Pourquoi la France ne sortira pas du nucléaire ?
Parmi ses 60 engagements présidentiels, en 2012, François Hollande avait formulé une proposition ambitieuse : réduire à 50% la part du nucléaire dans la production électrique totale de la France, à l’horizon 2025. Une chose de plus que le président socialiste n’aurait peut-être pas dû dire…
Parce que, même adopté en 2015 à l’occasion de la Loi sur la Transition Énergétique, cet objectif ne sera jamais atteint dans les délais fixés.
D’ailleurs, dès le 7 novembre 2017, Nicolas Hulot assène le coup de grâce à ce projet qui tient plus, selon lui, de la “mystification” que “du réalisme et de la sincérité”…
Alors comment expliquer cet écart si frappant entre la véhémence des discours et l’absence de changements?
En d’autres termes, pourquoi est-ce si difficile de se défaire du nucléaire?
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- Premièrement, parce que la France doit respecter ses engagements en matière de lutte pour le climat.
A l’issue de la conférence de Paris, en 2015, la France avait adopté la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Son objectif consistait à baisser de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, et de 75% d’ici à 2050…
Or, en 2020, le Haut Conseil pour le Climat (Redresser le cap, relancer la transition) soulignait l’absence d’ambition écologique de la législation française depuis la COP21… Une inertie qui risquait de compromettre la capacité du pays à accomplir ses objectifs environnementaux.
Résultat de cette inaction : les émissions de CO2 n’ont diminué que de 0,9% en 2019, soit autant que les années précédentes, et nettement moins que les -3% attendus dès 2025…
Alors, dans ce contexte, le nucléaire est bien loin d’être un handicap. Au contraire, même, puisque la fission de l’uranium n’émet pas de dioxyde de carbone.
C’est pourquoi, en 2014, l’index Global Energy Architecture Performance (du World Economic Forum) considérait le bouquet énergétique français, dominé par le nucléaire, comme le plus écologiquement soutenable au monde.
Mieux encore ; le GIEC recommande une production électrique constituée à 80% de sources d’énergie dites “bas carbone”, pour freiner le réchauffement climatique à venir.
Or, en 2020, 99% de la production française d’énergie est d’ores et déjà à “bas carbone” (77% de nucléaire et 22% de sources renouvelables), selon le Ministère de la Transition Écologique (Chiffres clé de l’énergie, 2020).
Pour illustrer, enfin, cette remarquable efficacité du nucléaire dans la lutte pour le climat, un chiffre en dit plus long que mille mots ; en 2019, la production électrique française a émis 10 fois moins de CO2 que celle de l’Allemagne, débarrassée du nucléaire depuis 2012
- 18,7 millions de tonnes de CO2 relâchés en France (RTE, Bilan Électrique de 2019),
- 195 millions de tonnes en Allemagne (AG Energiebilanzen, Energy Consumption in Germany in 2019)…
Par conséquent, entre tous les engagements bafoués et les espoirs déçus, la France, récalcitrante, semble tout de même disposer d’un joyau : l’atome.
Pour cette raison, l’Union européenne serait même en passe d’élever le nucléaire au statut “d’énergie renouvelable” dans les prochains mois, selon un article de Reuters (UE: Des experts pour classer en “vert” les investissements dans le nucléaire, mars 2021).
L’atome ne serait donc plus un ennemi, mais plutôt un allié privilégié pour la préservation de l’environnement. En somme ; aucun gouvernement français ne peut s’attaquer durablement au nucléaire sans compromettre sa lutte contre le carbone…
- Deuxième argument de poids en faveur du nucléaire ; il produit de l’électricité à un prix défiant toute concurrence.
Selon un rapport de la Direction générale du Trésor (Comparaison des prix de l’électricité en France et en Allemagne, 2013), le prix de l’électricité en France serait deux fois plus faible que chez son voisin allemand.
Mais peut-être le prix exorbitant de l’électricité allemande est-il imputable à ses énergies fossiles? Après tout, l’Allemagne n’a-t-elle pas renoué avec le charbon, après sa sortie du nucléaire?
Peut-être donc que ce sont le charbon et le gaz qui sont responsables de ces prix élevés, et non les éoliennes ou les panneaux solaires?
Le rapport Énergies 2050 (2012) ne partageait pas cet enthousiasme.
Il évoquait, en effet, un possible doublement du coût de l’énergie française dans les prochaines décennies, en cas de recours généralisé aux sources renouvelables…
Mais ce rapport n’était-il pas excessivement pessimiste, lui aussi?
Car n’était-ce pas l’État lui-même qui avait financé les centrales nucléaires, par le passé, pour faire de la France le leader mondial de l’atome?
Ne peut-on donc pas envisager un développement similaire des sources renouvelables d’énergie, par de grands investissements publics?
Un rapport de la Cour des Comptes (Le Soutien aux Énergies renouvelables, 2018) dresse, à ce sujet, un constat bien lugubre ; toutes les politiques de soutien aux énergies renouvelables ont invariablement échoué en France.
Par exemple, les projets lancés avant 2010 pour le soutien de l’énergie solaire auront, à l’arrivée, engendré 38 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires. Mais, malgré cet investissement considérable, le photovoltaïque ne représentait que 0,7% du mix français en 2018.
De même pour l’éolien, où 40,7 milliards d’euros ont été dépensés en 20 ans, pour seulement 2% de la production électrique du pays.
Les énergies renouvelables représentent donc, depuis une décennie maintenant, des dépenses aussi colossales que stériles pour la France.
En bref, elles n’ont pas encore montré le potentiel de supplanter l’énergie nucléaire.
- Le troisième argument, enfin, est de nature sociale et de préservation de la souveraineté nationale
Le nucléaire permet à la France de dégager une production électrique excédentaire, qu’elle peut alors exporter. Faudrait-il donc renoncer à ce formidable avantage ?
Surtout, quels emplois proposer aux employés de ces centrales? Faut-il les réduire au chômage, au motif qu’ils seraient du mauvais côté de l’histoire?
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Le nucléaire, c’est donc une énergie abondante, non polluante et aux coûts de productions relativement faibles, une fois les infrastructures construites.
Et c’est bien ce constat qui a conduit le gouvernement français à décider, en 2019, de la construction de 6 nouvelles centrales.
Quant à la fermeture de Fessenheim, elle sera compensée par l’ouverture de l’EPR de Flamanville…
Décidément, la France n’abandonnera pas l’atome de si tôt.
Même si le coût du nucléaire n’est plus aussi compétitif qu’auparavant (selon le World Nuclear Status Report de 2019)…
Même si les déchets nucléaires de haute activité (HA), aujourd’hui enfouis sous la terre, demeureront radioactifs pendant plus de 10 000 ans…
Même si l’on ne peut exclure le risque d’un désastre nucléaire, en raison d’une catastrophe naturelle ou d’un attentat terroriste…
Même si chaque centrale contient assez de matière radioactive pour rendre l’Europe inhabitable pendant mille ans…
Alors, s’il venait à y avoir un accident nucléaire à l’avenir, on pourrait regarder ces quelques dernières années et se dire, selon les mots du film La Haine : “c’est l’histoire d’une société qui tombe et qui, au fur et à mesure de sa chute, se répète sans cesse pour se rassurer, “jusqu’ici tout va bien… jusqu’ici tout va bien… jusqu’ici tout va bien… ”.”
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