Nouvelle-Calédonie : Le début d’une nouvelle ère ?
« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »
C’est à cette question que devra répondre la population néo-calédonienne le 12 décembre, et ce, pour le 3ème fois en moins de 4 ans. Alors que la Nouvelle-Calédonie fait partie des 17 territoires encore non-décolonisés selon L’Organisation des Nations Unies, et que les tensions locales s’intensifient dans un contexte de crise sanitaire, assisterons-nous à un changement d’ère pour cet archipel à l’histoire complexe ?
Pour comprendre pourquoi la Nouvelle-Calédonie n’est toujours pas décolonisée, il faut se demander ce qu’a cet archipel de si particulier : c’est en 1853 que ce territoire entre dans l’Histoire française, longtemps après la Martinique, la Guadeloupe ou encore la Réunion. La Nouvelle-Calédonie devient alors la colonie la plus éloignée de la métropole, mais aussi et surtout l’une des plus fracturées. Lorsque les premiers colons s’installent, ils découvrent une civilisation restée jusque-là à l’écart du monde occidental: la société kanak, qui peuple cet archipel depuis près de 3000 ans. La rencontre de ces deux mondes est brutale, la population kanak est décimée par les maladies et massacrée par les colons au terme de révoltes violemment réprimées. Les colons vont progressivement s’approprier leurs terres et les cantonner dans des réserves de la partie nord de l’archipel. Entre 1866 et 1921, la population kanak est divisée par deux, à l’inverse de la population européenne. De ce fait, alors que les vieilles colonies françaises d’outre-mer demandent l’assimilation comme département français au sortir de la 2nd guerre mondiale, en Nouvelle-Calédonie, deux sociétés continuent de cohabiter. Tout oppose les Caldoches (descendants des colons européens) et les Kanaks, cette opposition mènera quelques décennies plus tard à une quasi guerre civile.
Les disparités économiques vont en effet se creuser avec le temps. L’explosion du cours du nickel dans les années 60 met la Nouvelle-Calédonie sur le devant de la scène. L’archipel, qui possède ¼ des réserves mondiales, devient le nouvel eldorado français. Ce sont 35 000 métropolitains et polynésiens qui s’installent en Nouvelle-Calédonie à cette époque. Moins éduqués et à l’écart, les populations kanaks ne profitent pas de cette prospérité économique et deviennent minoritaires, pour la première fois, au sein de l’archipel. C’est dans les années 70 que le mouvement kanak commence à se politiser et la question d’une éventuelle indépendance émerge en marge du festival mélanésia 2000, organisé en 1975, et qui célèbre la culture kanak. Dès lors, l’opposition entre les loyalistes caldoches menés par Jacques Lafleur et les indépendantistes kanaks représentés par Jean-Marie Tjibaou ne cessera de croître. De nombreux affrontements entre ces deux parties auront lieu dans les années 80, jusqu’à l’apogée de la crise en 1988, pendant les élections présidentielles françaises. Le 22 avril 1988, c’est bien vers la Nouvelle-Calédonie que tous les yeux sont rivés : 27 gendarmes sont pris en otage dans la grotte d’Ouvéa par des indépendantistes kanaks. Pour la 1ère fois depuis la guerre d’Algérie, l’armée française est envoyée sur le territoire national. L’assaut fera 21 victimes. Face au drame, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur choisissent la voie du dialogue, sous la médiation du nouveau premier ministre Michel Rocard. Si leurs projets politiques demeurent opposés, ils acceptent de bâtir un destin commun entre les deux communautés. Les accords de de Matignon (1988) puis de Nouméa (1998) voient le jour, prévoyant une politique de rééquilibrage économique et la tenue de référendums d’autodétermination. La décolonisation est en marche. Vraiment ?
Malgré les efforts et les politiques des différents gouvernements, les disparités économiques et sociales demeurent au sein de l’archipel. En 2014, seulement 4% des kanaks avaient suivi des études supérieures, contre 25% pour les caldoches. Si la Nouvelle-Calédonie n’est pas indépendante aujourd’hui, la question n’est pas tranchée. D’autant plus que l’archipel possède plusieurs atouts comme la richesse de son sous-sol et de sa ZEE qui regorge de terres rares. Et ceci tombe on ne peut mieux : ce sont exactement les composants fondamentaux du 21ème siècle, les piliers des domaines : électronique, batteries, satellites, Intelligence artificielle, etc. Les investisseurs étrangers ne s’y trompent pas et les usines de nickel du côté Nord sont déjà tombées aux mains des asiatiques. Si la France souhaite toujours inscrire son futur dans le pacifique, il est évident qu’elle ne peut se permettre de perdre cet archipel.
Les 2 premiers référendums (2018 et 2020) ont vu la victoire des loyalistes caldoches, illustrant le poids démographique pris par cette population. Le résultat du prochain référendum sera donc probablement identique. Mais l’indépendance est une chose, la décolonisation en est une autre. Pendant 30 ans, la Nouvelle Calédonie a vécu sans horizon clair, sans savoir si elle était indépendante ou dans la République. Après le 12 décembre, l’État français devra lui faire confiance, c’est-à-dire lui donner un vrai projet d’avenir et la fédérer.
Cet article vous est proposé par Oscar Pariat, membre de Streams.