Le J et le tierquar : d’amour et de haine
Couronné de nombreuses fois d’or et de platine, le J n’est plus à présenter. La Machine sort presque deux albums par an depuis son single Sort le cross volé, avec des sons toujours plus innovants. Bande organisée, à l’initiative du J, est le double single de diamant le plus rapide de l’histoire de la musique française et le titre rap le plus écouté de 2020. Son succès est multicausal : des sonorités nouvelles, des refrains dansants, des paroles qui retracent avec profondeur et subtilité la vérité du tieks. Pourtant, l’Ovni a une relation complexe au bendo, et au fil de sa discographie, l’auditeur assidu découvre que la position du J vis-à-vis de sa terre natale a changé pour passer de la revendication identitaire à une position plus nuancée et critique.
Dès le début de sa carrière, le J adopte envers le tierquar une relation duale, marquée par une revendication identitaire qui n’empêche pas au J d’avoir un certain recul sur la réalité du bendo. La tess est omniprésente dès Dans la paranoïa. Dans Jeune de Cité, Jul s’identifie totalement à la cité, il affirme son appartenance dès les premiers mots : « J’suis ce jeune de cité ». Même s’il n’est pas l’homme qu’il décrit, il comprend parfaitement la situation car il la vit au quotidien. Audi volée livre également une description particulièrement précise de la zone, ses dangers, les relations avec les forces de l’ordre, les aspirations de ses habitants. La réalité de la tess pousse le J à être très sceptique, même à ses débuts – dès Dans ma Paranoïa – sur son appartenance au bendo. Ainsi, dans Le Sang, l’Ovni écrit
« J’ai passé mon temps à voir mes potos dans la merde
Faut que j’m’éloigne d’ici
Que j’emmène ma mère (ouais ouais) »
Car le J, peu à peu, a eu des reproches à faire au tieks. Mensonge, trahison, jalousie, c’est l’hypocrisie ambiante qui l’a mené à s’éloigner de sa terre natale. « Que ça mitonne, même plus je m’étonne » ou « ils jalousent », ainsi qu’il le dit dans l’Ovni, montrent bien les dissensions entre le J et le tierquar. Dans On m’a tourné le dos, le J déplore les faux-jetons, si nombreux dans la tess :
« Dans les amis ça s’fait rare comme la AVC
Tu l’as fait manger chez toi et il t’a baisé
Il mérite une rarara dans la cabeza »
Une des difficultés du tieks tient également à la présence permanente des gardiens de la paix, qui, en faisant respecter la Loi de la République – gage de la liberté collective des citoyens et de la Cité – déplaisent aux malfaiteurs dont le J se revendique. Dans Et je deviens fou, il explicite
« Encore un verre et j’vois flou, j’prends la fuite en deux roues
J’vois les képis dans l’rétro, la drogue, ils vont pas la ver-trou » ;
ou dans Combien, de 13 organisé :
« Le schmit m’a menacé
Il m’a pas rendu mes lacets
J’ai fait appeler mon avocat
Au final ça s’est bien passé »
Ces reproches ont mené le J à quitter le quartier pendant quelques temps. Cependant, sa relation est demeurée duale avec la tess, entre amour et haine. Dans Alors la zone, il explicite ce décalage. En demandant à la zone comment elle va, elle montre qu’il y est extérieur. Il y dit d’ailleurs :
« Tout l’monde veut sa palette Personne veut soulever des palettes
y a d’la patate qui tourne dans la zone,
Y a des batards qui te souhaitent ta mort (sic) »
ce qui montre bien que le J se sent rejeté de ladite zone, qu’il sent une différence de mentalité, et qu’il a voulu se sortir de cette situation, même si, comme il le dit, « Marseille ma ville j’l’aime à mort ». D’ailleurs dans JCVD, n’écrit-il pas, relativement au tierquar :
« Je suis plus dans la zone
Je me suis taillé
Mi corazon
Je m’en vais ça y est »
Mi corazon, surnom affectif par excellence, montre tout l’amour que J porte au tierquar. Par ces mots, le J montre à la fois son attachement et son décalage vis à vis de la zone.
Mais l’histoire de la Machine n’est pas finie, et peut-être peut on espérer un retour du J vers le tierquar. Parfois déjà, il retourne dans la tess pour manger un grec et discuter avec les jeunes des quartiers. Pourquoi ne pas imaginer un engagement moins artistique et plus politique, ou au moins associatif de celui qui a toujours lutté contre la délinquance des jeunes ?
Cet article vous est proposé par un étudiant de l’ESCP non membre de Streams : le S.
Cette dualité amour/ haine de la cité est bien connue de tous les jeunes ayant connu la rue la vraie. Rien d’étonnant, donc, dans le fait que le J connaisse ce même débat interne et le retranscrive dans ses sons.
Merci pour cet article, ma foi, intéressant.