Handicap invisible, pas imaginaire !
Un fauteuil roulant, une canne blanche et des lunettes de soleil, une incapacité à être autonome, nos clichés sur le handicap sont nombreux. C’est la vision la plus commune de la souffrance d’autrui : elle doit nous frapper, nous choquer, pour susciter notre empathie.
Et pourtant, 80% des personnes porteuses d’un handicap ont un handicap invisible, c’est-à-dire un handicap non visible à l’œil nu. En France, sur les 12 millions de personnes handicapées, 9,6 millions de personnes sont donc porteuses d’un handicap invisible. Le handicap invisible peut regrouper des troubles sensoriels, cognitifs, psychologiques, des maladies chroniques… qui ne sont pas moins invalidants qu’un handicap visible.
Quelle réalité pour ces porteurs de handicaps invisibles ? C’est souvent une souffrance minimisée par son entourage, voire niée. “Ça ne se voit pas donc ça ne doit pas être si grave”. Ce manque d’empathie peut créer un sentiment d’isolement, de détresse psychologique. Au quotidien, c’est le perpétuel besoin de se justifier : devoir dégainer sa carte d’invalidité pour éviter les files d’attente ou obtenir une place assise dans le bus, expliquer aux passants critiques pourquoi on stationne sur une place réservée aux handicapés. Car oui, aux yeux de notre société, seul le fauteuil roulant vous autorise l’accès à ces aménagements. Parmi les porteurs de handicap invisibles, nombreux sont ceux qui doivent se justifier auprès de leurs amis ou même de leur famille. Certains décident également de ne pas révéler leur handicap à leur employeur, par peur d’exposer sa vulnérabilité. Dans divers témoignages, ils soulignent l’ironie des choses : on pousse les handicapés à devenir plus autonomes, en leur donnant des outils, mais alors qu’ils réussissent à devenir plus indépendants on renie leur handicap et on les prive de ces mêmes outils. Les porteurs de handicaps invisibles ont donc une tâche double : vivre au mieux avec leur handicap, ce qui nécessite beaucoup d’efforts, puis justifier ensuite la difficulté pour eux de vivre ainsi.
Molly Burke, youtubeuse porteuse d’un handicap invisible, en fait l’expérience sur les réseaux. Devenue aveugle suite à une maladie génétique, Molly n’a pas de canne blanche, a de beaux yeux vert-gris, et le seul indice pouvant révéler son handicap est son chien-guide. Ayant pour but de montrer que la cécité n’empêche pas une jeune femme de vivre une vie épanouie et autonome, Molly partage ses passions. Pourtant, dans les commentaires, les stigmates du handicap invisible la rattrappent : “Tu n’es pas vraiment handicapée”, “tu fais semblant d’être aveugle”… Alors même qu’elle travaille dur pour vivre malgré son handicap, on lui demande de prouver qu’il existe. Pourquoi ne veut-on pas croire à la souffrance que l’on ne voit pas ?
Ce scepticisme naturel de la société interroge. Pourquoi sommes-nous réticents à accorder de la sympathie ? On pourrait trouver l’origine dans les nombreuses arnaques “à la pitié”, qui ont abusé de l’empathie des Hommes, et qui les ont poussés à la méfiance. Mais ce serait généraliser les conséquences d’événements pourtant marginaux. Quel coût cela représente-t-il pour nous de reconnaître la souffrance d’autrui ? Cela mériterait une plus ample réflexion. Mais en attendant, n’oubliez pas d’aller au-delà des apparences : un handicap invisible, même bien caché, est tout aussi lourd à porter.
Cet article vous est proposé par Eugénie Viriot, membre de Streams.