédé énuméré par Arthur Schopenhauer. Ainsi citer Charles de Gaulle, c’est se passer d’un effort de réflexion ou d’un raisonnement pour des mots tout trouvés. Plus que cela, c’est s’octroyer une grandeur et un prestige que l’on n’a pas. L’histoire a fait du Général de Gaulle un de ses vainqueurs. Elle a oublié sa captivité durant la Première Guerre mondiale, elle se moque de son isolement au début de la Seconde Guerre Mondiale, de toutes ses années passées loin des fonctions du pouvoir, mais aussi des faiblesses qui ont pu accompagner ses mandats. En revenir au Général, c’est s’en référer à une grandeur présumée, à une « certaine idée de la France ». De son étymologie citare, citer c’est avant tout prendre à témoin. Or comment oser prendre témoin de ses actes de Gaulle ? Aurait-il vraiment approuver un Dupont-Aignan voire une Marine Le Pen, lui combattant du poujadisme ? Rien de moins certain. A tous ces égards, citer de Gaulle s’apparente plus à « l’art de ceux qui ne savent pas réfléchir » (Voltaire) qu’à une victoire oratoire glorieusement acquise.
De ce qu’est le Gaullisme et sa revendication
Cette première analyse nous amène à penser qu’il serait vivement déconseillé de citer le Général ou qu’en tout cas, ceux qui le font, le font souvent à des fins peu enviables. Pourtant la citation n’en demeurerait pas moins proscrite. La problématique serait donc davantage de savoir : quelles seraient les bonnes raisons de citer de Gaulle ou même comment le citer ? De surcroît, derrière cette idée, c’est toute l’idéologie et le message porté par le Général qui est interrogé. Repris par la droite, la gauche, les extrêmes, par les plus souverainistes comme les plus libéraux, le gaullisme en a sans doute perdu de son crédit. La droite française particulièrement s’est toujours revendiqué du Gaullisme, alors qu’elle fut dans le même temps libérale, Thatchérienne, Balladurienne, pro-américaine et même parfois fédéraliste. Difficile de définir une pensée avec laquelle tout le monde serait d’accord. Plusieurs éléments permettent certes d’appréhender et délimiter quelque peu le gaullisme : l’indépendance nationale, un Etat fort et dirigé, une importante constituante sociale, un conservatisme sociétal et sans doute un vrai scepticisme vis-à-vis de l’Union Européenne et de la globalisation (commerciale mais surtout financière). Pourtant il su renier ses principes lorsque le besoin s’en ressenti. Jugé eurosceptique, il a bâti l’axe franco-allemand. Jugé plus keynésien, il a su alterner les politiques économiques. Le moment venu, il comprit la nécessaire indépendance algérienne.
Comme beaucoup d’idéologies au contact du pouvoir, le gaullisme a su se faire pragmatisme.
Citer De Gaulle c’est donc un peu comme citer Albert Camus, Simone Veil ou Zinedine Zidane. Repris de tout bord, œuvre de tout courant, vous prendrez rarement le risque de la contradiction. Tout le contraire de la citation d’un Ronald Reagan ou d’un Hugo Chavez qui mettra immédiatement votre auditoire sur la défensive. La citation le Général impose donc une exigence intellectuelle, celle d’oser regarder en face ses choix et ses actes. S’en revendiquer implique politiquement une orientation européenne, une grille de lecture face aux politiques économiques et une vision institutionnelle, sans quoi Zidane aurait sans doute mieux convenu à l’exercice. Utiliser De Gaulle politiquement, c’est aussi en assumer le prix. Cette exigence posée, ne peut-on pourtant pas citer un homme politique sans totalement l’approuver, un auteur sans aimer toute son œuvre ou un philosophe dont on serait éloigné ? Fi de toutes ces considérations technico-politiques, de Gaulle demeure le symbole de cette France qui résiste, d’une France libre et universaliste, qu’on sent se diluer face à la modernité et face à cette mondialisation. Alors au fond, on ne peut guère s’en empêcher. Plus qu’un homme politique, Charles de Gaulle est un homme de culture et d’honneur. Capable de génie militaire, comme d’écrire magnifiquement aux poètes qu’il admire. Une dualité dont on doit nécessairement s’inspirer. S’ouvre alors l’âpre quête de la médiété.
Du corps plus que de la doctrine
De prime abord, citer le Général de Gaulle est bien rarement une victoire et ne doit pas manquer de vigilance. A moins d’une citation peu connue ou particulièrement bien sentie, cela se résume souvent à duper son auditoire. Pour autant, cela n’enlève rien à toute la saveur du bon mot gaulliste. L’exercice même de la citation se prête d’autant plus au Général. Trait d’esprit, capacité de synthèse, son art de la citation exhorte aussi bien sa culture que son sens d’homme d’Etat. Comme toute citation, l’enjeu est alors œuvre d’interrogation. Loin de prendre pour acquise une vulgaire phrase du Général, il convient d’en tirer le sens, le contexte, la substantifique moelle.
Plus que citer de Gaulle, il faudrait peut-être le murmurer.
Le murmurer à un autre, pour savourer ensemble une phrase, un éclat, tel un bon repas. Se le murmurer à soi-même pour se donner de la force, un goût pour l’honneur et le courage. A l’heure où le sens de l’Etat, de la nation mais aussi des valeurs, est marginalisé, difficile de trouver plus symbolique et plus fort. La joute ne lui est pas forcément adaptée, qui pourrait oser contester de Gaulle ? Et surtout, jusqu’où serait-il encore pertinent ? En revanche délecter ce simple et doux plaisir de se remémorer et d’évoquer, ce personnage suranné. Voilà sans doute comment on peut encore le citer.
Nathan Granier